Contre l’aéroport et son monde
Un petit racontage sur le bocage enragé

On est arrivé.e d’un peu partout pour quelques semaines et on voudrait transmettre ce
qu’on a vécu ici, pour motiver des groupes de compagnon.ne.s à poursuivre les
dynamiques déclenchées suite à la manif de réoccupation du 17 novembre et dans la
continuité de la période d’expulsion.

Avec ce texte, on voudrait poser des observations/réflexions autour de cette lutte qui
prend sérieusement des airs de mouvement. Mouvement dans le sens qu’avant il y avait
une certaine « facilité » à capter la situation sur la ZAD et celle de la lutte contre l’aéroport,
désormais débordée par la masse de gen.te.s/collectifs/groupes/comités qui se la sont
réappropriée. Mouvement aussi dans la multiplication et la pluralité des formes d’actions,
de résistances et d’attaques qui trouvent leur place, se complètent sans forcément avoir
besoin de se coordonner, sont connues sans avoir à être explicitées, sont souvent
soutenues et peu critiquées.

Depuis notre premier passage, notre volonté est de chercher à renforcer la lutte contre
l’aéroport avec comme pratique l’action directe, c’est à dire la lutte sans médiation, sans
négociations avec les innombrables porteurs, public et privé, du projet (qu’est-ce qu’illes
ne comprennent pas dans NON ?).

On sentait la nécessité de connaître l’histoire de cette lutte, les gen.te.s et les associations
qui la composent.
A chacune de nos arrivées sur place, on cherchait à recapter l’ambiance du moment,
comment se sentaient nos compagnon.ne.s et ami.e.s, comment progressaient les
travaux, quelles avaient été les actions dernièrement menées et les réactions qu’elles
suscitaient auprès des différentes composantes de la lutte, comment évoluaient les
rapports avec les gen.te.s et les paysan.ne.s du coin, quelles formes prenait l’organisation
quotidienne sur la ZAD entre les différents lieux de vie, comment se mettaient en place la
campagne contre Vinci, l’organisation de la manif de réoccupation, et les outils de la lutte.

POSITIONS POLITIQUES : Une lutte constante à l’intérieur d’un mouvement.

Quand un mouvement prend une ampleur soudaine, certaines choses peuvent vite nous
dépasser, particulièrement sur des questions politiques de fond.
Sur la Zad, avant, pendant et après la manif de réoccupation, un travail de fond contre la
récupération de la lutte par des partis politiques ou autres organisations a été mené et a
amené des passages déterminants pour la suite.

Par rapport aux partis politiques.
Se positionner et porter, lors d’initiatives et en assemblée générale, des positions voulant
un mouvement « populaire » et le plus horizontal possible, ont permis à certains individus de
s’émanciper momentanément de leur organisation et d’être acteurs ou actrices dans
l’organisation de la manif de réoccupation. Dans le même temps, cela a permis de laisser
le moins de place possible aux récupérateurs politiciens1.

Gros défi, car il faut jauger son positionnement entre, d’un côté, la célèbre phrase « ne pas
se diviser » et, de l’autre, porter des positions politiques et pratiques à l’intérieur de la lutte
1 voir texte « nous voulons une manif, pas une parade »
en mouvement.

Il est important de suivre, et donc d’intervenir, dans ces moments d’assemblée où l’on
touche à des compromis ou à des incohérences politiques pour les interroger et les
combattre, et ainsi faire en sorte d’y « trouver un sens » pour ne pas abandonner le terrain
des discours, et ne pas abandonner le terrain de la lutte.

Gros défi car il est facile de critiquer et de sourire ensemble lorsqu’une vitrine du PS éclate
à l’autre bout de la France, plus difficle lorsqu’il s’agit d’actions contre Europe Ecologie Les
Verts ou le Front de Gauche dont certain.e.s militant.e.s sont présent.e.s sur le terrain2.
Au final, à la manif, peu de drapeaux et des dirigeant.e.s de partis absent.e.s ou peu à
l’aise, le travail de fond a fonctionné, et ce n’est pas un détail lorsque des membres de
syndicats ou orgas soutiennent eux-mêmes vouloir se présenter comme « des individus en
lutte ».

Cependant, il nous semble que des discours que nous avons porté pour « diviser le moins
possible » n’ont pas été aboutis.
En effet, rejeter la présence de partis politiques, en mettant en avant le fait « qu’ils nous ont
craché dessus pendant des années, en dénonçant les violents et les ultras », omet un peu
trop le fait que c’est aussi (et peut-être surtout) que nous voulons tendre à rompre, dans
cette lutte et dans les autres, avec tout parti politique ou organisation récupérateurs,
médiateurs, réformistes. Cela peut aussi sembler un démenti face à des accusations
d’être des violents, radicaux, ultras, car nous pouvons nous dissocier de ces termes mais
non des pratiques de luttes qu’ils contiendraient.

Ces dernières semaines, certaines positions politiques différentes se sont estompées
dans le soucis de rester ensemble dans un objectif commun (l’arrêt du projet) et partiel
(réoccuper en construisant). Des divergences ont cependant toujours été présentes et
pourraient resurgir de plus belle par exemple lors de propositions de négociations émises
par la préfecture. Comment alors choisir de laisser se redéfinir des positions très
différentes ou pousser à des décisions communes quitte à faire des compromis ? Les
termes de la négociation lancée par la préfecture à certaines assos et élus portent sur les
pratiques qui entravent concrètement le projet : bloquer les routes et réoccuper les zones
expulsées. Le choix de libérer les routes ne doit alors pas être un terme de la négociation
avec les décideurs mais un changement de stratégie discuté et décidé ensemble.
Sachant la difficulté et peut-être la non pertinence à certains moments de porter des
positions politiques frontalement à l’intérieur de la lutte, ce travail de fond doit néammoins
continuer à être constant, quitte à rompre avec certain.e.s individus pour se rapprocher
d’autres.

Par rapport aux médias

Lorsqu’une lutte s’envole vers l’extérieur et que le spectacle fait sortir de leur confort les
journaflics, la ZAD donne une réponse intéressante au problème des médias. Le choix est
d’affronter cette médiatisation, plutôt que de l’éviter, la gérer. L’automédia est une
démarche issue de processus de discussions collectives autant sur la manipulation
médiatique, que sur « la protection de notre anonymat » contre la répression, etc. Il agit à la
fois sur la diffusion des informations de manière autonome et sur la diffusion à certains
médias de communiqués ou lors de prises de parole par les « Camilles » masquées. Il est
très dur pour les journalistes de travailler sur la zone car plus que les virer totalement, ce
qui est impossible et pas souhaité par beaucoup de personnes en lutte, il est décidé à
l’avance d’un laps de temps pendant lequel ils peuvent se rendre sur les lieux
2 voir texte « vert de colère, ou la manifestation de récupération »
accompagnés et controlés. Dans les moments d’affrontement, plus difficiles à gérer, la
place est laissée à l’initiative personnelle de les virer si c’est possible.

Pour la manif, il a été imposé aux médias de porter un brassard les identifiants et un
discours leur a été fait par le groupe automédia sur l’obligation de demander avant de
prendre des visages en photo et l’interdiction de rentrer dans le bloc de tête
d’autodéfense.
Il a été aussi imposé des zones de résistances où la présence de journalistes n’était pas la
bienvenue voire interdite. Pour la défense du Rosier par exemple, où le périmètre étaient
les barricades, des panneaux annonçaient clairement des positions telles que « avis aux
journalistes, vous n’êtes pas les bienvenus car nos vies ne sont pas un spectacle, parce
que volontairement ou involontairement vous êtes indispensables au pouvoir et à la
perpétuation de ce système…etc ».

Cette position est néanmoins fragile car elle est remise en question régulièrement sur le
terrain.
« Grâce aux médias, la police tape moins fort , grâce aux médias les gen.te.s nous
soutiennent, grâce aux médias, le gouvernement recule, …etc »
Ces arguments portent en eux la minimisation de la force collective de cette lutte et la
dépossession de notre capacité à communiquer « directement » via nos réseaux de médias
autonomes, via nos rencontres directes avec les gen.te.s.

La ZAD conserve ainsi une certaine autonomie vis-à-vis des discours médiatiques
dominants, preuve en est la fréquentation du site internet zad.nadir.org, que désormais
toujours plus de personnes consultent pour s’informer et donner des contributions.

Des positions politiques ont constamment été portées dans cette lutte, en témoigne
l’évolution des slogans du mouvement : au départ, « Non à l’aéroport de Notre Dame des
Landes », devenue « Non à l’aéroport, ni ici ni ailleurs » puis « Vinci dégage » (avec le
lancement d’une campagne contre Vinci stopvinci.noblogs.org) et « Contre l’aéroport et son
monde », puis « Vinci dégage, résistance et sabotage »… pourquoi pas bientôt Contre ce
monde et son aéroport?

LA BOITE A OUTILS

Sur la ZAD, des outils de lutte qui ont été créés depuis des mois voire des années
montrent leur force et leurs côtés indispensables dans cette période.

Legal team et medics team, l’autonomie et les débrouilles alimentaires, la radio Klaxon, les
systèmes de communication talkies et téléphones et l’organisation des réunions entre
« zadistes », des réunions plus ouvertes aux gen.te.s de passage, des assemblées
générales. La mise en place de tout ça est parfois bordélique car très difficile à tenir
constamment. Cette « organisation » dépend aujourd’hui de la volonté de connaître le
fonctionnement de ces outils, pour permettre un soutien aux compagnon.ne.s vivant sur
place, et leur transmission afin de pouvoir nous sentir à l’aise à notre tour, faisant partie de
la lutte.

Pour que dure dans le temps une mobilisation collective forte, les démerdes individuelles
doivent laisser place à une préoccupation collective. Un des paramètres essentiels est
l’approvisionnement de nos besoins.

Sur la ZAD, c’est un des tournants décisifs dans l’organisation quotidienne :
L’appel à des besoins matériels (outils, nourriture, chaussettes et fringues) s’est
transformé en un véritable ravitaillement constant pour soutenir les personnes expulsées
puis la lutte au quotidien. Tous les jours, des personnes produisant de la bouffe, ayant des
plans pour récupérer ou les moyens financiers (ré)approvisionnent le lieu de vie collectif
éphèmère de la Vache-rit, transformé en QG qui ne devait durer que quelques jours.
Bouffe, vêtements, chaussures, bottes, couvertures, draps, outils, piles, médicaments,
masques à gaz… tabac, vins…parfois essence…En constant réapprovisionnement,
l’impression qu’au cours des dernières semaines, ces étalages grossissent au lieu de
diminuer.
Cette solidarité et mise en commun de tous les besoins matériels sont capitales pour
réussir à focaliser l’énergie sur la résistance aux expulsions et les attaques aux porteurs
du projet; surtout dans un contexte d’occupation militaire avec les checkpoints sur la zone
et dans les villages autour. Cette approvisionnement a également été rendu possible
grâce à la Radio Klaxon, dans une indipensable complémentarité : tu allumes la radio
pirate pour savoir où sont les checkpoints et ainsi amener tes carottes et tes masques à
gaz en toute tranquilité.

Une expérience étrange est vécue, celle de ne pas avoir à se préoccuper de
l’approvisionnement. En effet, d’un côté la beauté quotidienne de voir toutes ces
personnes apporter tout ce qu’il faut, de l’autre, il n’y a aucun moment où l’on a pu réfléchir
à la possibilité de sortir de la zone pour aller prendre collectivement ce dont nous avions
besoin parce que cela n’était pas nécessaire. Encore une fois, de toute beauté car jamais
à notre connaissance ne s’était vécue une situation avec un approvisionnement aussi
efficace, mais il est important d’imaginer comment la nécessité et le besoin peut ouvrir des
portes de réappropriation matérielle.
Le fait est que dans d’autres luttes sociales, surtout en ville, nous faisons partie de luttes
« de pauvres », où lorsqu’on s’imagine une situation de rupture avec l’isolement dans un
contexte de conflictualité avec le pouvoir, il nous faut penser à la manière de se
réapproprier ce dont on a besoin, aller chercher (et prendre) dans les lieux de production
capitaliste de quoi se nourrir, de quoi construire, de quoi se protéger, de quoi attaquer. Il
nous faut continuer à réfléchir aux manières de mettre en place sur la ZAD des possibilités
d’expropriations de nos besoins, et dans nos villes de construire des outils, des
complicités et des solidarités qui peuvent répondre à des besoins importants lors d’une
situation de mouvement de lutte.

Sur un autre niveau, suite à l’expulsion et à la destruction du Sabot (le potager collectif de
la ZAD) et dans l’optique de la fin des procédures d’expropriation des quelques fermes et
terrains sur la ZAD au début 2013, l’autoproduction de nourriture en occupant et en
cultivant collectivement pourraient bien revoir le jour. C’est notamment par la volonté de
réappropriation de la terre pour produire la nourriture que le mouvement porte
concrètement la défense de la ZAD, par la continuité des activités paysannes et pour
continuer à vivre sur place.

MODES D’ACTION

La manifestation de réoccupation, dont le processus d’organisation remonte à plus d’un
an, a été organisée bien au-delà du mouvement d’occupation de la ZAD et du réseau
Reclaim the fields. En tête de 30 000 personnes, le bloc d’autodéfense, cagoulé et avec
des caddies-banderoles renforcées, avançant aux slogans de « on les aura, on est encore
là, vince dégage, résistance et sabotage », « la métropole veut nous bouffer, qu’elle crève,
qu’elle crève la dalle », « gouverner ou lutter, obliger faut choisir, bureaucrate, rose ou vert,
tu nous fais tous vomir, dégage, dégage du bocage vert de rage » est bien accueilli,
soutenu et parfois applaudi.

On a beaucoup parlé de barricades car ce mot et ce qui s’y vit ouvre la voie et le fantasme
à bloquer frontalement des oppresseurs armés et à créer une zone « libérée » qui s’organise
collectivement sans l’Etat.
Ce n’est pas tant le fait d’avoir passé des heures pierres et bouteilles à la main avec
d’autres personnes valides derrière des pneus et des rouleaux de foins qui est un pas
important dans la lutte, mais plutôt la complémentarité avec d’autres activités. Savoir qu’au
même moment, « nous » construisons des cabanes collectives, « nous » alimentons le flash
info du site internet, « nous » rangeons le freeshop, « nous » apportons le ravitaillement
bouffe-boisson (chaude) à travers champs et bois, « nous » piratons la radio de
VinciAutoroute pour informer, pour parler de la lutte contre l’aéroport, contre le TAV, contre
les frontières, la répression et la prison… On pouvait sentir que la barricade, comme
défense et arme de la ZAD, « était partout ».
Il convient donc d’arrêter de mystifier la barricade en tant que telle, et de s’organiser
réellement pour les tenir ou les abandonner suivant « nos » stratégies. Il a été évoqué
plusieurs fois les ambiances de merde autour des barricades : insultes aux flics sexistes,
homophobes et racistes, des ambiances grosses couilles virilistes et du chacun pour sa
gueule qui foutent beaucoup de choses en l’air. Ce qui a permis aux flics de se déguiser
en « zadistes » et d’arrêter certain.e.s d’entre nous (on y reviendra), ce n’est pas tant leur
bonne organisation culottée mais notre incapacité à être compacts, à nous parler et à
nous organiser réellement, à laisser le moins de chance possible à un flic d’intervenir à
côté de toi, parce qu’on n’est pas derrière des barricades juste parce que c’est cool.
Des barricades se montent spontanément d’un jour à l’autre, se transforment en terrain de
basket, de jeux de cartes ou de scènes ouvertes, se redessinent en chicanes pour laisser
passer les gen.te.s de la zone avec l’installation d’un « pillage Vinci » gratuit avec aire de
stationnement et de discussions pour une minute ou une heure. Plein de gen.te.s et de
groupes d’horizons politiques différents s’y rencontrent, s’y organisent, s’y confrontent. Il
n’y a peut-être pas la confiance nécessaire pour une « organisation collective et constante »,
mais chaque barricade chaque jour cherche à se défendre avec des techniques
différentes. De nombreuses personnes ont vécu, vivent et vivront leurs premières
expériences de barricades champêtres, de nuages de gaz et de charges policières, de
rapports individuels aux matériels défensifs et offensifs.
Il y a un enjeu à transmettre et à échanger des pratiques de lutte, des stratégies de
protection, de défense et d’attaque. voire texte Guérilla bocagère? sur Indymedia Nantes.

Ces dernières semaines, un saut en avant important a été fait au niveau des modes
d’action. Evidemment, ce n’est pas un acquis pour la suite et il s’agira de continuer à les
transmettre, à les porter et à les renforcer.
Saut en avant car il y a quelques mois personne n’imaginait que l’on vivrait ce
dépassement de la classique division entre violence/non-violence. D’ailleurs, on a eu peu
à affronter ces termes. Grâce à un contexte de lutte où la médiation a été supprimée sur le
terrain, s’est matérialisée cette volonté de détruire les catégories/étiquettes que
revendiquent, portent, ou dont sont taxées les personnes.

Lors des deux journées d’affrontements des vendredi 23 et samedi 24 novembre, forêt de
Rohanne et Chat-teigne sont défendus à l’arrivée des militaires par quelques dizaines de
personnes. Les machines du saccage entrent dans les bois, escortées par des centaines
de flics, qui en plus entourent les deux zones. Pendant que les premiers affrontements
éclatent, des dizaines puis des centaines de personnes réussissent à rejoindre la ZAD par
les routes bloquées par les fourgons. Très rapidement, des personnes, connaissant les
sentiers permettant de rejoindre les lieux des affrontements, accompagnent des groupes
de dizaines de personnes au plus près des machines. Détermination, courage et solidarité
seront nos principales armes. Les flics sont harcelés sans interruption, par tous les modes
d’actions se côtoyant à quelques mètres les uns des autres.

Une chaîne humaine tente de forcer le cordon policier, des cocktails molotov sont lancés
sur les machines, les slogans « Police dégage, du bocage », « Vinci dégage, résistance et
sabotage » résonnent d’une forêt à l’autre, feux d’artifices et fusées de détresse en tirs
tendus illuminent l’arrivée de l’obscurité. Sous les nuages de lacrymogènes et les
grenades assourdissantes, tout le monde recule, sort du bois, puis y retourne. Le vendredi
soir, ils n’ont pas réussi à prendre les cabanes, et lorsqu’ils se replient, ils auront au
minimum de la boue sur leurs visières et leurs armures. Le lendemain, lors de la dernière
charge policière qui nous fera bien des blessé.e.s et abandonner la forêt, personne ne
clamera qu’on a « perdu » à cause des « violent.e.s » qui ont jeté des trucs ou à cause des
« pacifistes » qui n’ont pas été assez déterminés. Ces mots, que certain.e.s veulent définir
comme des catégories, sont des pratiques de lutte et des modes d’actions, adaptables et
complémentaires selon le contexte.
On accuse le coup ensemble, et nos blessures, plutôt que de provoquer la peur,
renforcent la détermination. Le soir même ce sont encore des dizaines de personnes qui
harcèleront les flics jusque tard dans la nuit. Le lendemain, le dimanche, des centaines de
personnes se retrouveront pour pique-niquer à la Chat-teigne, en passant par la forêt de
Rohanne saccagée la veille, puis souriront et ressentiront notre force à l’arrivée de 40
tracteurs (et tractrices!) qui s’enchaîneront sans date limite autour des nouvelles cabanes
construites.

Nous aimerions que les modes d’actions évoluent vers plus de moyens défensifs contre
les flics et vers plus d’attaques contre les moyens de réalisation de ce projet. Mais ce sont
ces moments, où diverses formes d’actions se côtoient et se succèdent, qui laissent
apercevoir la continuité de ce mouvement, la continuité du rapport de force, la possibilité
d’exclure des dissociations futures sans pour autant se compromettre.

Pour la défense du Rosier, des paysan.ne.s (« paysan.ne anarchiste ou anarchiste
paysan.ne, on s’en fout au fond! ») arrivent une nuit et déchargent 40 rouleaux de foin, une
barricade de plus faite ensemble. « – On se voit demain à 5 heures pour les tenir? – Non, un
peu plus tard. A 5 heures, j’ai la traite! ».
Une discussion sur la réoccupation des terres agricoles avec les paysan.ne.s « de la
place », se pointe un hélico de la gendarmerie qui se fait canarder à quelques mètres par
des fusées de détresse, la discussion ne s’interrompt pas, l’hélico s’éloigne…
Les tracteurs entourent la maison, on soutient la volonté des paysan.ne.s de faire une
conférence de presse, issue de l’écriture d’un communiqué rédigé ensemble ( voir communiqué du Rosier http://zad.nadir.org/spip.php?article657), et on sourit
lorsque l’on décide que la conférence de presse se fera depuis la remorque d’un tracteur,
masqué, et que le-la « blackbloc » se présentera comme « paysan.ne » et que le-la
« paysan.ne » se présentera comme « blackbloc ». Cette situation on ne la vit pas comme un
compromis vis-à-vis des massmédias.
On décide aussi que pour défendre la maison, il n’y aura pas de conflictualité directe
autour de celle-ci. Cela n’empêchera pas la détermination des occupant.e.s et des
paysan.ne.s à rester jusqu’au bout, jusqu’à la destruction de la maison, jusqu’à se faire
gazer et crever les pneus des tracteurs; et que dans le même temps sur les barricades,
des attaques contre les flics seront menées.

Nous ne savons pas combien de temps cette résistance à l’expulsion de la ZAD et donc
de confrontation va durer. Ce qui est sûr, c’est que ces différents modes d’actions, et
surtout la connaissance réciproque des individus qui les portent, serviront pour la suite.
Les possibilités s’en trouvent changées.
Nous n’avons pas réussi pour l’instant à allier résistance aux expulsions et actions contre
l’avancée des travaux (les fouilles archéologiques par exemple). Il nous faut y réfléchir, car
il s’agit de mettre en place des formes d’organisation. Faire circuler discrètement
l’information par des connaissances directes désormais non circonscrites ni à des petits
groupes sur la ZAD, ni à des associations. Appeler également à des journées d’action
contre les travaux désormais capables de mobiliser plusieurs milliers de personnes. La
pluralité des modes d’actions se côtoyant ces dernières semaines doit être portée aussi
dans cette direction : bloquer les accès des entreprises effectuant les travaux, et envahir
les zones de fouilles pour bloquer les travaux et rendre inutilisables les machines.

EVOLUTION STRATEGIE POLICIERE – REPRESSION

Ce mouvement se renforce et on doit se frotter à l’évolution de la stratégie policière. Ce
qui est sûr, c’est que le déploiement répressif n’est pas disproportionné. Nous pouvons
nous indigner mais il faut bien comprendre que c’est à mesure que notre détermination
grandit que l’Etat déploiera sa force. La répression est inhérente à l’existence de l’Etat, et
frappe au quotidien dans les quartiers, aux frontières, dans les guerres partout dans le
monde.
Ce combat contre l’Etat et une multinationale part d’un « Non à l’aéroport » mais n’est pas
dissociable du combat contre le monde qui va avec… Cette conscience-là, portée par
certain.e.s opposant.e.s se diffuse petit à petit dans cette lutte.

Lorsque la division entre « bon.ne.s » et « mauvais.e.s » opposant.e.s martelée par les
politicien.ne.s et relayée par les médias ne fonctionne plus, lorsque les appels au calme
ne trouvent aucune réponse, alors l’Etat et ses flics tombent leurs masques de promoteurs
de la paix sociale.
Nous combattons un projet d’aéroport défendu par des gendarmes, donc des militaires
formatés à faire la guerre. Ils ont les pratiques qui vont avec.

Lors de la résistance à l’expulsion du Rosier le vendredi 23 novembre, les bidoches,
accompagnés par les journaflics de france télévision, sont intervenus de nuit, à pied,
contournant les barricades et déjouant nos dispositifs d’alerte, pour encercler la maison.
Ce fut le début d’une occupation militaire 24h/24 sur la ZAD. Le jour même, lorsque nous
étions des centaines à lutter côte à côte dans les bois et autour des barricades, lorsque
nous bloquions leurs machines jusqu’à parfois les faire reculer, les bidoches n’hésitaient
plus à tirer dans le tas, gazant à bout portant, tirant à tir tendu grenades lacrymogènes et
assourdissantes et visant au flashball les visages lors des affrontements.
Quelques jours plus tard, un nouveau pas a été franchi le mardi 27 novembre lorsque, sur
la route D81 menant au FarOuest, une dizaine de flics en civil, habillés de noir et de
vêtements de pluie, s’infiltre, participant à poser des fils de fer et barbelés sur la barricade,
parlant peu entre eux, et en profite vingt minutes plus tard pour arrêter cinq d’entre nous,
bien coordonnée avec la charge des gendarmes mobiles.

On doit ainsi affronter la justice, seconde face complémentaire de la pièce répression. Ces
dernières semaines, ce sont des condamnations d’interdiction du territoire de deux ans de
Loire Atlantique ou des villages proches de la ZAD, des peines de prisons avec sursis, et
lors de la dernière expédition répressive des flics en civil sur la barricade du FarOuest,
cinq mois de prison ferme, qui ont été prononcées. Qu’on se le dise, la police est partout,
la justice est partout, et la prison n’est désormais plus « extérieure » au mouvement.
Il devient ainsi urgent et indispensable de renforcer la solidarité avec celleux d’entre nous
aux prises avec les griffes de la justice et de la prison, à leur rôle d’exclusion,
d’enfermement et d’isolement physique. Il nous faut faire un saut en avant dans notre
autodéfense pratique sur le terrain (organisation et pratiques de désarrestation autour des
barricades pour combattre la présence d’infiltrés, dispositifs contre leurs armes, matériels
médicaux, boucliers et masques à gaz), dans notre autodéfense juridique (connaissance
et développement des outils d’antirépression portés par la legal team), et dans la solidarité
concrète jusque devant les postes de police, les salles de tribunaux, les abords des
prisons et leurs cages de torture et d’oubli. Sur la durée, après les moments forts de lutte,
celleux enfermé.e.s ne doivent pas se sentir seul.e.s. Une première réaction nécessaire
est de leur écrire en masse, de se rassembler bruyamment devant les murs silencieux de
la prison, de faire péter des feux d’artifices contre l’obscurité des cellules. Et bien sûr de
continuer à lutter contre l’aéroport et son monde, contre ce pourquoi nos compagnon.ne.s
étaient avec nous.

ETAPE D’UN MOUVEMENT

On arrive à identifier cinq dynamiques générales qui faisaient déjà partie de la lutte et qui,
pour certaines, se sont renforcées dans la dernière période :

– la résistance aux expulsions des lieux que les forces répressives n’ont pas réussi à virer,
y compris les nouveaux lieux reconstruits.
– la réoccupation et la définition des lieux d’organisation collective, entre « accueil de lutte »,
« hébergement, (sur)vie quotidienne » et perspectives d’occupation collective des terres
agricoles et des fermes qui doivent être libérées au 1er janvier 2013.
– les actions contre les travaux de l’aéroport : fouilles archéologiques en cours,
déplacement des animaux et des batraciens de la ZAD vers l’extérieur (via la construction
de zones humides à l’extérieur), déforestation prévue durant l’hiver mais possiblement
repoussée de 6 mois suite aux déclarations étatiques.
– porter des luttes de « nos » quotidiens sur la ZAD, contre le sexisme, le validisme et autres
oppressions.
– les actions de solidarité décentralisées contre l’aéroport, se multipliant à mesure que
celleux qui sont passé.e.s par la ZAD en rapportent un bout « chez eux ».

Quelles dynamiques sont les plus présentes, sur lesquelles se concentrer plus
spécifiquement, comment les porter toutes de front?

Des dizaines et des dizaines de personnes arrivent sur la zone. Certain.e.s qui n’ont pas
bien à l’esprit le contexte de cette lutte ; les liens avec les habitant.e.s qui continuent à se
renforcer. Certain.es qui, selon nous, ont un rapport de consommation aux situations
conflictuelles sans tenter de comprendre comment elles s’inscrivent dans la lutte.

Cette période intense sur la ZAD dure désormais depuis plus de 6 semaines. Les
recontructions et barricades pour protéger les lieux sont les moyens concrets d’obstacles
à la prise de la zone par l’Etat et à la présence plus ou moins fortes de ses flics dans le
coin. Cette situation entraîne des changements de vie quotidienne et organisationnelle qui
ne sont pas toujours faciles sur la durée.
Les pertes matérielles (et émotionnelles) sont grandes, les occupant.e.s doivent
(re)trouver les envies, lieux, collectifs, sens, manières de réoccuper et de s’inscrire dans
ce mouvement. Où vivre ? Réoccuper est pour l’instant un moyen d’action qui entrave
concrètement le projet, continuer coûte que coûte ? Quand y aura-t-il la possibilité d’y
penser réellement dans ces moments de défense des lieux? Renforcer les liens avec les
paysan.ne.s et les individus extérieurs, collectiviser les terres vivrières, porter des
offensives contre les travaux, n’est pas toujours compatible avec une période de
confrontation directe contre l’occupation militaire.

Au même moment, cette étape on aurait envie de la pousser toujours plus longtemps, car
il est ultra intéressant d’imaginer que plus cette rupture avec la « normalité » d’une lutte
dure, plus cela engendre des possibilités de mieux s’organiser stratégiquement et
matériellement. Plus cela ouvre des portes que l’on n’avait pas imaginées avant. Une
période de bras de fer comme celle-ci avec l’Etat et ses chiens est assez exceptionnelle,
on aurait envie de la tester et de la pousser toujours plus loin.
Mais la fatigue et le sentiment d’en être un peu dépassé.e quand on perd autant de lieux
donnent aussi envie de passer à une autre étape.
A partir de janvier, certaines procédures d’expropriation arrivent à leur terme, la
détermination de certain.e.s habitant.e.s qui résistent peut faire que « passer à une autre
étape du mouvement » sera peut-être poursuivre celle-ci…
Tout ceci donne parfois le vertige… ça faisait bien longtemps qu’on n’avait pas ressenti
ça… et qu’est-ce que c’est bon!

ON Y VA ?!!!

On voudrait renforcer l’invitation lancée par la ZAD. On voudrait formuler clairement la
sensation que, malgré la présence de centaines de personnes, peu de compagnon.ne.s
avec qui on lutte depuis plusieurs années ont pu venir pendant quelques semaines sur la
ZAD. Cette occasion de pouvoir s’organiser « largement » contre une occupation militaire,
de se coordonner entre des groupes de différentes villes, de se poser pour discuter des
perspectives de cette lutte, du sens que pourrait avoir notre présence sur place, nous a
manqué.

On sent bien que les possibilités de se retrouver là-bas ressurgiront régulièrement, et qu’il
nous faudra être endurant.e.s et stratégiques dans l’articulation des actions décentralisées
contre l’aéroport, et la présence sur place lors des appels lancés par la ZAD.
Un des objectifs à moyen terme pourra également être de déterminer « nous-même » des
moments d’intervention sur la ZAD, sans se caler sur le rythme imposé par les offensives
policières ou par l’avancée des travaux.

Une date importante de rendez-vous pour se (re)trouver est sans doute le week-end de
rencontre des 15 et 16 décembre des comités créés et des groupes de fait en lutte contre
l’aéroport de ces dernières semaines partout en fRance.
On pense qu’on doit réfléchir au fait de « faire partie » de mouvement, de ne pas mettre en
place un « réseau parallèle » de groupes qui ne se confronteraient jamais à la « réalité » de la
lutte sur place. Réflexion notamment parce que cette dynamique pourrait bien ressurgir là
où l’on vit, contre d’autres projets d’infrastructures, contre l’urbanisme, contre
l’aménagement de nos vies.

Un discours dernièrement porté depuis la ZAD y fait écho : « Que se répande l’esprit de la
ZAD dans les métropoles! »
Ce à quoi on voudrait répondre avec ce texte : « Que nos rages et nos luttes disséminées
se retrouvent sur la ZAD ! »

Contre ce monde et son aéroport,

PS : C’est parce qu’on a pu et du partir qu’on a réussi à avoir le temps de réfléchir et de
poser les discussions qu’on a eu sur place pour écrire ce texte. A celleux qui sont « là-bas »,
on pense fort à vous ! On espère que d’autres pourront exprimer leurs expériences et
analyses de la lutte en cours, provoquer dicussions et réflexions, pour diffuser la rage et
l’amour de ces moments vécus.

PS 2 : gagner la lutte? pour certain.e.s c’est déjà le cas, pour d’autres c’est en train, pour
d’autres c’est à venir, pour d’autres encore et surtout, on continue.

des épines du Rosier.