Tribunal de Francfort Vendredi 12 Octobre
Il n’est pas inutile de repréciser l’ordonnance de ce tribunal, chaque participant y occupant une place codifiée, et pouvant jouer un rôle irremplaçable et important.
– «La Cour» : alignés derrière la tribune surélevée, face à la salle ,
– Trois juges : deux jeunes magistrats, manifestement très en retrait, et la présidente, magistrat confirmée, à la réputation bien établie d’extrême dureté alliée à une grande habileté procédurière
– Quatre « juges civils » (jurés), deux titulaires et deux remplaçants. Deux d’entre eux ont l’air absents, voire assoupis; le troisième homme est plus attentif, parfois manifestement intrigué par ce qu’il entend, et enfin une femme âgée, assez énigmatique, qui semble construire une attitude plus personnelle (elle est restée dans la salle pendant que les juges sortaient statuer sur un problème de procédure). Nous ne savons pas lesquels sont ceux qui voteront le verdict
– Pour l’instant la juge a fait passer tout de qu’elle voulait. La longueur et la précision des textes d’argumentation de ses décisions qu’elle lit après chaque interruption de séance, montrent qu’il n’y a pas eu beaucoup de temps de débat entre eux !
– En contrebas, sur leur droite :
– Le procureur et une assistante
– Derrière eux, la partie civile (les plaignants) : en l’occurrence l’avocat du fils de l’une des trois personnes tuées au cours de l’opération de la prise d’otages des ministres de l’OPEP à Vienne. Pour la première partie de l’acte d’accusation, concernant Christian et Sonja, à propos de trois actions n’ayant causé que des dégâts matériels limités, accusation ne reposant que sur le témoignage de Feiling, il n’y a pas de partie civile constituée : c’est l’Etat seul, contre deux individus.
– En face d’eux, la défense : trois avocats pour chacun des accusés, Sonja et Christian qui, quant à eux, restent silencieux
– Face aux juges, derrière une vitre blindée, le public, avec une centaine de places. Fouillés au corps, mais sans contrôle d’identité systématique.

La séance commence par la comparution comme témoin de l’ancienne compagne de Feiling
La législation allemande prévoit une amende et un emprisonnement de six mois de toute personne refusant de témoigner. Elles ne peuvent s’y soustraire que si elles apportent la preuve que leur parole pourrait leur porter préjudice dans de nouvelles inculpations possibles (cet article, le « beugehaft », a été utilisée contre de nombreux anciens militant(e)s, convoqués ces dernières années pour témoigner dans de nouveaux procès. (cf sur le site le cas de Christa Eckes l’an dernier)
Cette femme se présente, défendue par le même avocat qu’il y a 33 ans.
– Elle déclare refuser de témoigner
– Son argumentaire est complexe, mais très clair sur le fond :
_ En 1980, elle a été condamnée à 18 mois de prison avec sursis, dans un procès qui s’appuyait sur les déclarations de Feiling recueillies à l’hôpital par les policiers et le juge d’instruction dans des conditions que la défense récuse radicalement (cf sur le site la demande de récusation des juges)
à l’époque, dit-elle, elle avait accepté d’entrer dans le cadre imposé par le juge, c’est-à-dire la prise en compte des déclarations de Feiling, mais ceci seulement pour protéger celui qui était son compagnon : en assumant le verdict contre elle, , qui le délivrait des pressions destructrices qu’il avait subies au cours de l’instruction de son procès.
– Aujourd’hui, elle demande une révision de ce procès. Elle reste convaincue, comme à l’époque, que les déclarations de Hermann Feiling n’étaient pas recevables. Elle demande donc à bénéficier de la clause de réserve qui la dispense de témoigner
– La Cour, après délibération, confirme la légitimité, selon elle, de cette comparution comme témoin.
– Le procureur demande 800€ d’amende et 6 mois de détention
– Pour la partie civile, l’avocat dit être convaincu que le témoin est sûr de sa décision et qu’une peine de prison serait donc disproportionnée et inutile. Etrange paradoxe, de voir la partie civile reconnaître dans l’attitude de quelqu’un de la partie adverse un authentique courage qui doit être respecté… face à la totale surdité de la juge.
– La juge annonce une condamnation à 400 € d’amende et donne au témoin un délai d’une semaine de réflexion, en lui rappelant le risque qu’elle court de se voir condamnée à une peine d’emprisonnement.
Vendredi 15 prochain, la compagne de Feiling sera re-présentée devant les juges et risque une peine d’emprisonnement.
De plus, la Cour n’a pas renoncé à convoquer Feiling, qui a déjà annoncé que lui non plus ne témoignerait pas car il récuse tout ce qui lui avait été extorqué à l’époque.

Après le départ du témoin, la juge présente, dans une lecture à haute voix des extraits de l’interrogatoire de Feiling par le juge Kuhn pendant sa réclusion à l’hôpital : c’est la seule «réalité » dont elle dispose pour appuyer l’accusation !
Kuhn (mort aujourd’hui) était une vedette de la répression féroce contre les mouvements armés et les mouvements contestataires de l’époque (cf le texte de Linter.over-blog.com, « toute ressemblance…)
Ce que le récit de l’interrogatoire laisse voir de la violence subie par ce jeune homme, interrogé habilement par un spécialiste de la manipulation psychologique, alors qu’il vient de découvrir qu’il n’a plus de globes oculaires, qu’il est définitivement plongé dans le noir, qu’il est amputé des deux jambes, et définitivement dépendant de ceux qui « s’occupent de lui » (tous policiers), isolé des siens et de ses camarades, sans avocat choisi par lui, bourré de médicaments et d’antalgiques puissants…. est tellement insupportable que des cris fusent du public. Plusieurs personnes quittent la salle, aux cris de « Etat tortionnaire !». Déstabilisée, la juge désigne du doigt une femme, exigeant que son identité soit relevée ; des policiers en civil présents dans le public l’emmènent et la maintiendront un long moment dans leur local, laissant planer la menace d’une interpellation. Elle sera finalement libérée, mais la fiction d’un procès « public » garantissant les droits des citoyens à contrôler la bonne marche de la justice a volé en éclats !
Le procès, interrompu pendant l’incident, ne reprendra pas : Christian a dû sortir, malade, et après vérification qu’il avait bien été pris de vomissements, la juge renvoie la Cour à la prochaine séance du Mardi 16.
La juge a donc l’intention de poursuivre sa lecture de ce document scandaleux : pour l’instant elle a réussi à passer outre la requête de la défense d’invalider ce texte, mais pourra-t-elle en faire la lecture devant un public qui le reçoit comme insupportable, humainement et politiquement … ?
Au-delà du public dans la salle, les médias et l’opinion publique pourraient bien devenir l’obstacle d’une réalité en travers de la course folle de cette machine de guerre à travers un désert de preuves et de faits.
Les signes de malaise se multiplient dans la presse. Ainsi, comme le rapporte « Linter », « la volonté de faire témoigner à tout prix Hermann Feiling et maintenant sa compagne de l’époque, continue à créer un malaise perceptible cette fois encore dans la presse (La Frankfurter Rundschau n’hésite pas à titrer en faisant référence à Martin Luther et en se référant à l’attitude historique et symbolique de celui-ci de refuser de céder devant la hiérarchie catholique, ce qu’il nomme la Martin-Luther-Attitude) ».

Trouvé dans linter.over-blog.com :
« toute ressemblance avec l’interrogatoire de Hermann Feiling… n’est pas fortuite »

Pour mieux comprendre ce qui s’est passé avec Hermann Feiiing au moment des interrogatoires, il est utile de se rendre compte combien ces pratiques étaient monnaie courante dans l’Allemagne des années 1970. Et combien il est inadmissible pour ce tribunal de les reprendre, de les cautionner aujourd’hui. De reprendre par exemple les déclarations du juge Kuhn comme l’a fait la juge ce 12 octobre.

Ainsi est-il utile de lire le début de cet article du Spiegel de février 1978, qui décrit une autre des activités de ce juge d’instruction à la même époque.

Lors de son arrestation, un militant de la RAF, Günter Sonnenberg a reçu une balle en pleine tête. L’article décrit la tentative d’interrogatoire par ce même juge Kuhn, aux soins intensifs, six jours après une deuxième opération de plusieurs heures.

« Horst Kuhn, juge d’instruction auprès du BGH est venu dans l’exercice de ses fonctions dans le service des soins intensifs. L’accusé était méconnaissable. Blessé grièvement par une balle en pleine tête, et seulement six jours après une deuxième opération ayant duré plusieurs heures, Günter Sonnenberg, 23 ans, était allongé blafard, et entouré de bandages, au milieu de tuyaux, de poches et de la lumière tremblante du monitor … »

Toute ressemblance avec l’interrogatoire de Hermann Feiling n’est pas …. fortuite.

La suite de l’article traite des expertises sur la capacité à comparaître de ce militant et là encore, on voit la même logique à l’oeuvre.

C’était à l’époque de Stammheim, et l’Etat se croyait autorisé à tout. Hermann Feiling, pour une action symbolique, s’est retrouvé dans ce cauchemar. Et c’est sur des déclarations obtenues dans de telles conditions que sont accusés aujourd’hui C.Gauger et S. Suder.