Quand en 1996, H . reste dans ces appartements et occupe le 244 rue Auguste Chevalier à Tours, son premier but est sans aucun doute de trouver un endroit pour vivre. Mais quand l’espace représente environ 6000m² de surface habitable, il est aussi certain qu’il y a de quoi le partager. Ainsi débutent les prémisses du Projet 244, une personne puis dix, et ainsi de suite, une maison, trois hangars pour y faire sa vie, travailler, créer, ou tout simplement pour prendre du bon temps. La SEMIVIT, entreprise d’économie mixte, nouvellement propriétaire des lieux à l’époque, veut y mettre fin. Il est évident qu’un projet immobilier serait beaucoup plus rentable qu’une quelconque nécessité.

Des compagnies artistiques invitées et occupant la place depuis 1999, ont alors rapidement émis le souhait de régulariser leurs situations, et ont signé une convention avec la municipalité de Tours (principal actionnaire de la SEMIVIT). Durant l’été 2007, le DAL 37 (Droit Au Logement) s’installe également dans les lieux et décide d’insuffler un peu de vie dans une maison laissée à l’abandon : peinture fraîche, réparations diverses ; il noue des liens avec les compagnies artistiques présentes… Ainsi le DAL, puis d’autres par la suite, ont pu développer en toute indépendance un lieu social de relogement et d’activités collectives, où de nombreuses personnes ont vécu jusqu’à ce jour.

Pour notre part, cela fait plusieurs années que nous cherchons à créer des espaces de vie collective et de lutte, la Victoire, le Pied de biche, etc… Autant de lieux nécessaires pour expérimenter et créer, pour mettre en place des réseaux d’entraide et de solidarité, tout en permettant à d’autres de se les réapproprier. Un lieu collectif se définit pour nous par la possibilité d’y vivre à plusieurs, et aussi, de s’émanciper tout en y développant des réflexions critiques sur nos quotidiens. Un espace dans lequel les normes sociales se font moins oppressantes et nous permet ainsi d’expérimenter de nouveaux désirs. Plus qu’un simple espace à se partager, il s’agit pour nous de mettre en perspective des communs envisageables.

S’extirpant peu à peu du chaos de la précarité, cette maison fut renommée « Thanks for the future ». C’est parce que nous avons pris nos distances avec les rôles et les contraintes, auxquels toute notre vie on nous a astreint, que l’existence de notre lieu a été menacée. Interdiction de concerts « de la mouvance anarcho-punk, susceptibles de faire venir un public aux comportements violents », ronde et occupation des lieux par la police, coupure d’eau et d’électricité… De ces lieux qui sont trop rares où se confrontent la précarité et la possibilité, la répression est une réalité quotidienne à laquelle il faut faire face.

Aujourd’hui, c’est une expulsion qui nous pend au nez. Un huissier est venu nous apporter une ordonnance sur requête, qui fait état d’une « maison sauvagement ouverte » dont les propriétaires (la SEMIVIT) « viennent juste d’être avisés ». Il y aurait donc « urgence à faire cesser cette occupation ». Après plus de 5 ans, l’urgence ne nous semble pas aussi évidente que la mauvaise foi de nos propriétaires semble le suggérer. L’ordonnance fait également mention d’un litige qui nous a opposé au Conseil d’Administration du Projet 244, lorsque ce dernier avait pris la décision de nous couper l’eau et l’électricité. Cette situation est désormais résolue et nous fournissons même l’électricité à l’une des compagnies installées sur le lieu.

À différents degrés, la municipalité a toujours cherché à instrumentaliser l’art, et donc ses artistes ; c’est pourquoi elle a pris la décision de ne sélectionner qu’une partie d’entre eux, afin de les reloger. Comme bon nombre de ceux qui à défaut de lieux adéquates ne pourront faire perdurer leurs activités, nous restons ouvert à toutes propositions de relogement, et même si certains n’hésitent plus à désigner ouvertement cette procédure, comme le début d’un « grand nettoyage ». Cette expulsion a pour but de couper court à tous liens et toutes solidarités possibles. Nous continuons d’affirmer notre volonté et la nécessité qu’il y ait des lieux, des îlots de liberté, dans lesquels nous puissions exister pleinement, dans lesquels les exigences absurdes d’uniformité et de conformisme laissent place à la libre créativité de chacun. Des lieux dans lesquels la dimension collective n’est pas une contrainte, mais un tremplin, une incitation à la rencontre. Des promesses d’un changement à venir…

thanksforthefuture@yahoo.fr

244 rue Auguste Chevalier à Tours