La condition de la femme au xxie siècle
Catégorie : Global
“La condition de la femme au xxie siècle” ; pourquoi un tel titre, pourquoi se pencher sur un tel sujet ? N’est-ce pas anachronique ou dépassé ? Après tout, ne sommes-nous pas en 2012 ? Les droits des femmes à l’égalité ne sont-ils pas reconnus en France et dans une foultitude de conventions et de déclarations à travers le monde ?
En réalité, la question de la souffrance des femmes dans une société qui demeure fondamentalement patriarcale reste entière ([1]). Partout dans le monde, la violence conjugale, la mutilation génitale rituelle, le développement d’idéologies complètement anachroniques, comme le fondamentalisme religieux, par exemple, continuent de sévir et de se développer ([2]).
Ce que les socialistes du xixe siècle appelaient “la question de la femme” reste donc posé : comment créer une société où les femmes ne subissent plus cette oppression particulière ? Et quelle doit être l’attitude des communistes révolutionnaires envers “les luttes des femmes” ?
Une première constatation : la société capitaliste a jeté les bases pour le changement le plus radical que la société humaine ait jamais connu. Toutes les sociétés antérieures, sans exception, étaient fondées sur la division sexuelle du travail. Quelle que soit leur nature de classe, et que la situation de la femme y soit plus ou moins favorable, il allait de soi que certaines occupations étaient réservées aux hommes, d’autres aux femmes. Les occupations masculines et féminines pouvaient varier d’une société à une autre mais le fait de la division était universel. Nous ne pouvons entrer ici dans une étude approfondie sur le pourquoi de ce fait, mais très vraisemblablement il est lié aux contraintes de l’enfantement, et remonte à l’aube de l’humanité. Le capitalisme, pour la première fois dans l’histoire, tend à éliminer cette division. Dès ses débuts, le capitalisme rend le travail abstrait. Là où autrefois il y avait le travail concret de l’artisan ou du paysan, encadré par les règles des guildes ou les lois coutumières, maintenant il n’y a que la main d’œuvre comptabilisée au taux horaire ou à la pièce, et peu importe qui exécute le travail. Puisque les femmes sont payées moins cher, on les fait entrer à l’usine souvent pour remplacer les hommes qui y travaillaient autrefois. C’est le cas des tisserandes notamment. Le machinisme aidant, le travail exige de moins en moins de force physique puisque la force humaine est remplacée par celle, décuplée, des machines. De nos jours, le nombre d’emplois qui exigent encore la force physique masculine est limité et on voit de plus en plus de femmes entrer dans des domaines autrefois réservés aux hommes. Les vieux préjugés sur “l’irrationalité” supposée des femmes tombent presque d’eux-mêmes, et on voit de plus en plus de femmes occuper des postes de chercheurs ou dans les professions médicales autrefois réservées aux hommes.
L’entrée massive des femmes dans le monde du travail associé ([3]) a deux conséquences potentiellement révolutionnaires :
La première conséquence, c’est qu’en mettant fin à la division sexuelle du travail, le capitalisme ouvre la voie vers un monde où hommes et femmes ne seront plus cantonnés dans des occupations sexuellement déterminées mais pourront réaliser pleinement leur talents et leurs capacités humaines. Cela ouvre aussi la perspective d’établir les relations entre les sexes sur des bases entièrement nouvelles.
La deuxième conséquence, c’est que les femmes acquièrent une indépendance économique. Une travailleuse salariée n’est plus dépendante de son mari pour vivre, et cela ouvre la possibilité, pour la première fois, aux masses de femmes ouvrières de participer à la vie publique et politique.
Dans le capitalisme, au tournant du xixe et du xxe siècle, la revendication de participer à la vie politique n’était pas limitée aux femmes ouvrières. Les femmes de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie revendiquaient elles aussi l’égalité des droits, et le droit de vote en particulier. Pour le mouvement ouvrier, cela posait la question de l’attitude à adopter vis-à-vis des mouvements féministes. Car si le mouvement ouvrier s’opposait à toute oppression de la femme, les mouvements féministes, en posant la question sociale à partir du sexe et non pas des classes, niaient le besoin d’un renversement révolutionnaire de la société, réalisé par une classe sociale composée d’hommes et de femmes : le prolétariat. Mutatis mutandis, la même question se pose aujourd’hui : quelle attitude les révolutionnaires doivent-ils adopter envers le mouvement de libération de la femme ?
Dans un article publié en mai 1912 sur la lutte pour le suffrage féminin, la révolutionnaire Rosa Luxemburg fait une nette distinction entre les femmes de la classe bourgeoise et le prolétariat féminin : “Nombre de ces femmes bourgeoises qui agissent comme des lionnes dans la lutte contre les “prérogatives masculines” marcheraient comme des brebis dociles dans le camp de la réaction conservatrice et cléricale si elles avaient le droit de vote (…) Économiquement et socialement, les femmes des classes exploiteuses ne sont pas un segment indépendant de la population. Leur unique fonction sociale, c’est d’être les instruments de la reproduction naturelle des classes dominantes. A l’opposé, les femmes du prolétariat sont économiquement indépendantes. Elles sont productives pour la société, comme les hommes” ([4]). Luxemburg fait donc une distinction très nette entre la lutte pour le suffrage des femmes prolétaires, et celle des femmes de la bourgeoisie, et elle insiste en plus sur le fait que la lutte pour les droits des femmes est une question pour toute la classe ouvrière : “Le suffrage féminin, c’est le but. Mais le mouvement de masse qui pourra l’obtenir n’est pas que l’affaire des femmes, mais une préoccupation de classe commune des femmes et des hommes du prolétariat.”
Le rejet du féminisme bourgeois est tout aussi clair chez Alexandra Kollontaï, membre du Parti bolchevique, qui publie en 1908 : La base sociale de la question de la femme : “Quoiqu’en disent les féministes, l’instinct de classe se montre toujours plus puissant que les nobles enthousiasmes de la politique “au-dessus des classes”. Tant que les femmes bourgeoises et leurs “petites sœurs” [c’est-à-dire les ouvrières, ndlr] sont égales dans leur inégalité, les premières peuvent en toute sincérité faire de grands efforts pour défendre les intérêts généraux des femmes. Mais une fois la barrière détruite et que les femmes bourgeoises ont eu accès à l’activité politique, les défenseurs récents des “droits pour toutes les femmes” deviennent les défenseurs enthousiastes des privilèges de leur classe (…) Lorsque les féministes parlent aux ouvrières de la nécessité d’une lutte commune pour réaliser un quelconque “principe général des femmes”, les femmes de la classe ouvrière sont naturellement méfiante” ([5]).
Que cette méfiance avancée par Kollontaï et Luxemburg était entièrement justifiée, fut montré dans la pratique lors de la Première Guerre mondiale. Le mouvement des “suffragettes” s’est scindé en deux : d’un côté, les féministes menées par Emmeline Pankhurst et sa fille Christabel ont donné leur soutien sans équivoque à la guerre et au gouvernement ; de l’autre, Sylvia Pankhurst en Grande-Bretagne et sa sœur Adela en Australie se sont séparées du mouvement féministe pour défendre une position internationaliste. Pendant la guerre, Sylvia Pankhurst abandonna petit à petit la référence au féminisme : sa “Women’s Suffrage Federation” devint la “Workers’ Suffrage Federation” en 1916, et son journal le Women’s Dreadnought ([6]) changea de nom pour devenir le Workers’ Dreadnought en 1917.
Luxemburg et Kollontaï admettent que les luttes des féministes et celles des femmes prolétaires peuvent se trouver momentanément sur un terrain commun, mais non pas que les femmes prolétaires doivent se fondre dans la lutte des féministes sur le terrain purement des “droits de femmes”. Il nous semble que les révolutionnaires doivent adopter la même attitude aujourd’hui, dans les conditions de notre époque évidemment.
Nous voulons terminer par une réflexion sur “l’égalité” comme revendication pour les femmes. Parce que le capitalisme traite la force de travail comme une abstraction, financièrement comptable, sa vision de l’égalité est également abstraite, comptable : une “égalité des droits”. Mais puisque les êtres humains sont tous différents, une égalité de droits devient très vite une inégalité dans les faits ([7]), et c’est pourquoi les communistes depuis Marx ne se revendiquent pas d’une “égalité” sociale. Au contraire, le slogan de la société communiste est : “De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins”. Et il y a un besoin, et capacité, que les femmes ont, que les hommes n’auront jamais : celui d’enfanter.
Une femme doit donc avoir la possibilité de mettre au monde son enfant, de le soigner pendant ses premières années, sans que cela ne se trouve en contradiction ni avec son indépendance ni avec sa participation à la vie sociale dans toutes ses dimensions. C’est un besoin, un besoin physique, que la société doit soutenir ; c’est une capacité dont la société a tout intérêt à permettre l’expression puisqu’il s’agit là de son avenir ([8]). Il n’est donc pas difficile de voir qu’une société vraiment humaine, une société communiste, ne cherchera pas à imposer une “égalité” abstraite aux femmes, qui ne serait qu’une inégalité réelle dans les faits. Elle cherchera au contraire à intégrer cette capacité spécifique aux femmes dans l’ensemble de l’activité sociale, en même temps qu’elle complétera un processus que le capitalisme n’a pu qu’entamer, et mettra fin pour la première fois de l’histoire à la division sexuelle du travail.
Courant Communiste International
[1]) Selon l’enquête nationale sur les violences envers les femmes de 2000, “en 1999, plus d’un million et demi de femmes ont été confrontées à une situation de violence, verbale, physique et/ou sexuelle. Une femme sur 20 environ a subi en 1999 une agression physique, des coups à la tentative de meurtre, [alors que] 1,2 % ont été victimes d’agressions sexuelles, de l’attouchement au viol. Ce chiffre passe à 2,2 % dans la tranche d’âge des 20-24 ans”
(cf. http://www.sosfemmes.com/violences/violences_chiffres.htm)
[2]) Pour ne prendre qu’un exemple, selon un article publié en 2008 par Human Rights Watch, les Etats-Unis ont connu une augmentation dramatique de la violence contre les femmes pendant les deux années précédentes
(cf. http://www.hrw.org/news/2008/12/18/us-soaring-rates-rap…women)
[3]) Les femmes, évidemment, ont toujours travaillé. Mais dans les sociétés de classes antérieures au capitalisme, leur travail restait majoritairement dans le domaine domestique privé.
[4]) http://www.marxists.org/francais/luxembur/works/1912/05…e.htm
[5]) Publié dans Alexandra Kollontai : Selected writings, Alison & Busby, 1977, p. 73. Traduit en français par nous.
[6]) Référence aux cuirassées de la marine britannique de l’époque.
[7]) “Le droit par sa nature ne peut consister que dans l’emploi d’une même unité de mesure ; mais les individus inégaux (et ce ne seraient pas des individus distincts, s’ils n’étaient pas inégaux) ne sont mesurables d’après une unité commune qu’autant qu’on les considère d’un même point de vue, qu’on ne les saisit que sous un aspect déterminé ; par exemple, dans le cas présent, qu’on ne les considère que comme travailleurs et rien de plus, et que l’on fait abstraction de tout le reste” (Marx, Critique du Programme de Gotha).
[8]) Nous parlons ici de façon générale. Il est évident que toutes les femmes ne ressentent pas forcément ce besoin.
Y a-t-il des femmes, feministes, au CCI? C’est une des questions qu’on peut se poser a la lecture de ce machin. Ce texte a-t-il était écrit par une femme, qui plus est participant a des luttes feministes? Cette orga sera-t-elle un jour capable d’essayer de comprendre de le monde avec d’autres grilles d’analyses que celle de la lutte des classes. Voila d’autres questions qu’on peut se poser. Le risque est de finir de se scléroser tant elle finira décaler des réalités un peu plus complexe du monde contemporains. Oui, je dis cela au risque d’être accusé de révisionnisme inter-classiste, comme des copines féministes peuvent l’avoir été de vouloir construire un mouvement de libération des femmes larges.
Mais ce texte commence mal, mais c’est intéressant parce qu’on y voit toute la limite du point de vue communiste marxiste occidentaliste : l’affirmation que « Toutes les sociétés antérieures, sans exception, étaient fondées sur la division sexuelle du travail » est déjà une affirmation de départ complètement fausse, et une façon de distordre une réalité en fonction de préceptes idéologiques. Il a existé des sociétés où les tâches n’étaient pas réparties de cette façon. Il suffit de lire l’histoire populaire des Etats-Unis d’Howard Zinn, par exemple, pour voir que certaines sociétés amer-indienne n’avaient pas ce genre de distinctions. Il aurait alors fallu préciser « sociétés occidentales »
A partir de là, tout le reste du texte, malgrès les citations savantes, perd tout intérêt…
Après tout, le CCI ayant LA réponse à tous les problèmes de l’humanité et la mission de l’inculquer aux masses, il n’est pas si étonnant de le voir régler le problème de la condition de « LA femme ». Evidemment de la seule manière qu’il connaisse : de même qu’il parle des prolétaires à la place des prolétaires, il parle des femmes à la place des femmes. Le tout c’est que ça rentre dans son schéma de la « lutte de classes » établi une fois pour toutes et hors duquel il n’y a pas de salut.
L’humanité et plus précisément la classe ouvrière seront éternellement reconnaissantes au CCI d’avoir introduit la notion d’« égalité abstraite » pour désigner les besoins petits-bourgeois et égoïstes d’une catégorie de la population qui essaie d’échapper à son rôle reproducteur au service de la révolution et du communisme.
Théoriquement aux deux bouts de l’échiquier politique, le CCI et Charlie Hebdo se retrouvent parfaitement pour nous asséner leurs vérités au service de l’idéologie dominante.
Charlie Hebdo : l’imposture féministe
Réflexions d’une féministe atterrée à la lecture d’une publication qui lui est adressée (première partie)
par Dinaïg Stall
9 février 2012
Charlie Hebdo, journal qui a abrité pendant plus de quinze ans les inénarrables éditos de Philippe Val mêlant – entre autres ! – défense d’Israël comme base avancée de la Pensée Occidentale Eclairée en Terres Obscurantistes et assimilation au nazisme de tout argument lui étant opposé, a sorti en avril-mai 2011 un hors-série dédié au féminisme, sous le titre « Le féminisme est l’avenir de l’homme ».Philippe Val ayant quitté en 2009 la direction de l’hebdomadaire et fait des déclarations ayant le mérite de la clarté en arrivant à Radio France, il ne semblait pas totalement impossible que, débarrassé de son éditocrate self-righteous [1] et quelque peu dessillé sur les convictions politiques de ce dernier, le reste de l’équipe fasse sensiblement évoluer la ligne éditoriale pour la sortir de l’ornière de droitisation manifeste que lui avait valu cette longue hégémonie valienne. C’est en tout cas avec une infime lueur d’espoir que j’ai lu ce hors-série, un espoir sans doute risible que cet hebdomadaire cesse enfin d’être l’un des étendards fièrement arborés d’un racisme qui se croit vertueux dans ses habits de gauche…
Il me faut sans doute dire aussi que j’ai longtemps lu Charlie Hebdo, en gros depuis la fin du lycée où j’ai commencé par piquer des numéros dans l’entourage, ce dernier étant globalement « à la gauche de la gauche » comme on dit de nos jours. Et par la suite avec même une certaine assiduité, jusqu’à finir il y a quelques années par me rendre compte que cela confinait au masochisme.
Je me souviens avoir, de plus en plus souvent au fil des ans, tiqué à sa lecture (Mais qu’est-ce que c’est que cet édito hargneux et méprisant contre les partisans du non au traité européen ? Ah tiens, il est copain avec BHL Val maintenant ? Depuis quand Israël est le parangon de la démocratie ?), mais sans réaliser l’ampleur du changement qui s’effectuait au sein du journal.
Et c’est parce qu’il m’a fallu du temps et de nombreuses lectures pour déconstruire tout un tas d’ « évidences » acquises au contact de ce journal, que j’ai envie de me pencher sur son cas. En espérant que cette analyse me permettra aussi d’être plus articulée la prochaine fois qu’un membre dudit entourage « de gauche » m’assènera avec véhémence une de ces « évidences » qui relève en réalité de l’impensé raciste.
Anatomie du hors-série
Le hors-série est essentiellement composé d’entretiens avec (à l’exception de Fabrice Virgili, seul homme interviewé) des femmes de différents horizons : militantes issues d’associations et collectifs féministes ou se définissant comme tels, chercheuses, journalistes, artistes… Il est à noter que les deux tiers des contributions sont françaises et parmi celles-ci, pas une seule n’émane d’une femme racisée. Les seules ayant voix au chapitre sur la question du féminisme et de ses avancées en France sont blanches. Cela peut paraître sans importance mais on verra qu’il n’en est rien.
Parce qu’il n’est pas indifférent de voir de quoi parle chaque entretien (en tout cas quel titre Charlie Hebdo a décidé de lui donner) et quel espace il a été laissé à chacune pour développer son argumentaire, voici un rapide sommaire du numéro, qui indique le nombre de pages attribué à chacune :
Florence Montreynaud, « Merde à la galanterie, vive la politesse ! » : 3 pages
Caroline Fourest, « Le féminisme est intimement lié à la défense de la laïcité » : 4 pages
Caroline de Haas, « Le jour où Sarkozy sera féministe, ça se saura… » : 3 pages
Marie-Pierre Martinet, « L’IVG sous perfusion » : 1 page
Virginie Despentes, « Si j’avais 16 ans aujourd’hui, il me semble que je deviendrais un homme » : 4 pages (plus une illustration pleine page)
Alix Béranger, « Que les femmes prennent le pouvoir, on verra bien ce qu’elles en feront ! » : 2 pages
Odile Buisson, « Si la femme jouit plus, l’homme jouira plus » : 6 pages
Catherine Vidal, « Le cerveau à la fois hermaphrodite et caméléon » : 2 pages
Françoise Héritier, « Les femmes, matière première de la reproduction » : 2 pages
Lydia Cacho, « L’économie de marché soutient l’exploitation et l’esclavage sexuels » : 4 pages
Fabrice Virgili, « La guerre, une histoire de sexes » : 1 page
Pinar Selek, « Le changement en Turquie viendra des femmes » : 2 pages
Agnès Binagwaho, « Au Rwanda, si 30% des élus ne sont pas des femmes, on recommence ! », 1 page
Chahla Chafiq, « Le féminisme islamique est une invention occidentale » : 4 pages
JD Samson, « En anglais, man fait partie de woman » : 3 pages
A cela, il faut ajouter un édito de Gérard Biard (1 page), et des « panoramas », c’est-à-dire des articles portant sur des pays autres que la France, écrits par Eric Simon (« Pologne, Un curé derrière chaque femme », « Russie, Debout les utérus de la Terre ! » et « Armes de pacification massive, Femmes d’Irak à la reconquête de leurs droits », 1 page pour chaque article), par Patrick Chesnet (« Féminisme et transcendance, L’Asie, un paradis pour les religions, un enfer pour les femmes », 2 pages) et par Gérard Biard (« Masculinisme, Vive le Québec mâle ! », 1 page).
On peut également ajouter les nombreuses illustrations des contributeurs et -trices habituel-le-s du journal, certaines en pleine page, notamment les BD de Catherine sur les femmes de dictateur.
On peut également noter que sur les 15 entretiens, 2 (les plus courts : 1 page) ont été menés par Sylvie Coma, 1 par Valérie Manteau (et Luz), 1 par Luz seul, 1 par Antonio Fischetti et… 10 par Gérard Biard.
Le rédacteur en chef, auteur de l’édito, est également celui qui a mené deux tiers des entretiens. On peut d’ores et déjà dire que son influence et sa vision politique ne peuvent qu’influencer massivement le contenu du hors-série.
Il y aurait beaucoup à dire sur la sélection qui a été faite et les personnes qui ont été choisies pour s’exprimer sur le sujet. C’est sans surprise que l’on retrouve Caroline Fourest, grande habituée des pages du journal – même si ses contributions sont moins fréquentes depuis le départ de Val – ainsi que d’autres, proches du PS, telle que Caroline de Haas.
On a eu récemment l’occasion de lire un certain nombre de contributions de féministes importantes au moment de l’affaire DSK, contributions d’ailleurs rassemblées depuis par Christine Delphy dans le recueil Un troussage de domestique. Est-il bien utile de préciser que pas une d’entre elles ne fait partie du panel choisi par Charlie pour (re)présenter le féminisme en France ? On verra plus loin que, Christine Delphy étant visiblement une sorte d’Antéchrist du féminisme pour le rédacteur en chef du journal, ce choix est finalement très cohérent. Et assure que les sujets qui fâchent ne seront pas traités, ou alors seulement selon l’angle défendu par le journal.
On peut aussi s’étonner de ce que l’article le plus long soit celui consacré au point G (existe-ti, existe-tipa ?), alors qu’il n’est accordé qu’une maigrichonne page unique au planning familial et à son cri d’alerte sur la mise en danger de l’IVG en France.
Non pas que l’article ou le fait de parler de la sexualité soit sans intérêt, loin de là. Il aurait même été judicieux qu’un entretien porte sur la façon dont est édicté ce qu’il convient de faire et de vouloir lorsque l’on est une femme (lorsque l’on est un homme aussi d’ailleurs).
Mais ce n’est pas tant chaque contribution pour elle-même que je vais tenter d’examiner ici – plusieurs autres, sur lesquelles je reviendrai, étant d’ailleurs pertinentes – mais plutôt l’ensemble dans lequel elles sont intégrées et la logique de leur articulation (lorsqu’il y en a une).
Car si certains aspects du hors-série peuvent au premier abord sembler simplement maladroits au lecteur ou à la lectrice non averti-e, ou liés à la volonté de vulgariser des travaux plus complexes, on s’aperçoit en fait très rapidement que les non-dits procèdent de présupposés politiques précis et les raccourcis d’une volonté d’orientation du débat autour d’une grille de lecture raciste. Cela transparaît très clairement dès l’édito de Gérard Biard et est réitéré tout au long du numéro, notamment à travers les questions posées en entretien par le même Gérard Biard.
Reprenons au début…
Sans doute cela vaut-il la peine de commencer par le commencement, à savoir la couverture, assez emblématique du féminisme « à la Charlie ».
Passons sur le fait que, pour faire un « bon mot » (« la femme/le féminisme est l’avenir de l’homme », pas sûr que ce soit bon, mais c’est le titre qui a été choisi…), il est réaffirmé dès le titre que le mot « homme » désigne le genre humain dans son entier, et donc aussi les femmes. Et ce nonobstant les nombreuses analyses féministes qui ont largement et régulièrement dénoncé le processus d’invisibilisation des femmes que cela provoque et le fait que les « intellectuels » français, tout particulièrement, font montre d’une singulière résistance en ce domaine : nous sommes en effet l’un des derniers pays à continuer à utiliser l’expression « droits de l’homme » et non « droits humains » [2].
Ce qui frappe surtout immédiatement, c’est le dessin de Catherine, qui prend une bonne moitié de la hauteur de la couverture (et continue sur le quatrième de couv’ sans néanmoins apporter beaucoup de changement à l’effet produit). Il s’agit de six femmes, dont quatre sont blanches, une arabe, et une bleue tout droit sortie d’Avatar – c’est la représentation des minorités à la française. Le quatrième de couverture en rajoute une couche en nous offrant également, entre autres, une Noire en boubou et une geisha pour faire « universel », ainsi qu’une… barbamama. Universel, on vous dit. Toutes sont dans la position iconique de la célèbre affiche américaine « We can do it » de 1943 qui dépeint sur un mode héroïque la femme qui fait un métier d’homme dans l’armement pendant que les boys sont au front, affiche qui a ensuite été souvent utilisée comme iconographie/symbole du féminisme.
La femme occidentale a donc droit à plusieurs incarnations, d’Eve à une Marilyn étrangement velue, alors que la femme arabe, musulmane puisque voilée, est fossilisée dans une représentation unique et immuable : battue (elle a un cocard et crache une dent) et lapidée (elle est jusqu’à la tête enfouie sous un tas de cailloux).
Des six femmes, c’est également la seule sur qui on peut lire les stigmates d’une violence physique. Les autres au contraire arborent un large sourire très « go fuck yourself », et semblent posséder les outils de leur libération : d’une Eve croquant goulument la pomme en arborant un sac en peau de serpent à une sorte de Simone de Beauvoir tatouée d’une tête de Sartre entourée de la maxime « Quand je veux », en passant par une Olympe de Gouge brandissant la déclaration des Droits de la Femme.
A la femme arabe en revanche, on ne peut guère imaginer d’autre horizon que celui de victime.
Cette première image, dont on peut dire sans jeu de mot qu’elle annonce la couleur, va se voir confirmée dans tout le numéro, avec une insistance qui frise l’acharnement. Gérard Biard veille en effet tout au long de ses entretiens et dès son édito à nous faire bien comprendre que le féminisme, c’est bien, non pas surtout quand il est occidental, mais à vrai dire uniquement quand il l’est. D’ailleurs, c’est bien simple, il n’existe de véritable féminisme qu’occidental.
Et si l’on veut bien reconnaître que les femmes françaises n’ont pas tous les jours la vie facile, c’est surtout pour bien insister sur le fait que les femmes du reste du monde, et tout particulièrement les non-Blanches, et plus précisément encore les Arabes, et on pourrait même aller jusqu’au plus petit bout de la lorgnette et dire les Musulmanes, et bien il faut bien dire, hein, quand même, que pour elles, c’est le pompon. Parce qu’elles ne peuvent pas s’appuyer sur des alliés mâles bienveillants, elles, vu que les non-Blancs, et tout particulièrement, et plus précisément, etc… et bah c’est pas des gens comme nous, c’est des sauvages. D’ailleurs la preuve c’est qu’ils immolent leur(s) femme(s) (parce qu’en plus ils en ont plusieurs !) au lieu de les envoyer ad Patres à coups de poing bien de chez nous.
Et que, comble de l’horreur, ils sont généralement croyants. Et que la religion, c’est le Mal.
Point barre.
L’édito
ou la preuve que le féminisme n’est pas « qu’un regroupement de matrones moustachues et vindicatives, dont le seul but est de se confectionner des colliers de couilles » (pour un sous-titre ça fait long, mais c’est trop bon)
Sous le titre « Des hommes comme les autres », Gérard Biard articule le raisonnement qui va être celui de tout le hors-série, à savoir donner la définition du féminisme-le-vrai-le-seul-l’unique, ses buts, ses horizons et le mode d’action qui lui sied au teint. Et ça fait peur.
Après une mention ironique des vociférations d’Eric Zemmour (ça ne mange pas de pain, le sieur est si caricatural qu’il révulse toute personne normalement constituée), l’auteur rappelle les chiffres accablants au niveau mondial puis national (répartition genrée de la pauvreté, de l’analphabétisme, des violences…).
Mais ce constat, chiffré et peu contestable, l’amène immédiatement à une interprétation qui elle l’est nettement plus (contestable) : plutôt que d’articuler ce système d’oppression à d’autres eux aussi structurels, à la fois dans ce pays et dans le monde en règle générale, tels que la domination des Blancs sur les Non-Blancs, Gérard Biard les met en concurrence (« les premières victimes de l’esclavage, de l’exploitation, des discriminations, de l’injustice, de la misère, des inégalités et des violences, ce ne sont ni les minorités, ni les opposants, ni les immigrés, ni les colonisés, ce sont les femmes. »)
Quelle étrange énumération, et quelle étrange logique… Est-ce à dire que seule cette oppression vaut qu’on la combatte, ou qu’elle ne peut être croisée avec d’autres ? Y aurait-il une hiérarchie dans la souffrance ? Ne peut-on être à la fois une femme et non-blanche ? Et dans ce cas, s’amuse-t-on vraiment à savoir à quel titre on sert de punching ball ?
Pire encore, la phrase qui suit (« La moitié de l’humanité vit sous la domination de l’autre moitié, qui n’en est pas plus heureuse pour ça. ») occulte d’une façon proprement ahurissante le fait que le système patriarcal (qui d’ailleurs n’est jamais nommé en tant que tel dans l’édito) profite bien à une catégorie, en l’occurrence les hommes. Certains d’entre eux peuvent, bien heureusement, le déplorer et le combattre, voire s’en trouver effectivement malheureux. Mais nier qu’en tant que catégorie la domination leur profite est un véritable tour de passe-passe rhétorique…
Voulant ensuite déboulonner le mythe des féministes « moustachues et vindicatives, dont le seul but est de se confectionner des colliers de couilles » (on remarquera l’attention gourmande et imagée apportée à la description de ce qui, donc, n’est pourtant qu’un mythe !) [3], l’éditorialiste accumule les tournures ambivalentes, voire confinant au lapsus révélateur.
Outre le fait qu’il écrive qu’ « En 2011, le féminisme ne prétend pas que la femme est meilleure que l’homme » – laissant entendre par là que peut-être, en d’autres temps, c’est cela qui était prétendu mais que le féminisme contemporain est revenu à plus de modération et de retenue – il répète à plusieurs reprises en trois phrases cette notion de « valeur » (la femme vaut « autant » que l’homme, « pas plus, pas moins »).
Ce qui décentre profondément le combat féministe qui lutte justement contre l’assignation qui est faite aux femmes à prouver leur valeur, la valeur au moins égale de leur travail, de leur pensée, de leur vie même. Ce qui est l’objet de la lutte, c’est l’égalité des droits, indépendamment de la notion de valeur.
La suite est du même tonneau. Gérard Biard y fait montre d’une ingénuité confondante, dont il est d’ailleurs permis de douter qu’elle est sincère, lorsqu’il écrit que « cela [le fait que le féminisme est une « bonne base pour bâtir un monde acceptable pour tous »] apparaît d’ailleurs de plus en plus comme une évidence ». On voit bien ce qu’il peut y avoir de rassurant à se le raconter, et l’énoncé pourrait presque passer pour une forme de sympathique wishfull thinking s’il n’éludait pas, une fois de plus, la résistance dure et organisée à tous les niveaux de la société, y compris dans les milieux médiatiques, qui travaille à nier cette « évidence » et fait tout pour que le féminisme n’en devienne jamais une.
Cette pensée est d’ailleurs réitérée plus tard lorsque l’auteur écrit « Au fond, c’est un mouvement [le féminisme] qui s’inscrit dans la « destinée » de l’être humain, qui n’a cessé d’évoluer depuis qu’il a quitté la condition d’amibe. » Si véritablement nous évoluons vers une « destinée » meilleure, alors pourquoi lutter ? Et surtout, si le féminisme est voué à advenir de façon inéluctable, comment expliquer tant de régressions, de combats défensifs contre des backlash parfois larvés, et de plus en plus souvent à ciel ouvert ? [4]
Enfin – et cela donne sans doute la clef pour comprendre l’objet même de ce hors-série –Gérard Biard fait la liste des « sujets de débat » qui selon lui sont traversés par « la question du rôle des femmes et de l’application de leurs droits », liste qui déclenche immédiatement une sirène d’alarme « : la laïcité, la bioéthique, la répartition du travail et des richesses, la gestion de l’allongement de la durée de vie… » [5]
On voit bien dans cette liste la priorité absolue accordée à la laïcité sur tous les autres combats. De ce point de vue, il semble bien que Charlie Hebdo ait le même type de priorité que les gouvernements UMP successifs, qui n’ont d’autres « fait d’armes » à présenter sur la question du droits des femmes que des lois racistes qui prétendent libérer les femmes de confession musulmane de la tutelle des hommes de même confession, laissant entendre que non seulement la relation homme/femme chez les Musulman-e-s tient forcément et uniquement de l’oppression, mais que de surcroit il s’agit là de la seule forme d’oppression des femmes existant en France (puisqu’en se tournant vers les Blancs-qui-ne-lui-veulent-que-du-bien, la Femme Musulmane Libérée n’a plus rien à craindre).
Le fait que la répartition du travail et des richesses n’apparaissent qu’en troisième place, après la bioéthique ( !) et qu’il ne soit nulle part fait mention de la violence masculine faite aux femmes (lutte contre le viol, le harcèlement sexuel, toutes les formes de brutalités dans le couple et au-delà…) est absolument affligeant pour un numéro censément dédié au féminisme.
L’édito se termine sur un paragraphe que l’on voudrait applaudir des deux mains : « Autrement dit, à l’heure où l’on ne cesse de déplorer la perte d’idéaux porteurs de lendemains qui ne chantent pas trop faux, le féminisme, loin d’être un combat dépassé, pourrait être un beau programme pour l’avenir. »
Le problème, comme avec tout programme politique, est qu’avant d’y adhérer, on doit en connaître le contenu. Et celui du « féminisme » à la Charlie Hebdo, s’avère des plus problématiques…
Deuxième partie
notes
[1] Les éditocrates Ou comment parler de (presque) tout en racontant (vraiment) n’importe quoi, Mona Chollet et al., Editions La Découverte. Voir aussi sur lmsi la partie qui concerne Philippe Val et Charlie Hebdo, « L’obscurantisme beauf ».
[2] Voir le texte « Droits humains ou droits de l’homme » de Christine Delphy dans Un universalisme si particulier, Editions Syllepse.
[3] Plus tard, une question à Caroline Fourest évoque, toujours sur le mode de la dénégation, les « ‘emmerdeuses avec de la moustache sous le nez » : décidément, la pilosité est un facteur décisif ! A toutes les féministes qui seraient moustachues parce que a) des hommes (bah oui, heureusement il y en a aussi… et le simple fait que cela ne soit jamais envisagé par Gérard Biard en dit long) b) des transgenres c) des femmes rejetant le diktat de la décoloration jaune pisseux au-dessus de la lèvre : tremblez ! On ne peut que se demander si Gérard Biard aurait utilisé le même type de langage s’il avait lui-même interviewé JD Samson, la chanteuse de Men qui arbore sans complexe une fine moustache !
[4] Voir Christine Delphy, « Retrouver l’élan du féminisme » dans Un universalisme si particulier, et ce qu’elle appelle le « mythe de l’égalité-déjà-là » et la « vision idéologique du progrès-qui-marche-tout-seul »
[5] On retrouve cette liste presque à l’identique dans une question posée à Caroline de Haas : « L’action féministe recoupe aujourd’hui la plupart des grands débats de société : la laïcité, la bioéthique, les retraites, les droits des homosexuels, même les débats qu’on instrumentalise, comme l’insécurité, la violence… » Vois comme il est pratique de parler d’instrumentalisation pour mieux s’en dédouaner : chacun-e sait bien qu’en France, à l’heure actuelle, la laïcité ne fait PAS partie des « grands débats de société qu’on instrumentalise »…
http://lmsi.net/Charlie-Hebdo-l-imposture
Le premier commentaire n’est visiblement pas d’accord avec l’article du CCI, mais on peine à comprendre pourquoi.
En ce quoi concerne la division sexuelle du travail, elle existe dès les débuts de l’humanité, et les travaux actuels d’anthropologues comme Camilla Power ne font que le confirmer. Qu’il y ait eu des exceptions locales avec partage complet des tâches – et encore, je demande à voir – ne change rien à ce que dit l’article : une société N’EST PAS un groupe ethnique. Chez les Indiens, il y avait beaucoup de différences entre les chasseurs-cueilleurs et les cultivateurs…
Visiblement, pour l’auteur du commentaire, le problème est ailleurs, mais il ne dit pas où. J’aimerais aussi qu’on parle des « réalités un peu plus complexes du monde contemporain », parce que je ne vois absolument pas de quoi il s’agit.
Rosa (Luxemburg) et Alexandra( Kollontai), quelles belles femmes …
[Imc-france-lille] [Notification de refus] 27324 « La condition de la femme au XXIe siècle »
Raison : On se passera de l’hétérosexisme du CCI..
http://lists.indymedia.org/pipermail/imc-france-lille/2….html
Bien vu. Cette contrib est dans le fond assez questionnable, ne serait-ce que par la non prise en compte ou connaissance des reflexions féministes, ou des questions de genre. « La » femme par exemple n’existe pas, et il y a d’autres moyens de lire et analyser la lutte des femmes que par la simple grille d’analyse marxiste / classiste…