Tandis que l’opposition électorale de gauche tente d’obtenir l’invalidation juridique des élections au travers des plaintes et recours juridiques contre les pratiques de pression et d’achat de vote en dénonçant notamment le rôle dans l’achat des votes d’entreprises assurant des services de facturation électronique (Monex , Telcel…) ou de distribution de cartes d’achats de supermarché (Soriana principalement), ainsi qu’un possible blanchiment d’argent au travers du financement de la campagne électorale de Peña Nieto,
à Atenco, bourgade située dans la grande banlieue de la ville de Mexico, eut lieu le week-end dernier la première « Convention Nationale contre l’imposition » convoquée à l’initiative des macheteros [[Les habitants en lutte d’Atenco sont souvent dénommés « macheteros », pour leur propension à emmener systématiquement avec eux leurs machettes durant les manifestations, assemblées et rencontres publiques, en symbole de la résistance paysanne. En 2001, les habitants de cette municipalité menèrent une lutte extrêmement dure contre les menaces d’expropriation de leurs terres collectives en vue de la construction du nouvel aéroport international de la ville de Mexico.]] et du mouvement étudiant « #yosoy132 » [[Le mouvement « #yosoy132 » est né de la contestation étudiante à la candidature de Peña Nieto. Celui-ci, désireux de renforcer son image de « jeune candidat dynamique » en organisant un débat au sein de l’Ibero, une université très cotée, y fut sévèrement questionné sur la répression qu’il organisa en 2006 contre le village d’Atenco, son ignorance littéraire ou la corruption de son parti… avant d’être chassé par les étudiants de l’université à la surprise générale. Refusant d’y croire, ses conseillers affirmèrent que les protestataires étaient des infiltrés. Ce fut la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. 131 étudiantEs présentEs à son « accueil » postèrent sur internet photos et vidéos, carte d’étudiantE en main, pour montrer que la contestation bien réelle touchait même les étudiants de cette grande université. Le mot d’ordre « Je suis le 132e » (« Yo soy 132 ») réunit les opposantEs et fit boule de neige au sein de toutes les universités du pays. Depuis, des manifestations très massives eurent lieu contre le PRI, et le système électoral, médiatique et politique. L’élection de Peña Nieto n’a pas stoppé ce mouvement, qui continue et s’organise pour prouver notamment le rôle de la fraude et de l’achat des votes dans la victoire du PRI et faire invalider les élections. Le mouvement, “apartidaire, autonome, antineoliberal, pacifique, pluriel, démocratique et incluant », lutte pour « une transformation de la société mexicaine et de ses institutions politiques, impliquant une démocratie authentique ». Il s’organise pour le moment autour de plusieurs dizaines d’assemblées générales universitaires, et s’élargit peu à peu à à des zones géographiques et d’autres secteurs de la population.]].

Plusieurs milliers de participants représentant près de 300 organisations, venus de quasiment toutes les régions du pays, s’y sont retrouvés afin d’esquisser un programme d’action contre l’imposition du nouveau régime. Dans leur discours d’ouverture, le mouvement étudiant et citoyen « #yosoy132 » déclara que « le processus électoral présente suffisamment d’anomalies pour pouvoir affirmer qu’il ne s’agit pas d’un processus démocratique », et que l’imposition d’Enrique Peña Nieto comme nouveau président répondait à une campagne menée depuis plusieurs années par différents groupes de pouvoir nationaux et internationaux afin de mettre en place un certain nombre de réformes structurelles néo-libérales, parmi lesquelles la réforme du droit du travail, de la fiscalité et la réforme du secteur de l’énergie ; et qu’en conséquence de quoi, le mouvement refusait d’admettre comme légitime la victoire de Peña Nieto, appuyant la lutte juridique et sociale afin de mettre à jour la fraude électorale, et en appellelant à l’auto-organisation et à la constitution d’assemblées de base et de brigades d’informations afin de promouvoir la lutte contre l’imposition de Peña Nieto d’un côté, et de l’autre pour une lutte plus structurelle, incluant : la démocratisation et la transformation des médias d’information et de diffusion, le changement du modèle éducatif, scientifique et technologique, l’abandon du modèle néo-libéral, le retrait des forces armées des fonctions de police, l’arrêt de la criminalisation et de la répression des mouvements sociaux et de la population, la lutte pour un service de santé publique, ainsi que la transformation sociale du pays et l’alliance avec les mouvements sociaux (programme issu des assemblées du mouvement).

De son côté, Trini Ramirez, porte-parole des Atenquenses, insista sur la dimension historique du moment présent: “S’il y a histoire, il y a avenir, et s’il y a avenir, il y a espoir. Car l’histoire est à conquérir, l’histoire se gagne, est c’est pour cela que dépend de nous le sens de l’histoire ». Rappelant la répression mise en œuvre et assumée par Enrique Peña Nieto contre le village d’Atenco en 2006, celle-ci précisa que ce n’était pas un hasard si c’est à Atenco que débutait cette rencontre, ni qu’elle ait lieu en 2012. « Le processus électoral nous enseigne quelque chose », précisa-t-elle.

« La voie institutionnelle pour arriver au pouvoir n’est pas suffisante, le système politique mexicain est conçu pour maintenir l’hégémonie du bloc au pouvoir au travers de la fraude électorale, comme cela a déjà eu lieu en 1988, en 2006 et cette année à nouveau, au travers de l’achat des votes, la pression sur les votants, le vol des urnes, la fraude électronique et l’interruption du système. Nous autres nous ne pouvons pas attendre jusqu’à 2018 que les seigneurs du pouvoir économique et politique acceptent leur défaite, car ils ne l’accepteront jamais. Nous autres nous pensons que nous devons nous organiser pour empêcher cette imposition, que nous devons nous organiser pour construire une démocratie depuis en-bas, cette démocratie qui ne nous représentera que si nos intérêts comme villages, communautés, organisations et secteurs de lutte y sont représentés et non les intérêts des partis politiques et des groupes de pouvoir répondant aux blocs économiques et politiques exerçant leur hégémonie mondiale. (…)

Il est faux de croire que le PRI revient et que le PAN s’en va : la seule chose qui revient est une nouvelle impulsion donnée à la stratégie d’approfondissement du néo-libéralisme afin de s’emparer de la richesse de notre patrie, d’exploiter la force de travail de nos gens, et de s’approprier la conscience du peuple afin de nous faire croire qu’il n’y a pas d’alternatives et que le capitalisme est la seul sens de l’histoire, même s’il implique la mort et le saccage de nos villages et de nos peuples. C’est ainsi que nous voyons comment nos luttes passent à une phase plus intense de la résistance du fait de l’offensive préparée par Peña Nieto contre nos villages. A Vicam [[Vicam, principale communauté du peuple indigène yaqui, est une communauté en lutte pour la défense de son territoire et contre la spoliation de ses rivières au profit de la zone industrielle de la ville d’Hermosilla. Elle fut le siège en 2007 de la rencontre continentale des peuples indiens des Amériques.]] dans le Sonora, à Temacapulin [[Temacapulin est un village du Jalisco en lutte contre l’imposition d’un barrage hydro-électrique qui devrait y noyer la vallée]] dans le Jalisco, à Huexca [[Huexca est un village du Morelos situé près du volcan Popocatepetl, en lutte contre la construction d’une centrale thermique et d’un gazoduc sur ses terres. La communauté fut le siège de la dernière rencontre du mouvement étudiant « #yosoy132 ».]] dans le Morelos, avec la CECOP [[Le Conseil des ejidos et communautés opposées au barrage est une organisation née de la lutte de dizaines de communautés nahuas du Guerrero contre l’impostion d’un barrage hydro-électrique sur le rio Balsas, qui devait entraîner l’inondation de pres de 15 000 hectares de terres agricoles collectives et le déplacement de plus de 20 000 personnes.]] et la Police Communautaire dans le Guerrero [[la Police communautaire est une organisation de justice et d’auto-défense née de la coordination de plusieurs dizaines de villages indigènes de l’est du Guerrero confrontées au narco-trafic et aux exactions de l’armée et à la corruption de la police locale. L’organisation s’est récemment positionnée en rejet des projets miniers sur son territoire et pour la promotion des élections municipales par assemblée et us et coutumes]], à Chéran [[Chéran est une grosse communauté purépech’a du Michoacan, en lutte contre le narco-trafic et le saccage des forêts de la communauté par les traficants de bois. Face à l’assassinat de plusieurs villageois, le village installa il y a un an et demi des barricades sur toutes les routes et rues du village, et a depuis rejeté le fonctionnement municipal classique pour un gouvernement basé sur les assemblées générales et la désignation d’un conseil majeur dirigeant selon les anciens us et coutumes de la communauté. ]] dans le Michoacan, à Wirikuta [[Wirikuta est le territoire cérémonial traditionnel du peuple wixarika, aussi appelé huichol, où s’organise chaque année le grand pèlerinage traditionnel des cérémonies du peyotl. La concession de ce territoire désertique à des entreprises minières a récemment entraîné la formation d’un grand front de résistance au saccage du territoire traditionnel wixarika et à l’exploitation minière.]] avec le peuple Wirarika et ici à Atenco, nos peuples se retrouvent face à une importante croisée des chemins. Ou se laisser mourir face à la spoliation capitaliste au travers de l’offensive du mauvais gouvernement, ou lutter pour défendre notre patrie et rompre avec des siècles de colonialisme dominant. S’il en est ainsi, la question que nous nous posons aujourd’hui est celle-ci : continuerons nous à lutter seuls, ou bien serons-nous capables de nous unifier pour combattre ensemble contre le régime autoritaire représenté aujourd’hui par Peña Nieto ? »

C’est avec ces questionnements en tête que se sont mis en place durant la journée du samedi 14 juillet sept tables de travail, autour des trois thèmes de la rencontre : comment lutter contre l’imposition, quelle structure organisationnelle, et quel programme de lutte. Plusieurs heures durant, chacune des tables de travail recensa propositions, remarques et perspectives des participants. Ces propositions furent synthétisées en 3 documents, disponibles sur internet, qui furent eux-mêmes soumis à discussion et approbation générale le lendemain. L’idée en était que le document final, « accords de la première convention nationale », serve ensuite de matrice aux discussions et aux actions des assemblées locales, régionales et de chaque groupe voulant participer à la dynamique de la « convention nationale contre l’imposition ».

Le premier point de la convention postule qu’il n’y a pas lieu de céder face au pouvoir de l’argent, et qu’il n’y a pas de démocratie là où les votes sont achetés et où les chaînes de télévision dirigent la société. La convention pose pour principe de ne pas reconnaître Peña Nieto et de tout mettre en œuvre pour qu’il ne soit pas Président. Les menaces répressives représentées par la nomination d’un conseiller militaire colombien, Oscar Naranjo, y sont également mises en avant, ainsi que la nécessaire condamnation des responsables des 70 000 morts de la soi-disante « guerre contre le narco-trafic ». La convention appelle à la lutte contre les réformes néo-libérales que Peña Nieto compte mettre en place (travail, impôts, énergie et sécurité sociale), se donnant ainsi une perspective allant au-delà de la simple conjoncture électorale.

Le plan d’action central proposé pour le moment jusqu’à octobre recouvre :
– Manifestations générales le 22 juillet
– Prise ou encerclement des installations de la chaîne Télévisa le 27 juillet, suivant les rapports de force locaux.
– Journée de lutte nationale pour l’anniversaire de la naissance d’Emiliano Zapata le 8 août, reprise de son programme et de son exemple de lutte, et proposition de manifestation contre la présence de Felipe Calderon le 8 août à Anenecuilco, lieu de naissance de Zapata.
– Marche nationale le 11 août conjointement au syndicat mexicain des électriciens, en lutte depuis 2008 pour la réintégration de près de 40 000 électriciens licenciés au moment de la fermeture de l’entreprise para-étatique « Luz y fuerza del centro ».
– Journée de lutte le 1er septembre, avec prise des places publiques, mobilisations locales et activités culturelles. Marche au DF depuis le tribunal électoral jusqu’à San Lazaro en rejet de la prise de fonction des députés et sénateurs et du discours attendu de Calderon.
– Journée de lutte nationale le 6 septembre avec blocages, ouverture des péages et prises de bâtiments, suivant les rapports de force dans chaque région. Suivant les possibilités de chaque région, réalisation de rencontres des conventions de chaque Etat en vue de la seconde Convention Nationale.
– 15 et 16 septembre. Prise des places publiques au cri de « Viva Mexico sin PRI !»
– 2 octobre. Grève générale étudiante à voter par université, et marche en commémoration de la répression du 2 octobre 1968 qui fit alors plus de 300 morts.

Une deuxième Convention Nationale est prévue pour les 22 et 23 septembre, à Oaxaca, et une coordination nationale provisoire formée de 2 représentants des 360 organisations participantes fut prévue afin d’organiser cette convention.

Enfin, fut porté à discussion le programme de lutte défini par le mouvement «#yosoy132 » : démocratisation et transformation des médias de communication, d’information et de diffusion, changement du modèle éducatif, scientifique et technologique, changement et lutte contre le modèle économique néo-libéral, contre le modèle de sécurité national et de justice (incluant la lutte contre la répression, contre les féminicides, la reconnaissance des processus d’auto-défense et de sécurité communautaire et de lutte contre les méga-projets), lutte pour la transformation sociale et alliance avec les mouvements sociaux et enfin, lutte contre la privatisation et pour la pleine reconnaissance et l’acception élargie du droit à la santé.

La convention se termina en appelant à la discussion, la tolérance et l’unité dans la lutte, et en laissant la parole aux délégués de la communauté purépech’a de Chéran, où deux comuneros furent récemment torturés et assassinés. Les délégués de Chéran, où fut aboli le régime des partis politiques au profit de la mise en place d’assemblées générales et d’un conseil principal de la communauté, revendiquèrent leur lutte contre la partidocratie, contre l’impunité, la mort et la disparition de 13 des leurs, et leur droit à l’auto-défense face au règne des mafias au pouvoir.

Depuis la tenue de la convention, l’appel à certaines actions comme la prise ou l’encerclement de Télévisa est objet de polémiques et de discussion, notamment au sein du mouvement « #yosoy132 », tandis que de son côté, Lopez Obrador tente d’appeler au calme et au strict respect « des lois et du cadre juridique » dans la lutte contre l’imposition électorale…

voir aussi
[lettre d un compa mexicain au sujet des elections->http://www.lavoiedujaguar.net/Mexico-le-15-juillet-2012]
[liste d information en francais du CSPCL->http://listes.samizdat.net/sympa/rss/latest_arc/cspcl-f…nt=20]