Nous luttons ici contre un aéroport, alors que d’autres luttent contre les lignes de trains à grande vitesse au Val Susa et au pays Basque, contre une centrale à gaz dans le Finistère, contre un barrage au Portugal, contre le nucléaire ou les lignes THT dans le Cotentin, etc. A chaque fois, c’est un même front qui prend corps localement. En Bretagne, le ravalement de tous les centres des grandes villes (de Nantes à Brest et de St Nazaire à Rennes), la future ligne de TGV Rennes-Nantes, la future centrale à gaz de Landivisieau ou encore l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes font partie d’une même dynamique qui n’a qu’un but : accélérer sans cesse la circulation des flux. Elle porte le nom de Métropole. Et il suffirait de retirer la loupe pour comprendre que cette affaire est mondiale. Ce n’est pas par ironie que le maire de Nantes lui-même affirme que l’aéroport se pense déjà, au travers de ses futures dessertes, dans un réseau de flux européens reliant l’ouest de la France à l’Italie et au Portugal.
Le plus troublant, sans doute, est que les anciennes figures du pouvoir ne nous font plus face. Le pouvoir s’est diffusé au-delà de la scène de la politique classique. Celle où il assure sa fonction depuis sa forme représentative, théatralisée. En Italie, si Mario Monti n’a pas eu besoin d’élections pour remplacer Berlusconi, c’est parce qu’aux yeux de tous, il n’est pas un politicien mais un technicien qui doit réparer les problèmes économiques du pays. Seul un technicien peut, par-delà les divergences politiques, être protégé des secousses de l’opinion publique pour mener à bien les réformes. « Il potere è logistico » est un tag apparu ces derniers mois sur les murs du Val Susa. « Le pouvoir est logistique » voilà la forme qu’il prend quand il n’y a plus ni centre à conquérir, ni tête à décapiter.
Et quand des franges entières de la population se montrent rétives à son avancée, c’est toute sa brutalité qui est mise à nu. Au Val Susa comme à la ZAD, la zone est militarisée. Le 29 février dernier un des NoTAV a frôlé la mort. Lors de l’expulsion de la Baïta – chalet occupé par le mouvement – Lucca monte à un poteau électrique pour ralentir l’opération. Poursuivi jusqu’en haut par la police, il est touché par un arc électrique et tombe. Il faudra plusieurs heures pour que les forces de l’ordre autorisent les ambulances à l’emmener. S’organiser contre les infrastructures et lutter contre les dispositifs de gestion des populations s’inscrivent dans un même mouvement. L’un marche avec l’autre parce que pour le pouvoir il est inadmissible que d’autres réalités s’inventent. Notre affaire consiste à attaquer ce qui nous empêche physiquement de vivre autrement, de vivre pleinement.

« Non à l’aéroport », « No TAV », « Stop THT » : ce qui s’exprime ici c’est la puissance du refus. Le Non veut nier le pouvoir et non plus le prendre. Le Non présage d’un au-delà au nihilisme, d’une invention pratique d’autres voies. A commencer par les liens. Ils ne sont plus qu’une somme de rapports désaffectés. L’étrangeté entre soi et les autres, la séparation entre soi et l’environnement conquièrent les existences jusqu’à leurs derniers recoins. A l’inverse, quand une lutte se déploie, elle promet toujours de mettre à mal cette cynique économie des liens. Comme lors d’une grève, le conflit même oblige à prendre parti. Une géographie et un commun inédits se dessinent. Dans le Val Susa, il est possible d’esquisser une carte de la vallée entre les maisons, les garages, les bars ou les coiffeurs qui se rangent du côté des SiTAV ou des NoTAV. Dans le Cotentin, lors des réunions ou des actions qui ont suivies le camp antinucléaire de Valognes1, les sensibilités opposées au projet de ligne THT ont pu se trouver. Un château d’eau désaffecté a même été offert comme base pour le mouvement. A Notre-Dame-des-Landes, ce sont, notamment, quelques dizaines de maisons occupées et de cabanes dans les bois, des jardins collectifs et des chemins de traverse qui redéfinissent les lieux.
A chaque fois qu’un presidio2, une maison ou un terrain est expulsé, ce qui est mis à mal c’est le peuplement de ces lieux où des mondes particuliers se déploient. Pour laisser place à des espaces indifférenciés, interchangeables, vides de toutes nouvelles possibilités. De là, nous voulons que la journée du 24 mars, soit l’exact mouvement inverse : que nous percions, dans le quadrillage métropolitain, un lieu nôtre à tenir ensemble, à notre manière, le temps que nous décidons.

Désormais, agir au seul niveau symbolique n’est plus opérant. Les actions qui s’évertuent à montrer la désolation que ces infrastructures produisent sont inefficaces puisqu’elle s’étale là, sous nos yeux. Fukushima a parlé pour le nucléaire. Pour l’aéroport, la destruction de 2000 hectares de bocage laisse peu d’ambiguïté sur la sensibilité des aménageurs. La difficulté n’est plus tant de convaincre que de trouver comment les combattre.
Jusque-là, les opposants à l’aéroport se battent contre un projet qui est encore peu concret. Pourtant, nous avons gagné du terrain à chaque fois que nous avons empêché pratiquement l’avancée des travaux, que nous avons renvoyé les juges d’expropriation ou les machines venues faire les carottages de terre. Et si le chantier s’installe, face à sa matérialité cendreuse, c’est cette même intuition qu’il nous faudra déployer : bloquer l’arrivée des machines, les voies d’accès que la police emprunte, etc.
Une autre donnée est la circulation. Depuis le camp climat de 2009, la lutte à Notre-Dame-des-Landes est forte d’un passage permanent. Les occasions ne manquent pas : les visites au hasard d’un voyage, les différents camps ou les appels à occuper, comme la manifestation du 7 mai dernier qui a permis d’investir un terrain pour y construire un jardin collectif et y habiter. Cette lutte est l’affaire de tous. En plus d’accueillir des opposants qui viennent de toutes parts, elle doit maintenant sortir du simple espace de la ZAD.
La journée du 24 mars est un appel à ce que tous les opposants au projet, quelque soit l’endroit d’où ils viennent, se retrouvent, éprouvent un élan commun. C’est un pas en avant pour que le conflit contamine Nantes. Un pas qui en invite un autre : que la lutte se propage partout où la colonisation de l’espace est à l’œuvre. Pour qu’ensuite, il soit possible qu’aux premières tentatives d’expulsions, des gestes de lutte contre le projet se fassent écho dans tous les coins du pays.

Pour que l’aéroport ne se fasse pas, il nous faut gagner du terrain : multiplier les occupations à Notre-Dame-des-Landes3, empêcher les expulsions, bloquer les voies d’accès des machines, de la police, répandre la lutte contre l’aéroport partout où il est possible de s’en ressaisir pratiquement. Mais pour commencer, il nous faut nous retrouver samedi 24 mars, à Nantes, pour éprouver, comme à Valognes, comme au Val Susa, notre puissance d’agir collective et nous promettre que la suite ne sera désormais plus en-deçà. A Samedi !

Des opposants à l’aéroport !