TOUS AU LARZAC, QUI A LA ZAD ?

Projection du film « Tous au Larzac » à la périphérie de Nantes. Une quinzaine d’occupants de la ZAD s’y sont rendus pensant que c’était gratuit. Mais non c’était un vrai cinéma et la caissière malgré l’aval de son président à même refusé le demi-tarif car le CNC n’aurait pas été d’accord et nous les bénévoles nous payons notre place alors. Alors ils ont payé et sont rentrés dans la vraie salle de cinéma pour voir un « vrai film de cinéma » comme n’a cessé de le répéter le réalisateur, présent avant et après la projection.
Qu’est-ce qu’un « vrai film de cinéma » ? Tout d’abord c’est un film qui coute de l’argent et par conséquent pour en trouver il faut ce qu’on appelle des « bankable ». Il y en a un dans le film et il s’appel José Bové, même s’il a une tâche gras sur son teeshirt, et qu’elle se voit bien puisque tous les personnages du film sont cadrés « taille » en plan fixe, enfermés dans une boite de toile blanche sous un éclairage sophistiqué, ce qui donne avec la HD, une couleur de peau tirant par endroit sur le vert et pour certain personnages les cheveux verts aussi. Un film exempt de poésie dont les seules images émouvantes sont les images d’archive tirées d’autres films de l’époque.
Il y a neuf personnages, nous dit le réalisateur (et il recommence quand il fait sa propo sur francecul) , au cas où on se serait donné la peine de les compter, et qu’on aurait pu se tromper, dont le paysage (qui est beau).
Un vrai film de cinéma ce n’est pas un vulgaire documentaire fait avec des bouts de ficelles, c’est un tournage de huit semaines, et six semaines de montage, c’est du boulot, et c’est un film qui est présenté à Cannes et qui est distribué dans des vraies salles de cinéma.
Jusque là, rien à dire, car des vrais films de cinéma ont ne voit que ça dans les vraies salles de cinéma. Mais que dire de celui-là dont le sujet porte sur une lutte antimilitariste de dix ans, qui a mobilisé des centaines de milliers de personnes et qui fut un exemple de résistance au pouvoir politique ?
Est-ce que dans les années soixante dix on aurait vu un film sur le Larzac à Cannes ? Est-ce que les réalisateurs de l’époque auraient même pensé les présenter dans un festival comme celui-là ?

Christian Rouaud, n’en n’ai pas à sa première instrumentalisation de sujet consensuel politiquement correct puisque qu’il a déjà exploité les Lips en 2007. Son petit point de vue personnel n’en retient que ce qui peut faire marcher un film. Comment voit-on cela après la bataille ? Certes on y trouve des « informations » mais ces « indiens » d’un autres temps, découpés et sagement rangés dans l’histoire du folklore des luttes, ne nous appellent pas à la résistance, pas plus que les messages subversifs de mai 68 qui sont aujourd’hui devenus des concepts de marketing publicitaire pour la grande distribution. Le titre du film en forme d’appel n’a d’autre but que de faire venir les spectateurs dans les salles. Ce phénomène n’a pas d’autre nom que récupération. Mais bon, ils sont bien sympathiques ces indiens et on passe un bon moment sans que notre conscience ne soit éveillée sur ce qui aujourd’hui pourrait nous impliquer et comment tirer des leçons du passé.
Donc, après la projection, il y a « débat » comme il se doit. Et là encore un glissement sémantique : Monsieur le réalisateur, dont la promo se confond avec son sujet, devient légitime à parler de cette lutte qui n’a jamais été la sienne. Il répond de bon gré aux questions qu’on lui pose sur cette petite révolution à laquelle il s’est « frotté » pour reprendre le terme utilisé par la journaliste de francecul sans qu’on ne fasse plus la différence entre le film et la vraie histoire (comme à la télé).
Même les occupants de la ZAD, quand ils tentent de faire un parallèle avec leur lutte, se tournent plus volontiers vers le réalisateur que vers la salle, eux les vrais résistants d’aujourd’hui, eux les ceux-qui veulent un autre monde… « Chez-nous aussi Monsieur Rouaud, c’est le Far-West, on a même un lieu qui porte ce nom, venez nous voir… » Le monsieur sourit, il doit se dire qu’il verra ça plus tard.
Les deux seuls réels protagonistes du mouvement de soutien aux paysans du Larzac, adossés à la scène, de part et d’autre du réal, n’ont pas trop bronché. La dame posée à droite n’aurait pas pipé mot si quelqu’une ne lui avait demandé de se présenter (ce que le réal avait omis de faire) a même prononcer cette phrase « ça ne me dérange pas de ne servir à rien »…

Pour ce qui concerne le présent, Rouaud et ses spectateurs ne s’intéressent que modérément à la lutte de Notre Dame des Landes. Peut-être que Rouaud y pensera dans dix ans quand la lutte rentra dans l’histoire…
Il y a pourtant, à quelques kilomètres, une lutte locale et hautement politique qui devrait les interpellés. Le Larzac c’est de la fiction, il sont venus voir le spectacle. NDDL est bien réelle et trop proche. Quand, assis parmi les spectateurs, les zadistes abordent le sujet, la salle se vide petit à petit…
Les spectateurs ne sont pas venus à un meeting politique… C’est bien le problème de la confusion des genres dans ces projections pseudo militantes qui sont maintenant monnaie courante.
Les résistants de la ZAD ne sont pas très bons en promo… Ils sont meilleurs en action directe, en auto-construction, en auto-réduction et en maraîchage. Ils réfléchissent depuis longtemps à la communication sur leur combat mais il faut du temps pour faire un film et ils sont très occupés par leur lutte au quotidien, lutte pour se nourrir, lutte contre la police, lutte contre le froid…

Et puis Monsieur Hollande n’est pas venu et ne viendra pas à NDDL, et contrairement à Mitterrand pour le Larzac, il défend le projet d’aéroport, alors ne comptons pas sur une décision politique pour gagner. Ne parlons pas d’Europe Ecologie qui est venu et qui, un temps, pensait surement récupérer un peu de notoriété politique et qui a rapidement préféré oublier, malgré les déclarations tonitruantes de Bové devant le Sénat (il s’est oublié on dirait).
Bref, pour l’instant l’aéroport intéresse peu de monde et la ZAD n’est pas le Larzac, le problème est beaucoup plus global: il ne s’agit pas simplement de se battre contre des militaires mais contre tout le système d’alliance des politiques, de l’état et du capital.
Portons nos espoirs sur la manifestation nationale prévue à Nantes le 24 mars comme un début de rayonnement et peut être de rapport de force.
Enfin, une bonne nouvelle, un groupe automédia s’est créé sur la ZAD et espère finaliser un premier film pour le mois de mai.

Craco
ocmars@free.fr
Saint Nazaire le 03/02/2012