Pour demander l’asile, que fait une personne ? Elle quitte son quartier, sa ville, son pays, sa famille, ses proches… et souvent risque sa vie au cours d’un long voyage. La voici donc en France, où elle pense pouvoir demander protection, puisque la France est signataire de la Convention de Genève, ce qui signifie qu’elle accepte de donner protection aux personnes qui fuient leur pays parce que menacées du fait de du fait de leurs opinions politiques, leur religion, leur appartenance à un certain groupe social, leur sexe…

Mais voici qu’une condition s’impose à la personne demandeuse : il lui faut une domiciliation, c’est-à-dire une adresse où elle peut recevoir son courrier. Cela peut être chez un particulier : mais un demandeur(se) d’asile ne connaît par définition que peu ou pas de monde en arrivant en France. Alors comment faire ? On pourrait penser qu’un service public de type boîte postale gratuite existe pour ces personnes : que nenni, ce serait bien trop simple. C’est donc vers une association que doit se tourner la personne en recherche d’une domiciliation administrative. Mais attention, depuis quelques années, une condition s’impose : l’association doit être agréée pour cela par la préfecture ! « Très bien » se dira-t-on « la préfecture veille au sérieux des associations qui font office de boîte postale, puisque la correspondance des demandeurs(ses) d’asile est une chose importante ». Euh….. ce n’est pas tout à fait ça.

Le Gasprom délivre des domiciliations aux demandeurs(ses) d’asile et à toute autre personne qui en a besoin. Elle reçoit le courrier des personnes domiciliées à l’association, et leur délivre lors de deux permanences hebdomadaires (lundi et vendredi, 18h-20h). C’est un service que l’association propose depuis longtemps, puisqu’il contribue à faciliter la vie des migrant(e)s. Des militant(e)s assurent ces permanences, de façon aussi sérieuse et conviviale que possible. Que reproche donc la préfecture à l’association pour lui refuser le droit à domicilier les personnes demandeuses d’asile (pour les autres, elle n’a pas encore les moyens légaux de soumettre la possibilité de domicilier à la délivrance d’un agrément) ? Il paraîtrait que le fonctionnement du Gasprom ne permet pas d’assurer la mission de distribution du courrier : c’est en somme ce que dit la préfecture de Loire-Atlantique, par des arguments assez vagues.

A la rigueur, le Gasprom pourrait s’en foutre : une tâche en moins, c’est autant de temps en plus pour lutter pour les droits des personnes migrantes. Oui mais voilà : quelle autre possibilité les demandeurs(ses) d’asile ont-ils d’obtenir une domiciliation (et donc de demander l’asile) ? Il n’y a qu’une seule autre association qui peut délivrer ces précieux sésames : Aïda, une structure associative, financée par des fonds publics. Et que dit la préfecture : Aïda a les capacités pour domicilier tout le monde. Ah bon ? Ce n’est pourtant pas ce que nous voyons : quand une personne (ou une famille) se présente à Aïda, elle obtient un rendez-vous… avec un ou deux mois d’attente. Pendant ce délai, c’est la misère : pas de possibilité d’être soigné, pas d’hébergement d’urgence, pas de pécule pour manger, pas de bons pour les bains-douches, etc. Droit à rien en somme. La personne n’est même pas encore demandeuse d’asile : elle est là, sans aucun droit ni moyen de subsistance.

Ce n’est pas la faute d’Aïda : les moyens qui lui sont alloués font qu’elle ne peut domicilier autant qu’il faudrait. C’est la faute du ministère de l’intérieur, et de son antenne locale la préfecture : il connaît ces situations, mais cela lui va comme un gant. Devant le juge, il n’hésite pas à jouer la carte de la bonne foi : « mais monsieur le juge, vous comprenez bien que la présence d’Aïda est suffisante ». Le juge nantais, qui à chaque fois que le Gasprom perd son agrément voit débouler dans son tribunal des personnes qui accusent la préfecture d’entraver la demande d’asile, ne s’y laisse pas prendre. Mais le Conseil d’Etat, au chaud dans ses bureaux parisiens, a repris pour son compte les arguments du ministère de l’intérieur : tout va pour le mieux, circulez.

Ce que les nantais verront de plus en plus (ou ne verront pas s’ils se cachent suffisamment bien les yeux), ce sont des personnes seules et des familles à la rue, en été comme en hiver. Elles seront en mauvaise santé physique et psychique. Il se peut même qu’une d’entre elles meure sous les yeux des passants ou soit prise d’un coup de folie. On ne pourra pas trouver ça étrange : ces personnes pensaient trouver refuge et pouvoir recommencer leur vie, et voilà qu’on les traite comme des moins que rien et qu’on les laisse à la rue, sans moyen de subsistance. C’est concrètement à ça que conduisent les petites décisions du ministère de l’intérieur. Cette histoire de domiciliation n’est qu’une pièce parmi d’autres d’une lutte de sa part contre le droit d’asile (on peut penser à Frontex, ou aux refus d’hébergement), qui n’est elle-même qu’une pièce parmi d’autres de sa lutte contre les immigrés, qui n’est qu’une pièce parmi d’autres dans sa stratégie de la haine (contre les pauvres, les chômeurs, les jeunes de banlieue, les musulmans, les noirs, les habitants de yourte, les squatteurs, les maghrébins, les personnes qui touchent une allocation, celles qui ont commis un crime ou délit, celles qui ont un jour ou un autre croisé le chemin d’une maladie mentale, et toutes celles qui en somme ne correspondent pas à un français imaginaire qui, à bien y regarder, n’existe en fait pas, si ce n’est comme fantasme identificatoire pour journées de grisaiille)

Cette échappée un peu lyrique mais sincère ne doit pas faire oublier ce que sont dans cette histoire les revendications des associations de soutien aux personnes migrantes :
– le maintien d’Aïda dans ses missions actuelles, avec les moyens nécessaires à son bon fonctionnement
– la remise en place de l’agrément du Gasprom en tant qu’organisme agréé à domicilier les demandeurs(ses) d’asile
– que des moyens réels et assurés tout au long de l’année soient alloués afin que l’hébergement d’urgence soit sur Nantes une réalité