Un prêtre protestant de Berlin décrète qu’un chrétien qui emploie un Juif sera exclu de la paroisse.

Impossible ? Oui bien sûr. Sauf en Israël – en sens contraire, bien entendu.

Le rabbin de Safed, fonctionnnaire du gouvernement, a décrété qu’il est formellement interdit de louer des appartements à des Arabes – y compris les étudiants arabes de l’école de médecine locale. Vingt autres rabbins de ville – dont les salaires sont payés par les contribuables, pour la plupart non religieux, y compris des citoyens arabes – ont apporté publiquement leur soutien à cette décision.

Un groupe d’intellectuels israéliens a déposé une plainte auprès du procureur général, faisant valoir qu’il s’agit d’une incitation au crime. Le procureur général a promis d’instruire l’affaire avec toute la diligence requise. C’était il y a un an. “La diligence requise” n’a pas encore acccouché d’une décision.

C’est la même chose pour un autre groupe de rabbins qui a interdit d’employer des goys.

(En hébreu ancien, “goy” signifiait simplement un peuple, n’importe quel peuple. Dans la Bible, les Israélites étaient appelé un “Goy saint”. Mais au cours des derniers siècles, le mot en est venu à désigner les non-juifs, avec une implication nettement péjorative.)

CETTE SEMAINE, Israël était en effervescence. Le tumulte était causé par l’arrestation du rabbin Dov Lior.

L’affaire remonte à la publication il y a plus d’un an d’un livre du rabbin Yitzhak Shapira. Shapira est peut-être l’habitant le plus extrémiste de Yitzhar, qui est peut-être la colonie la plus extrémiste de Cisjordanie. Ses membres sont fréquemment accusés de se livrer à des pogroms dans les villages palestiniens voisins, généralement en “représailles” pour des actions de l’armée contre des structures construites sans autorisation officielle.

Le livre, intitulé Torat ha-Melekh (“L’enseignement du roi”) traite du meurtre de goys. Il dit qu’en temps de paix, les goys ne devraient généralement pas être tués – non en raison du commandement “Tu ne tueras pas” qui, d’après le livre, ne concerne que les Juifs, mais à cause du commandement de Dieu après le Déluge (Genèse 9, 6) : “Celui qui répand le sang de l’homme verra son sang répandu par l’homme. Car Dieu a fait l’homme à son image.” Cela s’applique à tous les goys qui respectent quelques commandements fondamentaux.

Cependant, la situation est totalement différente en temps de guerre. Et selon les rabbins, Israël a été en guerre depuis sa fondation, et le sera probablement encore à tout jamais.

En temps de guerre, partout où la présence d’un goy met un juif en danger, il est permis de le tuer, même s’il s’agit d’un goy juste qui ne porte aucune responsabilité dans la situation. Il est permis – même recommandé – de tuer non seulement les combattants ennemis, mais aussi ceux qui les “soutiennent” ou les “encouragent”. Il est permis de tuer des civils ennemis si cela est utile pour la conduite de la guerre.

(Intentionnellement ou non, cela se reflète dans les méthodes auxquelles a eu recours notre armée au cours de l’opération “Plomb durci” : pour protéger la vie d’un seul soldat israélien il est permis de tuer autant de Palestiniens que nécessaire. Le résultat : 1.300 morts palestiniens, pour moitié des non-combattants contre cinq soldats tués par des actions ennemies. Six autres ont été tués par des “tirs amis”.)

Ce qui a réellement soulevé une tempête a été un passage du livre disant qu’il est permis de tuer des enfants, dans la mesure où il est clair que, devenus adultes, ils peuvent être “nuisibles”.

Il est habituel pour un livre de rabbin qui interprète la loi juive de comporter l’approbation – appelée haskama (“accord”) – d’autres rabbins éminents. Ce chef d’oeuvre comportait le “haskama” de quatre rabbins éminents. L’un d’entre eux est Dov Lior.

LE RABBIN LIOR (le nom peut se traduire par “j’ai la lumière” ou “la lumière m’a été donnée”) apparaît comme l’un des rabbins les plus extrémistes des colonies de Cisjordanie – ce qui n’est pas une mince performance dans un territoire bien pourvu en rabbins extrémistes, dont la plupart seraient qualifiés de fascistes dans tout autre pays. C’est le rabbin de Kiryat Arba, la colonie aux abords d’Hébron qui cultive les enseignements de Meir Kahane et qui a produit le meurtrier de masse Baruch Goldstein.

Lior est aussi le chef d’une yeshiva Hesder, une école religieuse affiliée à l’armée, dont les élèves combinent leurs études (purement religieuses) à des conditions privilégiées de service militaire.

Lorsque le livre – actuellement à sa troisième édition – parut pour la première fois, il a déclenché une tempête. Aucun rabbin n’a protesté, quoiqu’un nombre significatif d’entre eux ait contesté son argumentation religieuse. Les orthodoxes s’en sont écarté, encore que ce n’est qu’en se fondant sur le fait que cela violait la règle religieuse qui interdit de “provoquer les goys”.

Suite à une réclamation publique, le procureur général a ouvert une enquête criminelle contre l’auteur et les quatre signataires du “haskama”. Ils ont été convoqués pour interrogatoire, et la plupart ont comparu en protestant qu’ils n’avaient pas eu le temps de lire le livre.

Lior dont le texte du “haskama” attestait qu’il avait lu le livre entièrement, n’a pas obtempéré à plusieurs citations à se présenter au commissariat de police. Il les a ouvertement ignorées de façon méprisante. Cette semaine, la police a réagi à l’insulte : elle a tendu une embuscade au rabbin sur la “route du tunnel” – une route qui comporte plusieurs tunnels entre Jérusalem et Hébron, réservée aux Juifs – et elle l’a arrêté. On ne lui a pas passé les menottes et on ne l’a pas embarqué dans une voiture de police, comme on aurait dû normalement le faire, mais on a remplacé son chauffeur par un fonctionnaire de police, qui l’a conduit tout droit au commissariat de police. Là, on l’a interrogé poliment pendant une heure puis on l’a libéré.

La nouvelle de son arrestation s’est répandue comme une traînée de poudre dans l’ensemble des colonies. Des centaines de membres de la “Jeunesse des collines” – des groupes de jeunes colons qui réalisent des pogroms et crachent sur la loi – se sont rassemblés à l’entrée de Jérusalem, se sont affrontés à la police et ont coupé la route principale d’accès à la capitale.

(Je ne puis pas vraiment me plaindre de cela, parce que j’ai été le premier à le faire. En 1965, j’avais été élu à la Knesset et Teddy Kollek avait été élu maire de Jérusalem. L’une des premières choses qu’il fit fut de se plier aux exigences des orthodoxes et de fermer tous les quartiers le jour du Shabbat. L’une des premières choses que je fis fut d’appeler mes supporters à protester. Nous avons barré l’entrée de Jérusalem jusqu’à ce que nous soyons expulsés de force.)

Mais les jeunes fanatiques ne se sont pas contentés de barrer des routes et de porter en triomphe sur leurs épaules le Lior libéré. Ils ont aussi essayé de prendre d’assaut l’immeuble de la Cour Suprême. Pourquoi cet immeuble en particulier ? Cela demande un peu d’explication.

LA DROITE ISRAÉLIENNE, et en particulier les colons et leurs rabbins, ont de longues listes d’objets de haine. Certaines de ces listes ont été publiées. J’ai l’honneur de figurer sur la plupart d’entre elles. Mais la Cour Suprême y figure très haut, si ce n’est en tête.

Pour quelles raisons ? La Cour ne s’est pas couverte de gloire lorsqu’elle s’est occupée des territoires occupés. Elle a autorisé la démolition de nombreux foyers palestiniens en représailles pour des actes “terroristes”, elle a approuvé la torture “modérée”, donné son accord à la “clôture de séparation” (qui avait été condamnée par la Cour Internationale), et elle s’est généralement comportée en bras de l’occupation.

Mais, dans quelques cas, la loi n’a pas donné à la Cour la possibilité d’échapper à ses responsabilités. Elle a appelé à la démolition d’“avant-postes” établis sur des propriétés privées palestiniennes. Elle a interdit des “meurtres ciblés” dans les cas où la personne pouvait être arrêtée sans risque, elle a décrété qu’il est illégal d’empêcher un citoyen arabe d’habiter un village situé sur une terre propriété de l’État, et ainsi de suite.

Toute décision de ce genre provoquait un hurlement de rage des gens de droite. Mais il y a une raison plus profonde à cet extrême antagonisme.

À LA DIFFÉRENCE DU CHRISTIANISME de l’époque moderne, mais de façon très similaire à l’islam, la religion juive n’est pas seulemnt une affaire entre l’Homme et Dieu, mais aussi une affaire entre l’Homme et l’Homme. Elle ne se vit pas dans un coin calme de la vie publique. La loi religieuse s’applique à tous les aspects de la vie publique et privée. En conséquence, pour un juif pieux – ou pour un musulman – l’idée européenne de séparation entre l’État et la religion est anathème.

La halakha juive, comme la charia islamique, règle chaque détail particulier de la vie. À chaque fois que la loi juive entre en conflit avec la loi israélienne, laquelle doit l’emporter ? Celle promulguée par la Knesset élue démocratiquement, qui peut être changée d’un moment à l’autre si le peuple le souhaite, ou celle donnée par Dieu sur le Mont Sinaï pour toujours, qui ne peut jamais être modifiée (tout au plus peut-elle être interprétée différemment) ?

Les fanatiques religieux en Israël soutiennent que la loi religieuse l’emporte sur la loi civile (comme dans plusieurs pays arabes), et que les tribunaux civils n’ont aucune juridiction sur les membres du clergé pour les questions relatives à la religion (comme en Iran). Lorsque la Cour Suprême en a jugé différemment, les rabbins orthodoxes les plus respectés n’ont eu aucune peine à mobiliser 100.000 protestataires à Jérusalem. Cela fait des années maintenant que des ministres du gouvernement, des professeurs de droit et des hommes politiques religieux, ainsi que leurs soutiens politiques, se sont activés à rogner l’intégrité, l’indépendance et le domaine de compétence de la Cour Suprême.

C’est l’élément capital de l’affaire. Le Procureur général considère qu’un livre appelant au meurtre d’enfants innocents est une incitation au crime. Les rabbins et leurs supporters considèrent cela comme une interférence inacceptable dans un débat religieux savant. Il ne peut y avoir aucun compromis réel entre ces deux points de vue.

Pour des Israéliens, il ne s’agit pas d’une simple question académique. La communauté religieuse dans son ensemble, avec toutes ses diverses factions, appartient maintenant au camp de la droite ultranationaliste [à l’exception de misérables avant-gardes comme le Mouvement Juif Réformateur et Traditionnel (Reform and Conservative Jewry) qui est majoritaire chez les Juifs américains]. La transformation d’Israël en un État Halakha signifie la castration du système démocratique pour transformer Israël en un second Iran gouverné par des ayatollahs juifs.

Cela rendra aussi la paix impossible pour toujours, puisque selon les rabbins l’ensemble de la Terre Sainte entre la Méditerranée et le Jourdain appartient aux seuls Juifs, et que la cession même de quelques centimètres de cette terre à des goys est un péché mortel, punissable de mort. Pour ce péché, Yitzhak Rabin a été exécuté par l’étudiant d’une université religieuse, un ancien colon.

Ce n’est pas l’ensemble du camp religieux qui adhère à l’extrémisme implacable du rabbin Lior et de ses semblables. Il y a beaucoup d’autres tendances. Mais toutes gardent le silence. C’est Lior, le rabbin qui Détient la Lumière, et ses collègues qui pensent comme lui, qui donnent les orientations.

écrit en hébreu et en anglais le 2 juillet, publié sur le site de Gush Shalom – Traduit de l’anglais « The Jewish Ayatollas » pour l’AFPS : FL

http://www.france-palestine.org/article17814.html