Le régime
L’indépendance de la Tunisie et des pays africains après la seconde guerre mondiale a été acquise de haute lutte par les masses au bénéfice des bourgeoisies nationales. Les nouvelles nations prétendaient rompre définitivement avec le passé colonial grâce à un Etat bourgeois hégémonique sur la société et dirigeant les principaux secteurs économiques. Mais le développement économique basé sur les secteurs nationalisés ne pouvait s’affranchir de la tutelle de l’impérialisme, en premier l’impérialisme français. L’Etat hégémonique et policier se soumettait aux exigences des nations impérialistes.
La dictature donnait peu de libertés démocratiques et les forces de répression étaient partout. La police politique arrêtait et torturait les opposants. Les partis politiques jugés dangereux pour le régime étaient interdits. Cependant en Tunisie le régime policier de Ben Ali était soutenu par toutes les grandes puissances. Ben Ali était reçu par les présidences de tous les pays occidentaux. Son parti le Rassemblement Constitutionnel Démocratique appartenait à l’Internationale Socialiste. Les médias français ont révélé certains liens d’affaires et personnels entre les capitalistes français et la dictature, entre la famille Alliot-Marie et la famille Ben Ali.
Mais la crise économique mondiale de 2008 a frappé durement l’ensemble des travailleurs et de la petite bourgeoisie. Les prix des produits de base ont beaucoup augmenté. Le chômage est élevé. Une partie de la jeunesse diplômée doit se débrouiller pour vivre. Les conditions de vie difficiles et l’absence de droits politiques ont engendrées la révolte des masses tunisiennes contre la dictature et le dictateur.

L’UGTT et le PCOT
Le RCD était le parti officiel du régime. Il donnait les ministres et les représentants du régime et avait la main mise sur la société. L’opposition était contrôlée sous peine d’être interdite.
La principale organisation des travailleurs est le syndicat l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT) dont la direction soutenait le régime. L’UGTT a soutenu officiellement la candidature de Ben Ali en 2004. La conciliation avec le régime ne permettait pas que les luttes des travailleurs aboutissent favorablement.
A gauche de l’éventail politique, le Parti Communiste des Ouvriers de Tunisie (PCOT), un parti marxiste-léniniste qui optait pour une « révolution démocratique nationale et populaire » et non une révolution socialiste. Mais il était jugé dangereux pour le régime et depuis sa fondation était illégal. Ses militants ont connus la répression, les arrestations, la torture ou encore l’exil.

La chute de Ben Ali
La révolution tunisienne a été déclenchée par l’immolation par le feu d’un marchand pauvre devant un bâtiment administratif dont les policiers avaient saisis la marchandise à Sidi Bouzig le 17 décembre 2010. Face à cet évènement tragique, de petits commerçants et de jeunes chômeurs manifestent devant la préfecture de Sidi Bouzig. Le 24 décembre, les manifestations de protestation gagnent Bouziane. Elles sont réprimées par la police qui tire sur la foule. La révolte gagne Tunis les jours suivants. Le 28 décembre le président fait une allocution à la télévision et juge « qu’une minorité d’extrémistes et d’agitateurs ait recours à la violence et aux troubles dans la rue est inacceptable. »
En janvier, le mouvement s’étend et prend un caractère politique. La contestation gagne les banlieues de Tunis le 11. Les manifestants scandent : « Ben Ali dégage » et portent des pancartes avec la revendication.
Ben Ali intervient pour la deuxième fois à la télévision le 10 et dénonce des « actes terroristes provoqués par des éléments étrangers ». Il promet la création de 300 000 emplois. Le 12 il décrète le couvre-feu à Tunis et sa banlieue. L’armée peut abattre « tout citoyen qui ne se plierait pas aux ordres. » Le 13 Ben Ali fait une troisième allocution à la télévision nationale. Il s’engage à quitter le pouvoir en 2014, promet la liberté de la presse, annonce une baisse des prix et ordonne la fin des tirs contre les manifestants. Pendant son discours à la télévision l’armée fait feu sur une manifestation à Tunis et tue 13 personnes.
Le 14 janvier à Tunis, les manifestants veulent le départ immédiat de Ben Ali. Les manifestations sont gigantesques, les manifestants affrontent courageusement la police qui tire à balles réelles. La situation est critique pour le régime. Le président annonce le limogeage du gouvernement et la tenue d’élections législatives anticipées dans les six mois. Trois-quarts d’heure plus tard, il décrète l’état d’urgence et impose le couvre-feu dans tout le pays. Pour reprendre le contrôle de la situation, les généraux décident le départ de Ben Ali. Il quitte la Tunisie dans la soirée par avion pour l’Arabie Saoudite.
La chute du dictateur a provoqué une vague de protestations en Afrique du nord et au Moyen orient. En Egypte et en Libye les manifestations et les grèves devaient se transformer en révolution.

Le gouvernement de transition
Le 17 janvier, le premier ministre Mohammed Ghannouchi annonce le remaniement du gouvernement devant inclure « toutes les composantes de l’opposition » pour former un gouvernement de transition. Ce gouvernement « d’union nationale » est dirigé par le premier ministre du président en fuite, comporte une majorité de responsables du Rassemblement constitutionnel démocratique, le parti de Ben Ali. Il est chargé d’organiser des élections législatives dans moins de 6 mois, comme l’avait annoncé Ben Ali peu avant sa fuite.
Pour les démocrates bourgeois et la bourgeoisie impérialiste, la révolution tunisienne doit s’arrêter là. La presse bourgeoise tente de s‘opposer à l’approfondissement de la révolution et mène campagne contre « le chaos ». La bourgeoisie et les généraux souhaitent la fin de la révolution. Le premier ministre appelle au calme et réclame aux travailleurs tunisiens de retourner « au bureau et à l’usine ». Le gouvernement de transition est soutenu par les classes aisées qui s’opposent aux travailleurs pauvres, aux petits paysans, aux jeunes chômeurs qui veulent poursuivre la révolution.
Les négociations de Ghannouchi avec l’opposition aboutissent à ce que l’UGTT, les partis PDP, FDTL, le Mouvement Ettajdid fournissent des ministres au gouvernement de transition le 17 janvier. Mais dès sa création, les travailleurs et les jeunes contestent le gouvernement de transition et exigent le départ des ministres du RCD et du premier ministre pour « ne pas se faire voler la révolution ». Les manifestations continuent contre le gouvernement de transition. Les trois ministres UGTT et le ministre FDTL quittent le gouvernement le 18. Le 21, les ministres du RCD annoncent qu’ils quittent leur parti.
Dans certains secteurs et dans des régions, les travailleurs se mettent en grève contre le gouvernement de transition et ont des revendications sociales et sectorielles. Les dirigeants de l’UGTT déclarent dans la presse être favorables au maintien de Ghannouchi. Mais dans la rue les manifestants clament : « Ghannouchi, dégage ! ». En février, Ghannouchi démissionne.

La continuité du capitalisme
La révolution s’approfondit et oppose les classes aisées et les travailleurs et paysans pauvres. Alors que la petite bourgeoisie, constituée de cadres, de marchands, d’intellectuels soutient le gouvernement de transition, les travailleurs et les paysans s’opposent à celui-ci. La continuation de la révolution et sa « sauvegarde » devient le mot d’ordre principal de la révolution tunisienne.
Le mécontentement des masses envers le gouvernement transitoire provoque la constitution d’un Conseil National de sauvegarde de la révolution par la majorité de l’opposition dont l’UGTT qui soutient malgré tout le gouvernement. L’alliance repose sur des revendications démocratiques et économiques pour aménager le capitalisme et le préserver des masses révolutionnaires. Le Conseil national appelle à structurer la révolution par des comités locaux et régionaux dans les locaux de l’UGTT.
Le Conseil National propose au gouvernement transitoire de prendre en charge la conduite des affaires du pays. Le gouvernement transitoire refuse. Le Conseil national ne s’impose pas au gouvernement transitoire et n’apparait pas comme une alternative politique ni un organe de pouvoir. Les travailleurs ne s’organisent pas en masse dans ces comités. La révolution n’a pas de structure démocratique à elle issue des organisations politiques de l’opposition, comme l’aurait pu être des comités locaux et régionaux démocratiques et décidant de l’avenir de la révolution.
L’auto-organisation est venue des masses elles-mêmes qui ont constitué des groupes d’auto-défense de quartier et des comités dans certaines régions. Mais la révolution reflue.
Le PCOT accompagne la liquidation de la révolution. Il revendique une « république démocratique » et des « nationalisations sous contrôle de la population » avec le maintien du capitalisme.

Aucune organisation ne défend le programme du socialisme pour la révolution en cours. Les masses qui ont affronté la dictature courageusement et chassé le chef de l’Etat n’ont pas d’organes de pouvoir centralisés indépendants du gouvernement de transition bourgeois. Les revendications économiques et politiques légitimes des travailleurs et des jeunes se trouvent confrontées à la violence de l’armée encore aujourd’hui. Pourtant les masses organisées auraient la force de constituer des groupes d’autodéfense armés et d’imposer leur propre gouvernement. La conciliation des organisations des travailleurs avec le gouvernement de transition mène la révolution dans une impasse.
Il est ridicule de remettre en question la « force » ou la « puissance » des masses tunisiennes dans leur mouvement. Si la révolution se meure en Tunisie, c’est devant les difficultés à s’organiser et à avoir un programme communiste de façon spontanée. La question de l’avant-garde est cruciale surtout dans une révolution. Une organisation révolutionnaire doit pousser le mouvement en avant et lui apporter son expérience.