Par Courant Communiste Révolutionnaire

*Santiago Lupe fait partie de la direction de Clase Contra Clase (CCC): www.clasecontraclase.org], section de la Fraction Trotskyste-Quatrième Internationale de l’Etat espagnol.

Je vous parle de la Plaza Catalunya, dans le centre de Barcelone, une place qui ce soir, [18/05], lors d’une énorme AG ayant réuni 5.000 participants, a été rebaptisée Place Tahrir en l’honneur de ce qui a été l’épicentre de la révolution égyptienne et au cri de « C’est ici que commence la révolution ! ». Aujourd’hui la Commission électorale [qui supervise les élections municipales et régionales qui auront lieu le dimanche 20 mai] a menacé de faire intervenir les forces de répression contre l’ensemble des sit-in qui ont lieu dans le pays, notamment à Madrid, où le mouvement est le plus fort. Tout cela a fait qu’encore plus de gens sont descendus dans la rue.

Comment a commencé tout le mouvement ?

L’État espagnol est un des pays qui a subi le plus brutalement les effets de la crise économique internationale. Jusqu’à il y a peu le monde du travail et la jeunesse ont fait montre d’assez peu de résistance par rapport aux attaques que nous subissons. Un certain malaise commençait à poindre cependant par rapport aux effets de la crise et aux mesures d’austérité mises en œuvre par le gouvernement [Zapatero, de centre-gauche]. Ce malaise s’est ponctuellement exprimé à différents moments. Ça a été le cas lors de la manifestation de 5.000 jeunes à Madrid le 7 avril dernier, dans les bagarres contre les coupes budgétaires dans la Santé en Catalogne dernièrement, lors de la manifestation du syndicalisme alternatif le 1° mai, etc. Tout ceci a représenté une sorte de tour de chauffe qui a préparé le terrain au mouvement actuel, le 15 mai, lorsque 60 villes du pays ont été traversées par des manifestations très importantes. Cette journée de mobilisations a été organisée par le biais des réseaux sociaux et a vu la participation de plusieurs dizaines de milliers de personnes, surtout des jeunes mais également des travailleurs. Les deux manifs les plus importantes ont été celle de Barcelone avec prés de 15.000 personnes et celle de Madrid avec 25.000 manifestants.

Le mouvement actuel dénonce surtout la situation que vit le l’Etat espagnol, avec son taux de chômage extrêmement important, la situation que traversent des dizaines de milliers de familles populaires, le manque de perspectives pour les jeunes que les experts du FMI eux-mêmes ont baptisé « la génération perdue ». Les manifestants dénoncent aussi l’ensemble des mesures d’austérité que tente d’appliquer le gouvernement à l’image de la réforme du marché du travail, la réforme des retraites, la liquidation des négociations collectives que sont en train de décider en ce moment même Zapatero et les bureaucraties syndicales. D’autres coupes sombres ont été annoncées, à l’image de ce qui se passe en Catalogne par exemple au niveau de l’Education et de la Santé. Le mouvement critique également le régime politique actuel ainsi que la démocratie telle qu’elle existe. Il existe en effet un ras-le-bol populaire réel à l’égard des institutions et des partis du régime [que ce soit le PSOE de Zapatero ou le Parti Populaire de droite]

D’où viennent ces sit-in permanents qui caractérisent le mouvement actuel ?

L’épicentre du mouvement actuel c’est Madrid. C’est-là où a été organisée la première manif, le 7 avril dernier, et c’est là où le mouvement est le plus massif. Le gouvernement a mis en œuvre une politique de répression sélective. L’idée de Zapatero était de ne pas réprimer frontalement les différentes manifs mais donner l’ordre d’intervenir uniquement là où elles étaient les plus importantes, à Madrid. Lorsque la manif a pris fin [le 15 mai] la police a chargé les manifestants en a arrêté 23. C’est pour cela que les jeunes ont décidé de se rassembler à la Puerta del Sol [dans le centre de la capitale espagnole] afin de demander la libération des manifestants. Ils y sont restés toute la nuit de dimanche à lundi. Quand lundi à l’aube la police a réprimé à nouveau afin d’expulser les manifestants de la place, elle arrête à nouveau un autre manifestant. C’est contre cette répression que commencent à s’organiser des manifs dans d’autres villes. A Barcelone les jeunes commencent à camper sur la Plaza Catalunya alors qu’au même moment prés de 2.000 manifestants madrilènes reviennent à la Puerta del Sol pour la réoccuper. Hier [mardi 17] le mouvement a connu un nouveau développement avec une extension des sit-in à une dizaine de villes à travers l’Etat espagnol mais surtout avec l’approfondissement du mouvement à Barcelone ou à Madrid, avec prés de 10.000 manifestants.

Quelles sont les caractéristiques principales du mouvement ?

L’élément qui prime dans les manifestations actuelles c’est surtout la spontanéité. Les gens qui participent aux manifs et aux sit-in sont surtout des jeunes qui sont en train de faire émerger toute la colère qui existe dans la société et qui n’avait pas pu s’exprimer jusqu’à présent en raison de l’effet paralysant qu’avait la crise mais aussi en raison de la politique criminelle des bureaucraties syndicales axée sur le maintien de la paix sociale et du dialogue avec le gouvernement. Aujourd’hui [mercredi 18] on a vu un élargissement du mouvement à d’autres secteurs, au mouvement étudiant notamment ou aux travailleurs de la santé en Catalogne qui luttent contre l’application des plans de rigueur dans leur branche. La jeunesse a commencé en fait à confluer avec des secteurs qui étaient déjà en lutte avant le 15 mai.

La caractéristique actuelle c’est la massification du processus, avec des AG qui ont doublé voire triplé de volume parfois. Certains secteurs qui étaient déjà en bagarre ont commencé à se rendre aux sit-in pour exprimer leur solidarité avec les manifestants. C’est le cas par exemple des traminots de Saragosse qui manifestaient aujourd’hui [mercredi 18] pour la défense de leur convention collective et qui ont fini leur manif là où se tient le sit-in dans la capitale de l’Aragon. Ici à Barcelone ce sont les travailleurs d’Alsthom qui sont en lutte contre le licenciement de 40% de l’effectif total du site de production et qui se sont rendu ce matin à la Plaza Catalunya. C’est le cas également des infirmières et des travailleuse de la santé, ou encore des pompiers, qui sont venus nous rendre visite.

Quelles sont les perspectives de la situation actuelles selon toi ?

Le mouvement est dans une phase ascendante. Il est fort probable que les prochaines AG soient encore plus importantes. A moyen terme il est sûr que cette entrée en scène de la jeunesse va avoir un effet sur les secteurs qui sont déjà en bagarre. Cela crée un climat favorable qui pourrait permettre la radicalisation et l’extension des luttes ouvrières actuelles. Certains commencent à dire d’ailleurs que les sit-in devraient se transformer en centres de résistance et de coordination de toutes les luttes actuelles.

L’entrée en scène de la jeunesse le 15 mai dernier est sans doute un point de transition entre une étape caractérisée par une crise très dure sans pour autant qu’émergent des foyers de résistance et l’étape à venir au cours de laquelle le gouvernement devra encore appliquer des plans d’ajustements impitoyables mais aura à affronter une résistance croissante de la part des ouvriers et de la jeunesse.

Ce que l’on peut affirmer c’est que la paix sociale à laquelle le gouvernement et la bureaucratie syndicale ont travaillé au cours des derniers mois commence à se fissurer sous l’action de la jeunesse et pourrait être sérieusement compromise dans un avenir proche.

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