Quelques éléments de réflexion sur la réforme des retraites Raffarin

Ces quelques éléments sont la mise au propre de notes prises lors d’une conférence à Arras (62) le lundi 26 mai 2003 de Laurent Cordonnier et Frank Van de Velde, maîtres de conf’ d’économie à Lille I, proche de la Fondation Copernic. Laurent Cordonnier est l’auteur d’un petit livre « Pas de pitié pour les gueux » éd. Liber /Raison d’agir. Eléments donc assez subjectifs et sûrement parfois imprécis…

I – Les grandes lignes de la réforme

La réforme Raffarin sur les retraites tournent autour de 4 axes principaux.
a) La hausse de la durée de cotisation
Le premier axe concerne la hausse de la durée de la cotisation pour la retraite. Il s’agit d’abord « d’égaliser » les durée de cotisation entre public et privée à 40 ans d’annuité pour 2008. Puis dans un second temps, une marche coordonnée vers les 42 ans d’annuité en 2015.
b) Indexation des retraites sur l’inflation et non plus sur les salaires.
Là aussi, c’est un « rattrapage » du public sur le privé. Cette indexation sur l’inflation fonctionne déjà pour le privé depuis 1993 (réforme Balladur).
c) Pénalité sur la retraite
La pénalité ou décote concerneront ceux qui partiront avant d’avoir cotisé le nombre d’année nécessaire. Cela existe déjà pour le privé depuis 93. La réforme l’institue pour le public. Cette décote est de 3 à 5% par année manquante. Mais cette décote s’ajoute au manque des années manquantes. Ainsi c’est une diminution de 7% de la retraite par année manquante qu’induit cette réforme.
d) L’institution des fonds de pension
C’est un point important qui n’est quasi jamais abordé par les média et gouvernement. La réforme n’est pas seulement une réforme du système par répartition, c’est aussi discrètement la mise en place des fonds de pension. On verra quel rôle joue ce dernier axe.

II – Les enjeux réels de la réforme :
On nous présente la réforme comme inévitable et d’une certaine façon elle l’est. Seulement, on nous présente la réforme en opposition au maintien de l’actuel (forcément impossible). Le problème est celui plutôt de quelle réforme on veut mettre en place. Or, la réforme de Raffarin qui s’annonce comme une réforme pour sauver le système de répartition est en fait une réforme visant à liquider ce système mais de manière indirecte. De manière indirecte car les conséquences de cette réforme vont de fait inciter les gens (ou ceux qui en ont les moyens…) à investir dans la capitalisation pour s’assurer (le croient-ils….) une retraite convenable. Autrement dit, il s’agit pour le gouvernement par cette réforme de fragiliser le système de répartition pour que le système de capitalisation se développe automatiquement, d’où l’axe stratégique de la création des fonds de pension dans cette réforme qui est toujours mis en sourdine alors que c’est par lui que les choses vont opérer une fois le système de répartition affaiblit. On pourrait dire que c’est une tactique chinoise : non pas tuer directement le système de répartition mais créer les conditions qui vont le tuer et laisser les choses se faire tranquillement avec le discours du fatalisme…. (voir François Jullien, « traité de l’efficacité » ou « La propension des choses »). Le meilleur moyen est donc de réduire le niveau des pensions de retraites.

a) Réduire de fait les pensions
La réforme va entraîner une baisse conséquentes des pensions et cela de deux manières : une directe, l’autre indirecte.
Manière directe : en indexant les retraites sur l’inflation et non plus sur les salaires, il va y avoir une perte de pouvoir d’achat des pensions de retraite car les salaires progressent plus vite que l’inflation. L’augmentation des salaire est liée à celle de l’augmentation de la productivité qui est beaucoup plus forte que celle de l’augmentation des prix. Ainsi dans 20 ans, un décrochage sera devenu effectif entre les revenus des actifs (salariés) et ceux des retraités.
Manière indirecte : la baisse des pensions va se faire car les gens prendront leur retraite sans avoir cotisé assez de fait. Ainsi dans le privé depuis 93, la durée de cotisation est resté identique à celle du public, c’est-à-dire une moyenne de 37,5 ans (du fait des pré-retraite etc… ). Ainsi, même si on fixe à 40 ans puis à 42 ans, il y a de très grande chance que les gens partent toujours au même âge à la retraite, ce qui induit de fait via la décote une baisse des pensions (et de fait les pensions de retraites dans le privé ont fortement baissé depuis 93…)
On affiche qu’il faut favoriser le « travail » et donc cotiser plus en sachant que cela ne sera pas possible.
La réduction des pensions va induire une recherche pour ceux qui peuvent d’investir dans la capitalisation. C’est le but du quatrième axe en allongeant la durée de possibilité de cotisation salariale dans les entreprises de 10 ans (Fabius) jusqu’à sa retraite et par la création de fonds de pension associatifs. Pour ceux qui ne peuvent pas investir dans la capitalisation (il faut rappeler que le salaire médian en France est de 7500 francs), leur retraite va fondre

b) Les dangers de la capitalisation
La capitalisation, contrairement au sens commun, demeure toujours une cotisation. On ne finance jamais sa propre retraite. Le système par répartition fonctionne par une cotisation sur le travail des actifs On se constitue des droits dans le cadre d’un « contrat social »collectif entre les générations, sur ceux qui travaillent au moment où l’on prend sa retraite. Le système de capitalisation fonctionne également par cotisation mais non plus sur le travail mais sur des parts d’entreprise et sur leur profit. On achète une part de l’entreprise et on récupèrera en vendant ses parts lors de sa retraite.

 Un système dangereux car imprévisible :
Si le système par répartition est prévisible, le système par capitalisation est lui totalement imprévisible comme le montre les catastrophes financières (ENRON, ou Vivendi etc…). Si on achète des parts dans une entreprise à un moment donné, il n’est pas sûr que celle-ci existe encore au moment de sa retraite. Or, avec l’épargne salariale, les petits épargnants ont tendance a tout misé sur une seule entreprise. Ca été le cas pour France-Télécom, pour Vivendi ou des gens ont perdu en quelques jours la moitié de ce qu’ils avaient investi. La capitalisation, c’est en quelque sorte jouer sa retraite au casino (ou en bourse…. La fluctuation des cours boursiers est telle que rien n’est assuré.
 Un système incontrôlable
Le système par capitalisation ne fonctionne sans aucune solidarité et sans pilotage collectif. Alors qu’on peut décider collectivement comment on règle les problèmes qui se posent dans le système par répartition, dans le système par capitalisation, cela est impossible car les problèmes sont devenus par le placement individuels, eux-mêmes individuels…..
 Un système coûteux
De plus, contrairement à ce que l’on entend partout, le système par répartition coûtent beaucoup moins cher à gérer. Il est beaucoup plus efficace économiquement. En moyenne, le coût de gestion du système de répartition coûte 3 fois moins cher que l’autre système (frais de commission des banques etc…)
 Un système qui ne règle pas les problèmes démographiques
On nous dit qu’il y a un problème démographie et on va mettre en place un système par capitalisation. Or, la capitalisation ne règle en rien ce problème démographique. Il risque d’y avoir, quand les génération du baby-boom vendront leur actions pour toucher leur retraite, une baisse conséquente de ces actions car il y aura sur le marché moins de jeunes pour pleins d’actions à vendre. Avec le jeux de l’offre et de la demande, le prix de ces actions ont de grandes chances de chuter fortement.

III – Quelles alternatives ?

On peut jouer sur trois paramètres :
– La durée de cotisation
– Le montant des retraites
– Le taux de cotisation.

La force du système de répartition n’est pas sa solidarité : il ne fait que reproduire les inégalités de revenus des actifs. Le système de répartition n’est pas un système redistributif. De plus, c’est la partie de la population qui a une petite retraite (les ouvriers) qui en profitent le moins car leur durée de vie est moindre par rapport par exemple aux classes intellectuelles. Il ne faut donc pas trop forcer sur son coté solidaire. Mais sa force et sa grande supériorité vis-à-vis d’un système par capitalisation, c’est que c’est un système nettement moins risqué et plus stable. C’est ici que réside son principal avantage.

a ) Une hausse des cotisations sociales
La réforme proposée par le gouvernement veut jouer sur les deux premiers paramètres qui sont socialement injuste alors qu’on peut très bien jouer sur le niveau du taux de cotisation, c’est-à-dire par une hausse des cotisations sociales. Ce que démontre les études sur ce sujet , c’est que contrairement à ce que l’on dit, une hausse des cotisations sociales n’entraînent pas une hausse du coût du travail mais seulement une augmentation moindre des salaires.
De plus, contrairement à ce que dit la vulgate libérale et médiatique, le coût du travail en France est l’un des moins chers du monde du fait de la compétitivité des entreprises. Si on paye moins cher « un chinois », c’est du fait que son travail est nettement moins productif que celui d’un français. La France est le second pays au monde où les entreprises investissement. C’est un pays très attractif pour les entreprises du fait qu’il y a un niveau de productivité et de service très fort (éducation gratuite, bonne couverture santé etc…). Contrairement à ce que l’on nous dit, il n’y a pas de crise. La France est toujours la 5ème puissance économique mondiale. De ce point de vue, il n’y a pas de catastrophisme dans la situation actuelle. On peut donc jouer sur une hausse des cotisations sociales.

b) Le problème démographique ?
Il y a un problème démographique évident. Aujourd’Hui, il y a 4 retraités pour 10 actifs et on va passer en 2020 à un ratio de 7 pour 10. Mais il semble qu’il faille relativiser cette situation. En effet, en 2020, il y aura moins de jeunes et donc le coût alloué aux jeunes dans la redistribution de la richesse donnera une marge pour les retraites.

c) L’augmentation des charges pour financer la retraite :
En ce qui concerne l’augmentation des charges pour financer la retraites, il faut d’abord savoir que si la réforme Balladur n’était pas passé, d’ici 2040 le taux de prélèvement des retraite dans le PIB n’aurait été que de 6,5% (de 12,5 à 18% du PIB). Or, c’est environ ce que l’on a réussi à faire depuis 40 ans.
Ce qui n’est jamais dit c’est qu’il faut aussi prendre en compte la progression du PIB : selon les prévisions les plus pessimistes, le PIB en 2040 aura progressé de 88%. Autrement dit, si le taux de croissante est de 2%, il faudrait seulement une augmentation de 0,37 % des prélèvements pour les retraites et 1,6 consacrée à l’augmentation du salaire pour résorber le problème du financement.

La solution qui n’est jamais envisagé par le gouvernement et les médias est l’augmentation des cotisation sur le revenu du travail mais aussi étendre les prélèvements à d’autres sources de revenus (revenu du capital). On peut pourtant facilement faire un lien direct entre les difficultés de financement des retraites actuelles avec le partage de la valeur ajoutée depuis les années 80 au profit du capital.

Réserves personnelles :
La conférence était vraiment excellente et très pédagogique et le débat de bonne qualité. Ceci dit, la présentation induisait une vision particulière du monde du travail aujourd’hui où les projections tablait sans forcément le dire comme si le salariat actuel et à venir était toujours un CDI à temps plein. Or, pour un nombre important de salarié, ce n’est plus le cas sans parler des chômeurs condamner à des minima très faibles. Dans la salle, il y avait beaucoup de profs pour qui la forme salariale est celle du salariat canonique. L’évolution du salariat n’est donc pas apparu comme un problème. En ce qui me concerne, même une réforme socialement équitable et non régressive, je ne risque pas de toucher une forte retraite vu que à plus de trente ans, je n’ai presque pas cotisé. Soit je meurs au boulot à 75 ans, soit je m’arrête avec une retraite de misère… C’est un problème quasi générationnel qui n’a pas été pris en compte ni dans la présentation, ni dans le débat.

Laurent.