Gaz de schiste : scénario pour un gazage programmé

Le jeudi 21 avril 2011, la mission d’inspection sur les gaz et huiles de schiste a remis aux ministres de
l’Ecologie et de l’Economie son « rapport d’étape ».
Ce rapport, favorable à l’exploitation des GdS, a semé la stupeur parmi ceux des opposants qui s’étaient
sentis rassurés par les apparentes reculades du gouvernement et par les projets de loi déposés à
l’Assemblée nationale par les groupes PS et UMP, puis au Sénat, dans une touchante unanimité
républicaine.
Ce rapport permet de se faire une idée claire de ce qu’est la stratégie de l’Etat et des industriels en vue de
passer, en deux ou trois ans, à l’exploitation massive de cette énergie sur le territoire français. C’est un
document d’une cinquantaine de pages, mais on peut se contenter de lire la Synthèse de trois pages qui le
termine. Il n’y a pas à rougir : c’est sûrement ce qu’ont fait les ministres. Et ça dit tout.
Tout d’abord, afin qu’il n’y ait aucun doute sur la portée stratégique de ce texte, précisons qu’il a été
rédigé par deux organismes, le Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGIET) et
le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), qui sont placés sous
l’autorité du ministre de l’Industrie pour le premier et de l’Ecologie pour le second. Autant dire qu’ils ont
travaillé dans la bonne direction.
Par leur voix, c’est l’Etat qui parle, et plus précisément l’Etat dans son rapport aux industriels, c’est-à-dire
au capital. Le CGIET, c’est l’ancien Corps des Mines. Le CGEDD, c’est ce qu’on appelait autrefois les
Ponts et Chaussées. Ces gens-là savent de quoi ils parlent, et ils ont un intérêt particulier à ce que
l’exploitation des GdS se fasse. Plus que d’un rapport, il s’agit donc d’un programme, ou d’un plan de
bataille.
La question à laquelle il répond est simple : comment permettre l’exploitation massive des GdS, avec un
minimum de contestation, et ce le plus rapidement possible.
La question n’est naturellement pas pourquoi exploiter les GdS : ça, on le sait déjà. La question est :
comment ouvrir un boulevard aux industriels ?
Si notre hypothèse est juste (mais on peut se tromper), la stratégie choisie est la suivante : céder sur tout
dans un premier temps, ou en donner l’impression, afin de désarmer l’opposition, et de pouvoir travailler
en paix. Pour cela, on propose des solutions bien connues. Les aspects techniques sont secondaires, ce
dont il s’agit, c’est d’arriver là où on veut aller.
Voilà comment on va s’y prendre :
Cacher les industriels derrière les scientifiques, afin de pouvoir commencer les forages
Les industriels, que ce soient Total, GDF ou les « Américains », font peur. On sait de plus en plus que ces
gens-là n’ont pas de moralité et ne visent que leur profit immédiat. Il faut escamoter les industriels.
Il n’est donc pas du tout exclu, dans un premier temps, que les permis d’exploration déjà accordés leur
soient bel et bien retirés. Cela semble même inévitable. La question est : vont-ils demander
dédommagement en contrepartie des sommes déjà engagées pour ces explorations, et qui ne sont pas
minces ? Et si oui, combien ?
Ce point a son importance, pour comprendre ce qui se trame. Il y a fort à parier que les permis seront
retirés, pour rassurer l’opposition aux GdS, c’est-à-dire encore une fois l’endormir et la démobiliser, mais
que les dédommagements demandés par les industriels seront faibles ou inexistants.
En gros, s’ils ne sont pas trop gourmands, cela signifiera clairement qu’on s’est mis d’accord pour
remballer provisoirement le matériel en échange de la garantie de pouvoir entreprendre les forages
d’exploitation, plus tard, dans un délai relativement bref.
Le rapport nous indique la durée de ce délai : « deux ou trois ans ». C’est sûrement ce délai qui a été
négocié avec les industriels par les ministères concernés.
C’est aussi le temps qu’il nous reste pour nous battre.
Donc, masquage des industriels (du moins pour des projets d’exploitation affichés) derrière les
scientifiques. On connaît le coup, celui de la neutralité de la recherche scientifique, on nous l’a déjà fait
pour les OGM (sauf qu’un forage gazier, c’est nettement plus compliqué à désherber qu’un champ de
maïs), on le fait pour les nanotechnologies, c’est rodé.
Ils sont tout prêts à reconnaître les difficultés et les incertitudes : on ne sait pas quelles sont les
« ressources » ; il reste des problèmes à résoudre, tant pour ce qui est de la rentabilité que de l’impact sur
l’environnement ; il y a, en somme, « des progrès à réaliser et des approches innovantes à susciter ». Et
c’est justement pour ça qu’il faut faire des recherches. La meilleure façon de faire ces recherches, ce sont
naturellement des forages « expérimentaux ». Si on n’essaie pas, comment savoir ce qui peut se passer ?
C’est un peu la version kamikaze du principe de précaution.
Quelle est la différence entre des forages « expérimentaux » et des forages d’exploitation ? On ne sait pas
bien. Il semble en tout cas que la fracturation hydraulique, dans un cadre expérimental, ne soit plus du
tout si dangereuse, puisqu’on pourra l’utiliser, mais seulement dans ce cas-là.
Parce que si c’est pour la science, c’est forcément propre, maîtrisé, responsable. On va l’entendre :
« L’expérimentation, ce n’est pas l’exploitation. » Et ça ne sera pas faux : un petit coup de fracturation
tous les six mois, avec des produits choisis, etc. Rien à voir bien sûr avec une exploitation industrielle. Et
c’est là tout le problème.
Quoi qu’il en soit, l’intérêt de l’opération est de mettre en place sur le territoire, de façon sûrement assez
discrète, des forages « expérimentaux » de ce type. En petit nombre, pas tous en même temps, de façon à
diluer et disperser la contestation. Ce seront peut-être les industriels qui s’en chargeront, mais sous le
« contrôle » d’organismes autorisés, tous plus scientifiques et innovants les uns que les autres.
Quels organismes, au fait ?
Le rapport les cite nommément : « un Comité scientifique national, composé d’experts du BRGM, de
l’IFPEN, de l’INERIS et d’universitaires ».
Une fameuse équipe :
Le BRGM :
«Le Bureau de recherches géologiques et minières, placé sous la double tutelle du ministère de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche et du ministère de l’Ecologie, du Développement durable,
des Transports et du Logement est l’établissement public de référence dans le domaine des sciences de la
Terre pour gérer les ressources et les risques du sol et du sous-sol. Il remplit cinq missions : recherche
scientifique, appui aux politiques publiques, coopération internationale et aide au développement,
prévention et sécurité minière et formation supérieure, avec l’Ecole nationale d’applications des
géosciences (ENAG). »
Pour indication, le BRGM vient de signer avec l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets
radioactifs) « un nouvel accord de partenariat, lundi 20 décembre 2010, au BRGM à Paris. Cet accord
prolonge la collaboration des deux établissements publics dans le domaine du stockage profond des
déchets radioactifs, initiée il y a 12 ans. » (Communiqué de presse.)
L’IFPEN :
« IFP Énergies nouvelles (IFPEN) est l’ancien Institut français du pétrole (IFP). Créé le 13 juin 1944
comme Institut du pétrole, des carburants et des lubrifiants, il a été renommé en 2010 par la loi Grenelle II
qui a également changé son statut. Autrefois organisme professionnel chargé par la loi de la « gestion des
intérêts professionnels ou interprofessionnels » (…), il devient un établissement public national à
caractère industriel et commercial avec des mission de recherche et de formation. »
Dans le cadre de ces missions de recherche et de formation, l’IFP a signé divers accords avec Total, pour
des projets de recherche conjoints avec les laboratoires de recherche et développement du pétrolier. L’IFP
s’intéresse notamment au stockage du CO2 en sous-sol, dont on n’a pas fini d’entendre parler.
En outre, Total aime l’IFP. La société propose des parrainages « aux étudiants qui souhaitent intégrer
l’IFP School et bénéficier pendant la durée de leur scolarité à l’Ecole d’un parrainage de Total. Ce
parrainage peut se faire au travers d’une bourse ou par le biais d’un contrat d’apprentissage, moitié à l’IFP,
moitié chez Total). » Le montant de ces bourses est de 1200-1450 euros par mois. On peut imaginer
l’hostilité sourde que doivent développer les étudiants de l’IFP School envers l’industrie pétrolière.
L’INERIS :
« Créé en 1990, l’INERIS (Institut national de l’environnement industriel et des risques) est un
établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle du ministère de l’Écologie,
du Développement durable, des Transports et du Logement. »
« GDF SUEZ et l’INERIS ont conclu le 11 mars 2011 un accord de collaboration sur leurs activités de
recherche. Signé pour une durée de 5 ans, cet accord vise à renforcer les échanges scientifiques et
techniques dans le domaine de la sécurité industrielle liée aux nouvelles énergies : filières hydrogène ;
biogaz et méthanisation ; captage, transport et stockage du CO2. » (Communiqué de presse.)
On voit à quel genre d’experts on a affaire. De ceux pour lesquels le sous-sol est soit l’endroit idéal pour
cacher ce dont on ne sait plus quoi faire (déchets radioactifs, CO2), soit une vache à lait à exploiter. Ce
sont de pures émanations de l’Etat, et leur fonction directe est de donner une caution scientifique aux
activités industrielles les plus destructrices. Ce sont également des relais entre les industriels et l’Etat. Ce
sont eux qui décideront, en toute indépendance, des lieux et des modalités des forages « expérimentaux ».
Après tout ce sont des scientifiques, eux, pas de ces méchantes multinationales assoiffées de bénéfices.
Une fois qu’ils auront commencé à forer, revenir en arrière sera pratiquement impossible, et Total et
consorts pourront tranquillement prendre la suite.
Rassurer les inquiets : transparence, consultation, participation
Cacher les industriels derrière les scientifiques n’est qu’une première étape. Le rapport insiste aussi
fortement sur la nécessité d’informer, c’est-à-dire sur la création d’une « acceptabilité » des GdS.
Trois « cibles », comme on dit en termes de com’, sont désignées : le « public », les élus, les associations.
On connaît la méthode : elle a déjà été appliquée, avec succès, entre autres pour l’enfouissement des
déchets nucléaires.
Pour le public, on peut avoir recours dans un premier temps à une simple information, sous forme de
dépliants sur papier glacé, par exemple. C’est le plus simple. Puis des réunions peuvent être organisées,
avec buffet et petits fours si possible. On réservera peut-être les petits fours au « public » situé le plus à
proximité de forages potentiels…
Il faut ensuite impliquer les élus et les associations.
Le rapport propose la formation de « comités locaux d’information », composés d’élus et de
« représentants d’associations de protection de l’environnement ». Il faudra encore en trouver qui soient
prêtes à se livrer à cette mascarade, mais il y a de tout, et au besoin on peut aussi en créer de toutes
pièces. Ca s’est déjà vu.
Afin de s’assurer la collaboration des élus, le rapport préconise une « révision de la fiscalité pétrolière de
sorte que les collectivités locales trouvent un intérêt à une exploitation d’hydrocarbure sur leur territoire ».
Et ça, c’est triste, mais ça marche. Il n’y a qu’à voir les jolis centres sportifs autour des centrales
nucléaires.
Et à chaque étape, un ballet d’experts tous plus rassurants les uns que les autres répondront en toute
transparence aux « inquiétudes de la population ».
On pourra ensuite passer aux consultations. Il est d’ailleurs amusant de voir combien, alors que les « élus
du peuple » se sont très représentativement exprimés à l’Assemblée nationale, les rapporteurs mettent
leurs espoirs dans une certaine forme de démocratie directe…
Rendre l’opposition inaudible
Une fois la caution scientifique et la caution démocratique assurées, le dialogue avec les opposants va
pouvoir reprendre, sur des bases plus solides.
Ce sera d’abord : vous vouliez plus de transparence, la transparence est assurée. Voyez, nous dialoguons.
Vous êtes consultés, informés. On a même, pour vous faire plaisir, modifié le Code minier : ça n’est pas
rien. Vous avez voulu des lois contre l’exploitation, contre la fracturation hydraulique : vous les avez. Et
ça sera vrai.
Et aussi : Vous invoquiez le principe de précaution, voyez, nous prenons toutes les précautions. Tout ceci
est réalisé sous le plus strict contrôle scientifique : l’Ifpen, le BRGM, l’Ineris sont là. Puisqu’on vous dit
que c’est seulement expérimental. Vous voulez qu’on organise encore une réunion ? Un nouveau
Grenelle ? A qui doit-on envoyer les invitations ?
Et lorsqu’on aura bien tourné en rond : Mais qu’est-ce que vous voulez à la fin ? Qu’on revienne au
moyen-âge ? Et nos emplois, vous y pensez ? Et vous avez vu le prix du pétrole ? Nous n’allons pas
ramener le PIB de la France à celui du Mali parce qu’une bande d’écolos n’aiment pas voir des derricks
en ramassant leurs champignons. Décidément, on ne peut pas discuter avec vous.
A partir de là, si on est encore quelques-uns à être motivés, ils pourront sereinement nous lâcher leurs
chiens à la gorge. Parce que vraiment ils auront fait tout leur possible, de leur côté, question dialogue et
concessions.
Et de toute façon, dans « deux ou trois ans », ça sera fait. Expérimentalement ou non, ils auront fait des
trous dans la nappe phréatique, auront commencé les fracturations. On pourra alors passer à l’exploitation
massive, avec une opposition permanente mais résiduelle, et bientôt institutionnellement intégrée, comme
pour le nucléaire. Il y aura beaucoup d’autocollants « Non merci » sur les voitures, et plus de poissons
dans les rivières. Et voilà.
*
Ca, c’est leur scénario. Le principe général est explicite : il n’y a qu’à lire. Si nous sommes d’accord là-
dessus, si on comprend bien quel jeu joue l’adversaire, la suite risque d’être un (petit) peu plus facile.
Maintenant la question est de savoir comment ne pas se laisser entraîner là-dedans.
Nous sommes quelques-uns à penser que l’étape purement « citoyenne » de l’opposition aux GdS est
terminée, et que le recours à la loi est désormais obsolète.
Il est assez évident que d’un point de vue démocratique, le dernier mot de cette affaire a été dit :
l’Assemblée nationale, de l’extrême gauche à l’extrême droite, est contre l’exploitation des GdS.
Elle l’a dit, un projet, puis deux projets, puis trois projets de loi identiques ont été déposés, tous pour nous
dire que non, non, non, on ne le fera pas, promis. Le peuple à parlé, par ses représentants.
Pourtant, de toute évidence aussi, on va essayer de le faire quand même. Et on nous le dit en face, sans
vergogne.
La gestion du nucléaire, entre autres, nous a clairement montré que, dans les affaires énergétiques et
industrielles plus encore que dans les autres, une seule politique est menée, celle des intérêts
économiques. Ce n’est pas une affaire de gouvernement, de droite ou de gauche, d’écolos ou de fachos.
On ne discute pas là des questions de logement, du nombre d’élèves par classe ou de la police de
proximité. Ce à quoi nous avons à faire, c’est à l’Etat dans son rapport au capital.
Le message qu’adresse via ce rapport l’Etat aux opposants aux GdS, c’est : Et alors ? Qu’est-ce que vous
allez faire, maintenant ?
Qu’est-ce que vous allez faire une fois qu’on aura annulé les permis, que les projets de loi auront été
votés, qu’on aura révisé le Code minier et que tout ressemblera légalement à une reculade, alors que vous
saurez pertinemment que nous allons le faire, que même nous sommes en train de le faire, à Villeneuve-
de-Berg ou ailleurs, simplement parce que nous avons décidé de le faire ?
Quel recours légal aurez-vous contre la loi que vous aurez appelée de vos vœux ?
Si nous restons dans ce cadre-là, nous sommes pris au piège d’un dialogue truqué. Ce n’est même plus
une question politique, c’est simplement une question pratique. Si nous jouons ce jeu-là, ils vont
s’arranger pour que nous n’ayons plus qu’à nous taire, en nous donnant raison.
Et on va atteindre des sommets de ridicule, quand, comme il est prévisible, les collectifs répondront à
l’appel de J. Bové à manifester devant l’Assemblée le 10 mai, pendant que les députés voteront un texte
que personne ne conteste, et qu’ils sont même tous pressés de voter, pour bien nous entortiller dedans…
On ne sait vraiment plus quoi faire pour nous occuper.
C. Jacob, qui a déposé un des projets de loi qui doivent être examinés le 10 mai, le dit clairement : « En
l’état actuel des connaissances scientifiques, notre responsabilité est d’être d’une extrême prudence. Si, à
l’avenir, on nous démontre, par une évaluation des risques, que la loi d’interdiction générale mérite des
évolutions, nous en discuterons » (Les Echos). Traduction : on va vous voter votre loi, comme ça vous
n’aurez plus rien à dire, et on pourra travailler en paix.
Un vieux briscard de la politique comme J. Bové ne peut pas ne pas voir ça. Alors pourquoi vouloir nous
balader à Paris, face à l’Assemblée nationale ? Il nous dit : « Le peuple doit être devant l’Assemblée pour
que les élus tiennent promesse.» Mais quand c’est justement en respectant leurs promesses qu’ils nous
entourloupent, les élus ? Qu’est-ce qu’on fait ?
Et M. Rivasi, à la publication du rapport : « Les experts ont beau dire ce qu’ils veulent, maintenant c’est
une décision politique qu’il faut prendre. » Elle ne voit pas, elle, que ce rapport est tout à fait politique,
justement ? Et que c’est justement la décision politique qui va nous prendre au piège, comme des rats ?
Aveuglement, égarement ? Ou simple refus de voir et de dire quelles sont les limites du mode d’action
choisi ? Mais si le mode d’action ne correspond pas ou plus au résultat recherché, pourquoi le conserver ?
Il semble évident que les raisons sont d’ordre purement politique. Il ne faut pas « détourner le peuple de
la démocratie », comme ils disent. Lui montrer que s’il sait comment les prendre, il peut mettre les
institutions à son service, etc. Faire en sorte qu’ils retournent quand même voter, la prochaine fois. Parce
qu’on a peur de ce qui pourrait se produire si des masses de gens perdaient d’un coup tout espoir dans ce
qu’ils appellent la politique.
On connaît la chanson, et à vrai dire on s’en fout un peu. Sauf que dans l’état actuel des choses, c’est non
seulement contre-productif, mais criminel. Parce que c’est comme ça que les forages vont avoir lieu.
Parce que ces manœuvres politiciennes vont aboutir à laisser faire des trous dans les nappes phréatiques.
Parce que ces plaisanteries vont nous tuer encore un petit peu plus.
Il faut sortir de ce schéma, qui nous prend au piège de nos contradictions. On ne lutte pas contre la loi
avec une autre loi. Ceux qui les font, les lois, sauront toujours s’arranger pour nous mener là où ils
veulent. Les lois ne sont pas faites pour nous, mais contre nous. Qui croit le contraire est soit un
bourgeois, soit un naïf.
Il y a un proverbe qui dit : « Qui veut déjeuner avec le Diable doit se munir d’une longue cuillère. » Il
semblerait aussi qu’à force de déjeuner avec le Diable, les cuillères de certains se raccourcissent de jour
en jour…
*
Il nous faut maintenant cesser le dialogue avec les institutions, puisqu’il est évident désormais que ce
dialogue n’est qu’un jeu de dupe où ce sont toujours les mêmes qui trient et ramassent les cartes. Il nous
faut commencer à jouer selon d’autres règles.
Cesser le dialogue avec les institutions, c’est forcément aussi à un moment ou un autre sortir de la
légalité. Il y a bien des façons de s’écarter de la légalité, qui ne sont pas forcément « violentes », et qui ne
se paient pas plus cher que quelques heures dans un poste de police, au pire. On n’est pas obligés d’en
venir tout de suite au lance-roquettes. Ce qui, soit dit en passant, serait, sur un puits de gaz, une très
mauvaise idée.
Ont été citées dans ce texte quelques institutions qui possèdent des bureaux, des locaux, des sièges que
l’on peut investir, occuper quelques heures, histoire de balancer un coup de projecteur sur ce qu’ils sont.
Ils n’apprécieraient pas forcément de se voir ainsi désignés. Ces animaux-là n’aiment pas la lumière. Il y
a aussi les ministères, les sociétés pétrolières, GDF, etc. Ca s’est déjà fait, il faudrait continuer.
Il nous faut aussi être clairs avec les futures « consultations publiques », c’est-à-dire les boycotter
purement et simplement, voire empêcher qu’elles se tiennent, et dire pourquoi. Et ce même si elles sont
organisées en toute transparence républicaine par « nos élus ». Si nous acceptons le « dialogue » en
participant à une de ces prévisibles mascarades démocratiques, ou simplement en les tolérant, nous
n’existons plus en tant qu’opposants, nous devenons des « partenaires ».
Nous associer aux décisions, cela fait partie de leur stratégie. Déjouer cette stratégie passe par le refus du
dialogue.
Refuser aussi le chantage aux « propositions alternatives ». Parler « experts contre experts », c’est
s’enfermer dans des débats techniques stériles et sans issue.
Personne de sérieux ne peut croire qu’on va se sortir du fameux « problème énergétique » par des
économies d’énergie. La question qui se pose pour le capital n’est pas comment produire et consommer
moins d’énergie, mais comment en vendre toujours plus. Et les GdS le montrent clairement.
Nous dirons « éoliennes », et ils diront : D’accord, on s’en occupe. Et ce sera des kilomètres carrés
d’éoliennes. Avec des forages de GdS entre les rangs, un réacteur EPR au milieu, et des murs de
panneaux solaires tout autour.
Nous n’avons pas à résoudre leurs problèmes de perspectives et de débouchés. Parce que si on s’y colle,
on va finir nous aussi par rédiger des « rapports préliminaires » et les apporter au ministère.
Sous l’Ancien régime, les « propositions alternatives », on appelait ça des cahiers de doléances… Ca a
marché un certain temps…
*
Tout le monde ne sera pas d’accord avec ces positions. Beaucoup persisteront dans la voie « citoyenne »,
par respect de la loi, sympathie pour J. Bové, croyance en la politique et en la démocratie, souci de
respectabilité, habitudes « militantes », peur de l’aventurisme ou pour toute autre raison.
Moins de six mois après le début de la contestation organisée contre l’exploitation des GdS, il semble
déjà y avoir quelque chose comme une opposition « officielle ». Ce qui avait inquiété l’Etat au début de la
mobilisation, à savoir son caractère populaire et donc imprévisible, est en train de s’étioler. Ca se
bureaucratise. Il y a des colères qui se perdent. On parle d’un nouveau Larzac, puis on retourne au
Parlement européen. On fait mollement des réunions d’information où on n’ose trop rien dire, de peur que
ça ne soit pas dans la ligne…
Et après tout, si ça pouvait se régler comme ça, pourquoi pas ? Tant que ça marche… Mais la question est
que non seulement ça ne marche pas, mais que l’Etat est en train de retourner ses propres armes contre la
contestation. Qu’encore une fois ils vont faire servir la loi contre les GdS à l’acceptation des GdS. Créer
des réglementations qui feront accepter ce qu’on règlemente, alors qu’on n’en voulait tout simplement
pas. Et ainsi de suite : on connaît la chanson. C’est celle du Grenelle, du développement durable, du
partenariat et de la cogestion sous toutes ses formes…
Et pendant ce temps-là, les gens qui étaient au départ en colère n’y comprennent plus rien, se demandent,
ah, on nous dit qu’on a gagné, et après le contraire, est-ce qu’on doit s’énerver ou pas, c’est compliqué,
qui a raison, qui a tort, ainsi de suite. Et on va revoter, faire appel, chercher des recours au niveau
européen peut-être, la cour constitutionnelle pourquoi pas, le pape enfin, les Saints du Paradis. Et
l’horizon 2012… On complique. On fatigue le monde. On démobilise mieux qu’un bataillon de CRS.
Mais nous, on s’en fout, des réglementations, du Code minier, de l’alinéa du paragraphe untel de telle
directive. Nous, on veut garder les rivières, ou ce qu’il en reste. On veut des insectes et des animaux,
parce que si tout ça disparaît, on va disparaître avec. On veut vivre sans se dire à chaque instant qu’il y a
de moins en moins de vie possible. Et ça ne concerne bien sûr pas que les GdS.
On sait aussi qu’eux, ceux de l’Etat et du capital, ils s’en foutent, de tout ça : ce qui les préoccupe, ce sont
leurs postes, leurs actions, leurs perspectives de croissance. Leur croissance nous rabougrit. Ils nous
pompent l’air, et l’eau, et le temps qui nous reste à vivre. Tout ce qu’ils veulent, c’est que ça continue
sans cesse. Durable, leur développement. Pourvu que ça dure.
Au bout du compte, la question est : les positions « citoyennes » sont-elles compatibles avec d’autres,
moins légalistes, au moins localement ou à certains moments ?
Les groupes « citoyens » vont-ils se contenter de laisser l’opposition s’étioler jusqu’au gazage final, ou
va-t-on se poser en commun la question de modes d’action différents ?
Va-t-on rester chacun sur son petit quant-à-soi politique, sa chapelle, des « anars » d’un côté, des
« citoyens » de l’autre, sans jamais se poser les questions de manière pratique ?
Pouvons-nous trouver des points de rencontre ? Où ? Quand ? Comment ?
Ce qui nous manque, c’est un front du refus. Un front bas, si on peut dire : un refus de taureau, stupide et
obstiné, pas dialogueur pour deux sous. Ca n’empêche pas la ruse, et la stratégie. Mais le refus est le plus
important. Il faut travailler ensemble à créer le refus, à le maintenir, à l’étendre. Sinon, ça sera une fois de
plus perdu.

En Cévennes, le 24 avril 2011
Contact : gasbull@voila.fr

Annexe : Synthèse du rapport d’étape remis le 21 avril 2011

En achevant la rédaction du rapport provisoire, la mission estime pouvoir apporter aux ministres qui
l’ont mandatée les éléments de réponse qui suivent.
1. Dans l’état actuel de nos connaissances, les ressources en gaz et huiles de roche-mère de notre
pays restent largement inconnues faute d’avoir réalisé les travaux de recherches nécessaires à leur
estimation. Si ces ressources ne sont pas définitivement prouvées, la comparaison avec les
formations géologiques analogues exploitées en Amérique du nord laisse à penser que notre pays
est parmi les pays les plus prometteurs au niveau européen en huiles dans le bassin parisien (100
millions de m3 techniquement exploitables) et en gaz dans le sud du pays (500 milliards de m3).
Ces ressources sont-elles économiquement exploitables ? En l’absence de tests de rendement
réalisés dans le cadre de l’exploration, aucune réponse définitive ne peut être apportée à cette
question, compte tenu de la spécificité de ces hydrocarbures présents par petites quantités
disséminées dans la roche mère et non dans un « réservoir » comme c’est le cas des hydrocarbures
conventionnels. Toutefois, l’intérêt que portent à notre pays les grands opérateurs pétroliers et
gaziers et les compagnies nord-américaines spécialisées dans l’exploitation des hydrocarbures de
roche-mère, ainsi que les investissements qu’ils se proposent de consentir, attestent de l’ampleur du
potentiel. D’un point de vue technique et économique, la probabilité que l’accès à ces gisements
permette à notre pays, à un horizon temporel à préciser, de réduire très sensiblement ses
importations d’hydrocarbures et de limiter d’autant le déficit de sa balance commerciale n’apparaît
pas négligeable.
2. Les grands organismes techniques français, la plupart des entreprises et les analyses les plus
sérieuses réalisées à l’étranger (EPA aux États-Unis, BAPE au Québec) reconnaissent qu’il reste
encore des marges de progrès à réaliser et des approches innovantes à susciter, aussi bien en termes
d’optimisation des forages pour accéder au maximum des ressources que pour rendre ces forages
compatibles avec la protection de l’environnement.
Les élus et associations ont exprimé de fortes préoccupations en matière de prélèvement sur la
ressource en eau et de risques de pollution. En particulier, la compatibilité d’une exploitation
d’hydrocarbures non conventionnels apparaît problématique dans certains territoires dont
l’économie repose sur l’image de marque, l’agriculture et l’activité touristique.
Les deux bassins susceptibles de renfermer des hydrocarbures de roche-mère diffèrent notablement
Connaissance géologique avancée dans le bassin parisien, en particulier grâce aux nombreux
forages pétroliers, alors que dans le sud-est, la connaissance de la géologie (plissements,
formations karstiques) et des relations entre aquifères (failles mettant en relation des aquifères
différents) est à l’évidence encore très imparfaite,
Nature des hydrocarbures : huiles dans le bassin parisien et gaz dans le sud-est.
3. Il faut souligner le caractère trompeur de l’appellation hydrocarbures dits « nonconventionnels
» : ce qui est « non-conventionnel » n’est pas la nature de l’hydrocarbure, mais la
roche dans laquelle on les trouve et les conditions dans lesquelles ils sont recherchés et exploités
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dans cette roche.
La mission estime que du strict point de vue de la maîtrise technique des risques et afin de limiter
l’impact de l’activité industrielle, quatre conditions doivent impérativement être satisfaites :
qu’une bonne connaissance de la géologie et de l’hydrogéologie locales soit acquise,
que les meilleures technologies disponibles soient utilisées,
que les travaux de recherches d’hydrocarbures soient strictement encadrés d’un point de vue
technique et juridique,
que l’autorité en charge de la police des mines exerce ses contrôles avec rigueur.
4. Il serait dommageable, pour l’économie nationale et pour l’emploi, que notre pays aille jusqu’à
s’interdire, sans pour autant préjuger des suites qu’il entend y donner, de disposer d’une évaluation
approfondie de la richesse potentielle : accepter de rester dans l’ignorance d’un éventuel potentiel
ne serait cohérent ni avec les objectifs de la loi POPE, ni avec le principe de précaution. Mais, pour
ce faire, il est indispensable de réaliser des travaux de recherche et des tests d’exploration.
Dans ces conditions, la mission suggère aux ministres de retenir, s’agissant des hydrocarbures de
roche-mère, les principes suivants :
a/ lancer un programme de recherche scientifique, dans un cadre national ou européen, sur
les techniques de fracturation hydraulique et leurs impacts environnementaux.
b/ S’agissant des Causses-Cévennes, il importera de parfaire la connaissance scientifique du
fonctionnement des aquifères et de leurs connexions dans les formations karstiques,
connaissance indispensable à une gestion optimale de la ressource en eau ;
c/ promouvoir la réalisation, par les industriels, d’un nombre limité de puits expérimentaux
« sur-instrumentés » afin de pouvoir s’assurer du respect des enjeux environnementaux.
L’implantation de ces forages sera à définir en cohérence avec les besoins des opérateurs
concernés ;
d/ Ces études et expérimentations contribueront à l’émergence et à la formation d’opérateurs
et de sous-traitants nationaux susceptibles de se positionner sur le marché mondial.
Ces initiatives devront être assorties d’un encadrement strict :
a/ Un Comité scientifique national, composé d’experts du BRGM, de l’IFPEN, de l’INERIS
et d’universitaires, y compris venant de l’étranger, sera garant de la qualité et de la
transparence des études et recherches envisagées ci-dessus, en particulier sur les études
géologiques et hydrogéologiques ainsi que sur l’évaluation des risques environnementaux
liés aux travaux d’exploration. Le Comité scientifique donnera son avis sur l’implantation
des forages. Il s’assurera en outre de l’emploi des meilleures techniques disponibles,
notamment pour la qualité de réalisation des puits. La participation de la société civile
devra être assurée ;
b/ Ces travaux expérimentaux seront instrumentés de manière à contrôler le processus de
fracturation et à s’assurer de l’absence de toute pollution, notamment des nappes
phréatiques, ceci sous le contrôle du Comité scientifique national ;
c/ des comités locaux d’information, composés d’élus et de représentants d’associations de
protection de l’environnement, seront mis en place dans chaque département concerné.
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Cette phase expérimentale sera également mise à profit pour optimiser l’organisation des services
chargés de la police des mines et conforter leurs moyens.
5. La mission recommande que, en l’attente des résultats de ce programme de recherche, la
technique la plus contestée, à savoir la fracturation hydraulique, ne soit pas utilisée hormis pour le
programme scientifique indiqué ci-dessus.
6. La mission recommande, en tout état de cause et pour bénéficier des travaux législatifs et
réglementaires en cours relatifs à la codification du code minier, d’actualiser la réglementation
afférente à l’exploration et à l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère dans le sens d’une
amélioration de l’information et de la consultation du public et des élus, de façon à se conformer
aux principes généraux nationaux et européens. La mission suggère notamment que des procédures
de consultation préalable soient instituées avant l’octroi de permis d’exploration.
7. La mission préconise d’actualiser la réglementation technique afférente à l’exploration et à
l’exploitation des hydrocarbures en adaptant certaines règles au cas des hydrocarbures de roche mère.
Les travaux expérimentaux précités contribueront à l’élaboration de ces règles : par exemple
n’autoriser qu’un nombre limité d’additifs de fracturation jugés sans risque pour l’environnement ;
imposer un référentiel de bonnes pratiques.
8. La mission préconise une révision de la fiscalité pétrolière de sorte que les collectivités locales
trouvent un intérêt à une exploitation d’hydrocarbure sur leur territoire.
9. Enfin, dans deux ou trois ans, l’expérience acquise, aussi bien dans notre pays qu’en Europe et en
Amérique du Nord, permettra de prendre des décisions rationnelles sur l’opportunité d’une
exploitation de gaz et huiles de roche-mère en France.
Pour l’élaboration du rapport final, la mission se propose notamment d’approfondir un certain
nombre de points laissés en attente et de préciser les propositions énoncées ci-dessus. Elle envisage
de nouvelles rencontres avec les parties prenantes. Elle envisage également un déplacement sur un
site opérationnel à l’étranger.