Pour cette gauche anti-impérialiste, le temps n’était plus, en tout cas au Maghreb et au Moyen-Orient, à la lutte de la classe ouvrière contre la bourgeoisie et ses différentes fractions, mais à celle d’une fraction de la bourgeoisie considérée comme « progressiste » au nom de son opposition aux Etats-Unis et à ses alliés. Il fallait donc affirmer son soutien à l’OLP, puis au Hamas et au Hezbollah, au nom de la lutte contre le colonialisme d’Israël. Pour d’autres il fallait soutenir les partis nationalistes kurdes.

Et certains allaient jusqu’à soutenir des régimes anti-ouvriers et dictatoriaux comme la Libye ou l’Iran au nom de la « lutte anti-impérialiste ».

Pas plus que l’ouvrier de Peugeot ne se demande lorsqu’il fait grève s’il va faire le jeu de Renault, les exploité(e)s et opprimé(e)s qui se soulèvent au Maghreb et au Moyen-Orient n’ont que faire de ces jeux diplomatiques entre Etats et fractions de la bourgeoisie. La même révolte et la même colère explose tant contre les régimes « pro-occidentaux », comme en Egypte, en Tunisie ou au Yémen, que dans les pays « anti-occidentaux » comme en Libye ou en Iran. Il importe peu, en effet, à l’ouvrier qui ne parvient plus à joindre les deux bouts quels sont les liens du gouvernement qui décide de la hausse des prix avec les Etats-Unis.

Le chômeur d’Egypte et le chômeur d’Iran partagent la même misère, la même souffrance et la même colère. Pour le manifestant réprimé, battu, blessé et parfois même assassiné par les forces de répression, cela ne fait pas une grande si grande différence que les flics soient financés par les Etats-Unis comme en Egypte, entrainés par la France comme au Bahreïn ou par l’Iran comme les milices du Hamas en Palestine. Pour la femme condamnée à la réclusion à perpétuité, à l’humiliation et aux discriminations quotidiennes, elle est condamnée à la même souffrance que l’apartheid sexiste soit instauré par une monarchie pro-occidentale comme celle des Saoud ou par un régime « anti-occidental » comme la République Islamique d’Iran. La vague révolutionnaire commencée dans la région pauvre de Sidi Bouzid en Tunisie touche maintenant tout le monde arabe et le Moyen-Orient, des manifestations insurrectionnelles ont lieu, après la Tunisie et l’Egypte, au Yémen, en Libye, au Bahreïn, en Iran, etc. Qu’ils vivent au sud ou au nord de la Méditerranée, les chômeurs revendiquent des emplois, les ouvriers veulent du pain, le droit de grève et d’organisation, les femmes luttent l’égalité, la population aspire au bien-être et à la liberté, et tous se battent pour voir aboutir leurs revendications.

Et, quelque soit leur place sur l’échiquier politique et diplomatique international, tous les régimes, dictateurs et partis au pouvoir de la région, réagissent, effrayés, devant la montée des protestations. Certains, en parole, affirment leur soutien aux protestations dans tel ou tel pays, mais pour réprimer de la même façon celles qui se lèvent chez eux.

C’est le cas de la République Islamique d’Iran qui avait, pour sa propagande internationale, affirmé son soutien à la révolution en Egypte allant jusqu’à raconter que les peuples de Tunisie et d’Egypte voulaient subir la Charria comme en Iran. Rappelons qu’en Iran, en 1979, il n’y a jamaiss eu de « révolution islamique ». Il y a eu une révolution contre la monarchie du Shah, pour la liberté et l’égalité, la création de Shorras dans les usines (conseils… ou si on veut utiliser le mot russe soviets), puis soutenue par la bourgeoisie du bazar, le clergé, les puissances occidentales comme lors de la conférence de Guadeloupe, une contre-révolution islamique, avec d’abord la terreur des bandes du Hezbollah puis l’instauration du régime islamique contre les ouvriers qui voulaient maintenir leurs conseils, les femmes qui aspiraient à l’égalité, les militant(e)s ouvriers, communistes, démocrates… exécuté(e)s par dizaines de milliers au début des années 1980, bref la mise en place d’un régime pour briser et réprimer la révolution de 1978-1979. D’ailleurs, le 14 février 2011, la population de Téhéran, de Chiraz, de Kermanshah et d’autres villes du pays a montré sa solidarité avec les révolutions en Tunisie et en Egypte, en criant « Moubarak, Ben Ali, et maintenant au tour de Said Ali » (Khamenei) ou « Au Caire et à Téhéran, à bas les tyrans ! », et en avançant vers sa propre révolution.

En Palestine, les deux factions rivales de la bourgeoisie palestinienne, le Hamas qui contrôle la Bande de Gaza, et le Fatah au pouvoir au Cisjordanie, ont toutes deux soutenu en parole la révolution en Egypte ou en Tunisie, l’une au nom de l’islamisme et l’autre au nom du nationalisme arabe. Pourtant, à Gaza Ville, les miliciens du Hamas ont réprimé peu après le départ de Moubarak une manifestation de soutien à la révolution égyptienne. Six femmes et dix hommes ont été arbitrairement arrêté(e)s. En Cisjordanie, le Fatah et l’OLP ont interdit toute manifestation de solidarité avec la révolution en Egypte et en Tunisie. Le 5 février, malgré l’interdiction, plusieurs centaines de personnes sont descendues dans les rues de Ramallah et ont été agressé par des agents de l’Autorité Palestinienne quand les manifestant(e)s ont scandé « De Ramallah à la Place Tahrir, le peuple veut le changement ».

Le 17 février, c’est à Soulemaniye, au Kurdistan d’Irak, que des milliers de manifestants, protestants contre la misère, la corruption et l’absence de liberté ainsi que leur solidarité avec les révolutions en Tunisie et en Egypte, ont dû faire face aux tirs des brutes du PDK, un des deux principaux partis nationalistes kurdes au pouvoir, faisant plusieurs morts et plus de cinquante blessés. Si, dans ces révoltes et révolutions, la population et la classe ouvrière font, comme dans toutes les périodes de rupture, preuve d’une formidable intelligence et créativité pour affronter les forces de répression, s’organiser en comités de quartier pour se défendre face aux voyous du régime, constituer de nouvelles confédérations syndicales comme en Egypte, etc. force est de constater que les gouvernements, eux, semblent reproduire partout le même jeu. En Egypte, Moubarak avait cru pouvoir éteindre la contestation en faisant agresser les manifestant(e)s par des brutes à son service, aujourd’hui c’est en Libye et en Iran que l’on voit des mises en scènes de manifestations favorables aux dictateurs en place. Comme en Egypte, cette stratégie ne parviendra pas à empêcher le départ des Khadafi et des Khamenei qui, bientôt, iront rejoindre Ben Ali et Moubarak. Bien entendu, la bourgeoisie locale comme internationale tente, par tous les moyens, d’éteindre l’incendie, quitte à sacrifier ses anciens serviteurs. En Egypte, la junte militaire au pouvoir tente de mettre fin aux grèves ouvrières, et les Etats-Unis ont cherché toutes les possibilités de nouveau gouvernement pour remplacer Moubarak, allant jusqu’à discuter avec les Frères Musulmans qui ont oublié leur rhétorique anti-impérialiste pour répondre présents.

Le même espoir d’en finir avec les régimes despotiques et corrompus brûle dans les coeurs des populations de tout le Maghreb et de tout le Moyen-Orient, un même vent de liberté et d’égalité souffle pour envoyer dans les mêmes poubelles de l’histoire à la fois les Moubarak, Ben Ali, Khamenei, Khadafi, Bouteflika, Mohammed VI, etc, etc. Et cette flamme pourrait bien embraser bien plus que la zone sud de la Méditerranée, tant les prolétaires d’Europe et d’Amérique du Nord aussi ont bien des exploiteurs à faire dégager, et n’ont plus rien à perdre. Quelques soient leurs discours, on voit bien que tous les dirigeants, locaux ou internationaux, et toutes les fractions et partis de la bourgeoisie, qu’ils s’affirment démocrates, monarchistes, nationalistes, islamistes ou autres, ne visent qu’à une chose, éteindre ce formidable mouvement révolutionnaire, craignant qu’il ne les entraîne tous à la place qui est la leur : les poubelles de l’histoire.

Camille Boudjak, 19 février 2011

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