Depuis les élections présidentielles de la fin de l’année dernière la Côte d’Ivoire, ancienne colonie française de 20 millions d’habitants, a deux présidents qui prétendent tous deux être les représentants de la souveraineté populaire démocratiquement exprimée dans les urnes: Alassane Ouattara a été désigné vainqueur des élections par la Commission électorale et la «communauté internationale» (lire: les impérialismes occidentaux), tandis que Laurent Gbagbo l’a été par la Cour constitutionnelle, après que celle-ci ait annulé une partie des résultats pour «fraude électorale», son soutien jusqu’ici le plus solide étant l’armée.
Face à un Ouattara qui a été pendant de nombreuses années un haut fonctionnaire du FMI et qui appelle ouvertement à une intervention militaire étrangère pour écarter Gbagbo, ce dernier a beau jeu pour mobiliser en sa faveur une partie de la population en jouant la carte de l’anti-impérialisme et de la résistance populaire à un complot de la France et des Etats-Unis.

Mais en réalité l’ancien opposant de gauche au régime autoritaire de Houphouët-Boigny qui l’avait emprisonné au début des années 70, jeté à nouveau en prison en 1992 par Ouattara, alors premier ministre, et dont le parti est toujours membre de l’«Internationale Socialiste», n’est, pas plus que ses confrères internationaux, un défenseur des exploités, ou un adversaire des impérialistes. Les intérêts de ceux-ci n’ont pas du tout eu à souffrir de son accession au pouvoir; par exemple le milliardaire français Bolloré (célèbre pour avoir prêté son yacht à Sarkozy) a réalisé d’importants investissements (il a en particulier obtenu la concession du port à conteneurs d’Abidjan) dans le pays, et c’est une société appartenant à son groupe qui a réalisé la campagne publicitaire de Gbagbo pour les élections présidentielles (1). Gbagbo lui même déclarait en mai 2008 « il faut quand même que les gens sachent que dans tous les grands choix que nous avons opérés, ce sont les entreprises françaises que nous avons choisies » (2).
Pour se maintenir au pouvoir, Gbagbo et ses partisans du Front Populaire Ivoirien n’hésitèrent pas à reprendre à leur compte le principe de «l’ivoirité» inventé par Bédié, le successeur de Houphouët-Boigny, pour écarter Ouattara accusé de ne pas être vraiment ivoirien et plus largement pour jeter la suspicion sur les immigrants et les populations du nord: de véritables pogroms furent ainsi organisés en 2002 à Abidjan par le gouvernement. Une intervention militaire française sauva le régime de Gbagbo en stoppant la rébellion militaire qui à partir du nord du pays, menaçait de s’étendre jusqu’à la capitale; des accords dits de Marcoussis signés début 2003 imposèrent sous l’égide de l’impérialisme tricolore un partage du pouvoir entre les rebelles et les partisans de Gbagbo, et une partition de fait du pays..

Pour les impérialistes français, ce qui était essentiel n’était pas la victoire de l’un ou l’autre camp, mais la poursuite de leurs affaires, à commencer par la commercialisation du cacao dont la Côte d’Ivoire est le premier exportateur mondial (40% des exportations mondiales), et d’autres productions agricoles. La France est toujours la puissance dominante dans ce pays où elle possède d’importants intérêts économiques, même si ses positions sont peu à peu rognées par les Etats-Unis: outre de grandes entreprises comme celles de Bolloré, Bouygues, Orange, Vinci, Total, il y a encore près de 700 PME-PMI. C’est la raison pour laquelle le gouvernement français organisa une intervention militaire dite «opération Licorne» (toujours en action), bien entendu sous prétexte humanitaire. La soldatesque française montra ce qu’elle entendait par son rôle humanitaire lorsqu’elle tira dans une foule de manifestants en novembre 2004, faisant plus de 60 morts…

Malgré les services qu’il a rendus à l’impérialisme français, le régime de Gbagbo était jugé peu fiable par les autorités françaises; elles ont donc pris fait et cause pour Ouattara, comme les Américains et les autres impérialismes occidentaux. Ces derniers poussent des cris d’indignation, multiplient les menaces d’intervention militaire, en alternance avec les promesses de pardon et d’asile politique adressées par les Etats-Unis à Gbagbo s’il abandonne son siège, tandis que des mesures d’embargo économique et financier ont été prises. Tout cela au nom d’une «démocratie» que ces mêmes impérialismes n’hésitent jamais à bafouer quand cela les arrange, il suffit de voir la Tunisie ou l’Egypte pour s’en convaincre.

Il ne faudrait cependant pas négliger le fait que pour certains secteurs impérialistes français, Gbagbo est un moindre mal, Ouattara étant redouté comme «l’homme des Américains» et une perspective d’intervention militaire d’une force ouest-africaine considérée comme la pire des solutions (3). C’est cela qui explique en définitive les atermoiements français, derrière les rodomontades de Sarkozy.
La situation a donc toute chance de pourrir, alors que les milices de Gbagbo, peut-être épaulées par des mercenaires libériens, se livrent à de sanglantes exactions à Abidjan et d’autres régions du pays pour terroriser les opposants. Selon l’ONU, les violences depuis les élections présidentielles de novembre auraient fait au moins 260 morts, la plupart des victimes ayant été tuées par les partisans de Gbagbo. L’asphyxie économique causée par les mesures d’embargo ne pourra que retomber sur les masses, les capitalistes et affairistes d’ Abidjan et de la région du cacao dont Gbagbo est devenu le porte-parole, ayant les moyens de mettre en place des filières de contrebande, principalement avec le Ghana. Le gouvernement ivoirien qui réunissait «nordistes» et partisans de Gbagbo, avait montré lors des manifestations de la faim en 2008 qu’il n’hésitait pas à recourir à la répression la plus sauvage contre ceux qui protestaient contre la misère. Il n’y a pas de doute que si Ouattara finissait par accéder au pouvoir il adopterait une politique au moins aussi brutale et antisociale que celle qu’il avait suivie lorsqu’il a été appelé au poste de premier ministre en 1990 et qui s’était soldée par une brutale dégradation des conditions sociales des travailleurs et des masses.

Ni Gbagbo, ni Ouattara ne représentent donc une solution pour les prolétaires et les populations déshéritées de Côte d’ivoire; ils ne sont tous deux qu’au service d’intérêts capitalistes et impérialistes. Il est réactionnaire de se lamenter, à la manière des démocrates et des impérialistes, sur le «viol de la volonté populaire» et de la «légalité», comme le font les néo-staliniens du Parti Révolutionnaire de Côte d’Ivoire (4). Les événements actuels rappellent que, comme le marxisme l’a toujours reconnu, ce n’est pas par le bulletin de vote qu’on peut résoudre les antagonismes sociaux, mais seulement par la lutte: la force prime le droit. Ce qui est vrai aujourd’hui pour l’antagonisme entre deux clans bourgeois, l’est à un degré infiniment plus élevé lorsqu’il s’agit de l’antagonisme entre les exploiteurs et les exploités, entre les prolétaires et les bourgeois.

La Côte d’Ivoire est un pays essentiellement agricole où l’agriculture emploie près de 70% de la main d’oeuvre. Il y existe cependant une classe ouvrière, urbaine et agricole, qui a déjà mené des luttes notables contre les patrons locaux ou français; si elle est réduite en nombre, c’est elle qui représente cependant la force d’avenir, celle qui est potentiellement capable, en s’organisant sur des bases de classe, de rassembler autour d’elle toute la masse des exploités et des opprimés et de l’orienter, en union avec les prolétaires des autres pays, vers l’attaque révolutionnaire contre le capitalisme et l’impérialisme, contre l’Etat bourgeois et toutes les cliques politiciennes.

Quant aux prolétaires français, il leur revient de manifester une solidarité réelle avec leurs frères de classe ivoiriens en entrant en lutte contre leur propre capitalisme, en combattant ici même la pieuvre dont les tentacules étranglent les prolétaires et les masses pauvres là-bas, en s’opposant résolument à toutes les mesures et interventions, économiques ou militaires, de l’impérialisme.

Retrait des troupes françaises et onusiennes de Côte d’Ivoire!

Impérialisme français hors d’Afrique!

Vive la lutte prolétarienne internationale!

(1) Dans une interview le 22/12 à France Info/LCP, Jacques Séguéla, fondateur de l’agence publicitaire RSGC qui appartient au groupe Bolloré, expliquait que son agence avait soutenu Gbagbo «parce que Vincent Bolloré a des intérêts en Afrique, dans toute l`Afrique – c`est le plus gros investisseur français, je crois que c`est le plus gros investisseur européen en Afrique – et que de longue date il a toujours conseillé Gbagbo». cf www.acrimed.org/article3516.html
(2) cf http://survie.org/billets-d-afrique/2011/198-janvier-20…e-a-c
(3) cf Le Monde, 19/1/2011.
(4) cf www.afriquesenlutte.org/afrique-de-l-ouest/cote-d-ivoire/article/cote-d-ivoire-agir-collectivement

Parti Communiste International