Féminisme, prostitution et néolibéralisme

Semblable à Sisyphe condamné à rouler perpétuellement sa pierre au-dessus d’une montagne, le mouvement féministe recommence sans cesse le débat sur la prostitution sans jamais atteindre le coeur de la question. Les unes y voient un métier comme un autre, les autres, de l’exploitation, et les questions essentielles qui concernent l’ensemble des femmes et de la société, et non seulement les prostituées et les féministes, restent toujours en plan.

Si je ne vois pas dans la prostitution une « profession » comme une autre, suis-je « dans le champ » pour autant ? Si je vois dans ce soi-disant « travail ordinaire » un piège qui se referme sur la majorité de celles qui y entrent (deux de mes proches ont connu ce piège), une voie sans issue, bien qu’elle permette à certain-es de faire rapidement de l’argent et de le dépenser aussi vite, selon la logique de consommation d’un système patriarco-libéral qui favorise l’exploitation des un-es par les autres ? Et si je crois qu’une société dite évoluée devrait tout mettre en oeuvre pour favoriser l’égalité des chances et combattre la marchandisation des êtres humains plutôt de proposer cette voie d’évitement aux jeunes et aux moins jeunes qui essaient de se frayer un chemin dans la jungle du marché du travail ?

Et si, au-delà de la reconnaissance des droits et des besoins des prostituées, je veux m’interroger sur les prétendus droits de vendre son corps et sa sexualité, d’acheter des « services sexuels » et de vendre le corps des autres ? Si je veux comprendre la nature, les causes et les conséquences de la prostitution, non seulement pour les prostituées elles-mêmes, mais pour l’ensemble des femmes et de la société – car il se trouve que je me préoccupe de l’avenir des femmes et de la société – si je veux comprendre également les facteurs qui font en sorte que, dans des conditions économiques semblables, certain-es entrent dans la prostitution et d’autres pas ?

Si, en tant que féministe, je cherche à voir plus loin que le bout de mon nez pour entrevoir l’impact éventuel, sur l’ensemble des femmes et des sociétés du monde, de décisions locales, nationales ou internationales qui légitimeraient la prostitution et la proposeraient comme un modèle de travail, acceptable parce que payant, suis-je toujours « dans le champ » ? Bref, si je ne suis pas assez détachée pour considérer l’acte de se prostituer et celui de prostituer les autres comme de banales transactions financières, des relations purement économiques et l’exercice d’une liberté individuelle, est-ce que je nie les droits des prostituées et contribue à la violence qu’elles subissent ?

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Plusieurs le croient. Des féministes montent au front pour défendre non seulement les prostituées contre toutes les violences qu’elles subissent, mais la prostitution elle-même, pourtant l’une des plus vieilles institutions patriarcales. Étonnamment, on combat le néo-libéralisme dévastateur des droits et de l’égalité dans tous les autres domaknes, mais on le réclame dans le domaine du commerce du sexe.

Ce que mettent aujourd’hui en cause ces « féministes chics », écrit Elise Thibéaut, « ce n’est pas l’idéologie dominante, qui par tous les moyens tente de circonscrire les femmes aux besoins de la marchandisation néo-libérale. Ni les violences, ni le travail précaire, ni le droit à la contraception, ni la lutte contre l’exploitation sexuelle, ni la pauvreté, ni l’inégalité salariale ne les font sortir de leurs gonds. Non, ce qui vraiment les conduit à occuper crânement les médias (au-delà d’une évidente soif de célébrité très Loft attitude), ce qui les met dans tous leurs états, c’est la défense d’une prostitution dite « libre », consentie et choisie ; c’est le maternalisme prétendûment tout-puissant qui, selon elles, constituerait un danger mortel pour les femmes ; c’est, enfin, une « victimisation » qui les enfermerait « dans leurs spécificités. […]

«L’urgence est-elle vraiment, aujourd’hui, à l’heure où des millions de femmes, d’enfants et d’hommes dans le monde sont contraint-e-s à la prostitution, de faire de cette activité un métier ? Cet argument néo-libéral sur les bienfaits de la régulation économique a pourtant fait la preuve de son inefficacité : le profit, par définition, ne se régule pas. Il veut toujours plus, et par tous les moyens. Comment échapper à une condition qui s’inscrirait ainsi dans une pseudo-normalité : « suce, puisque je te paye » ? Aurait-on conçu cette épouvante : au lieu d’abolir l’esclavage, admettre que l’esclave serait désormais bien traité et payé, en restant la propriété d’un autre ? […]»

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