* partir serait toujours déjà devenir
** partir pour mieux et durablement tenir, ici, maintenant

Le jour même où la loi, l’accord, la politique traditionnelle et ses applications implacables nous clouent au sol, nous choisissons l’esquive. La grâce du continuum sans l’affliction des arrêts. Le Mouvement se met en mouvement. Nous partons à quarante mais sommes vite nombreux. Suffit d’un sens, d’un sens commun, pour de si peu, devenir autant. Ce que nous faisons nous le faisons avec tous. Décider de s’arracher au couperet du 1er janvier 2004. Bouleverser le cours du temps. Le prendre à bras-le-corps non pour nier l’entrée en vigueur des mesures – nous ne rêvons pas – mais pour dire et répéter : préferons ne pas. Peut-être que Rome fut une de ces plus belles échappées. Il y fut question de territoires, d’inconnu, de sommeils départagés, d’enfance, de paysages insensés, de denses paroles, de lieux inédits, de fatigue, d’histoire. Bref, de politique. La politique telle que nous la fabriquons, ensemble. Telle qu’elle nous laisse du champ pour repenser le monde. Telle que nous pouvons l’espérer. Ici, et à partir. Dans cette ligne de fuite faire acte de nos discours. Ouvrir l’espace et le temps pour exposer plus que nos revendications. Irréductibles, oui. Au sens où nous ne voulons pas être réduits à une définition qui nous contiendrait. Nous ne voulons pas être contenus. L’agir-ensemble est dans ce cadre/hors cadre toujours une façon de sortir de soi. Bricoler joyeusement le temps, tel qu’il importe.

Pour dire vite, vrac et en travers :
Des routes, des bâtiments, des couloirs, des lieux, des visages. Dans le train, la voix brouillée de Chirac, les voeux : EMPLOI EMPLOI comme un vase creux, un cimetière de mots. La certitude ensemble d’échapper à l’anesthésie promise.
Frontières: la Suisse, l’Italie. Neige, lune, montagne.
Nous traversons. Fiction des vies que les décideurs veulent broyer. Shengen nous voilà… Yaka Yaka yaka inventer de continuer, vivant debout, sur la terre, concrets comme des rocs. Rome à peine éveillée, une invitation. Berceau, disent-ils, de notre culture. Posant ici le pied, un drôle de sentiment : vieille origine et recommencement. Les ruines semblent pousser dans la ville alors que c’est la ville qui a poussé sur les ruines. De ces tensions contradictoires, des sons si doux en ce matin d’an nouveau, nous ne pouvons qu’espérer violemment, intimement que quelque chose se renverse, advienne. Les amis nous guident. Villa Medici. Grossièrement visibles nous pénétrons les lieux sacrés consacrés. Aristocratie de l’art. Restes, débris de fête. Décadences. Qui osera dire que ces lieux ne furent jamais occupés, colonisés? La jet-set internationale, les VIP organisent ici sans expulsion leurs agitations tolérables. Communiqué vif sur notre présence en ces lieux. Au balcon notre banderole désuète sur l’énorme façade défie le monde et le jour. Elle dérange. Nous dérangeons. La police représentée ne tarde pas. Casanova, le flic français maffieux chargé de Nous. Ce n’est pas un film. …Anita ekberg dans la fontaine. Le visage d’Anna Magnani dans la ville éperdue. Rome ville ouverte. Diritti sociali per tutti, cultura per tutti, venez, viens… Saluons les romains du haut de la bâtisse. Renversement. Pans entiers des lectures, vies, images, suspendus dans l’air de Rome. Inquiètude diffuse … Pier Paolo où sont les barbares ? « Où vivre physiquement ? » Rencontre tardive et théâtralisée avec le maître des lieux. Bouffon infect obéissant moitement aux ordres :  » suis un artiste moi, ne me parlez pas de chiffres, parlez-moi de l’Hôômme « . Colère et coup de gueule retenus. A travers lui défilent six mois de lutte, mêmes mots, mêmes refus. Même et unique réponse : expulsion. Moins nombreux que les CRS, mi-civils mi-pas, les flics nerveux, casques et matraques nous encadrent. Des pensionnaires un seul nous soutiendra activement. Bus. Traversée de la ville. Slogans. Contrôle d’identité. Empreintes et photographie, face, profil. Fichés. La villa, le commissariat, la rue. Au sortir, on respire. Galerie marchande : conférence de presse. Enfermés dehors aussi : Zara, minelli,batta etc.. Magasins, produits, dessins identiques des constructions désirables. Dégoût. L’avidité des après-fêtes, autant d’infatigables acheteurs/promeneurs. Abattement et fatigue. Centre social. Les camarades italiens nous proposent un lieu pour dormir dans un immeuble occupé dans la banlieue romaine. Pauvreté et dénuement. Une douche chez les habitants. Dormir au sol, quelques matelas partagés. Nous sommes enfin accueillis. Une porte ouverte gardée par des femmes. Sourires. C’est comme un autre pays, un asile possible. Le lendemain réunion dans un autre centre social, grande bâtisse occupée par différents groupes en lutte. Droits sociaux, politiques. La destruction du seul régime d’assurance chômage qui prenait en compte la discontinuité de l’emploi correspond à la disparition d’un modèle envié par beaucoup de travailleurs précaires en Italie. Ici les droits collectifs sont quasi inexistants. La proposition de constitution européenne fait l’impasse sur les droits sociaux. Pensées et inventions d’espace-temps désassujettis. Se revoir vite. Un bus privé nous ramène au pays moyennant cash. 20 heures de trajet. Sommeil et rires. Soupe et galette au retour « chez nous » quai de Charente. L’action se termine et commence l’année sous les meilleurs auspices. Puissance du nous. Agirs féconds non négociables. Voilà. Souhaitons vivement que ce temps partagé politiquement, sensiblement nous donnera à tous la force de continuer et d’espérer ensemble les luttes à venir. A d’autres échappées.