Le silence retombe peu à peu sur le mouvement de contestation de la réforme des retraites. Syndicats et partis politiques sont passés, comme ils disent « à autre chose ». Le combat mené n’aurait été qu’une péripétie secondaire sur la route qui mène à l’élection présidentielle de 2012.

Pourtant c’est à tout un bouleversement social auquel nous allons assister et faire les frais. Ne pas réagir aujourd’hui – et pas n’importe comment – c’est rouler vers l’abîme. Le spectre des années trente commence à effrayer – à juste titre – les plus conscients.

LA RECONQUETE

Avec sa mondialisation, le Capital est entré dans une phase de « reconquête ».

Reconquête d’un rapport de force idéologique.

L’effondrement de l’expérience lamentable du « socialisme » et le retour au capitalisme des états dits « ouvriers » lui assure une assise idéologique incontestable, depuis 1989. Aucune alternative n’apparaît pouvoir le remplacer.

Reconquête d’un rapport de force économique.

La dispersion du Capital à l’échelle mondiale, sa réorganisation sous forme de groupes, sociétés multinationales, transnationales, la libéralisation du commerce et des circuits financiers en fait un ensemble insaisissable pour ses victimes, nous.

Reconquête d’un rapport de force stratégique.

La lutte des salariés s’apparente à une partie de « colin maillard » ou celui qui a les yeux bandé n’arrive plus à trouver l’autre. Les vielles méthodes de luttes des salariés sont relativisées et facilement contournées dans le cadre d’une transnationalité.

Reconquête d’un rapport de force historique.

L’évolution de ces rapports de forces en faveur du Capital lui permet, aujourd’hui, dans les pays où il avait été obligé de « lâcher », de revenir sur les concessions faites aux salariés – autrement dit sur leurs acquis sociaux.

Stabilité de l’emploi, protection des salariés, hygiène et sécurité dans l’entreprise, salaire garanti, congés payés, protection sociale, retraites, services publics… tout est soumis à révision. Rien n’est épargné et rien ne sera épargné,… et les salariés, en position de faiblesse ne pourront que voir filer un à un ces acquis si chèrement acquis.

Depuis des années nous assistons à une attaque en règle contre les services publics, démantelés, aussi bien par la droite que par la gauche. Attaque contre la santé de plus en plus marchandisée : remboursement des médicaments, démantèlement de l’hôpital,…

L’attaque contre les retraites n’est qu’un épisode de cette logique, il y a fort à parier que la prochaine grosse étape va être le démantèlement de la Sécurité Sociale.

« Ils n’oseront pas » disent certains. C’est être bien naïf que de le croire… Et que va-t-on faire ? Comment allons nous nous y opposer ? En manifestant ? En pétitionnant ?… Comme pour les retraites ?

Peut-on faire une fois encore confiance aux syndicats ?

Peut-on faire confiance aux partis politiques qui trépignent d’impatience à la veille des élections ? Pensez vous sérieusement que l’on puisse faire la moindre confiance à celles et ceux qui s’apprêtent à aller au pouvoir ?

La réponse est évidente.

Est-ce à dire qu’il n’y a plus rien à faire, sinon à se laisser déposséder, et que le Capital a définitivement gagné la partie ?

En réagissant comme on l’a fait pour les retraites, on aura implicitement répondu positivement à cette question.

Reconnaître que l’on est battu – comme pour les retraites – est indicible. De même qu’est indicible le fait que l’on ne sait pas/plus quoi faire, comment s’y prendre, quelles actions entreprendre.

Syndicats et partis politiques refusent de poser le problème en ces termes,… et pour cause. Ils n’ont aucune alternative et n’en veulent aucune. Ils se satisfont de la situation présente.

AGIR, MAIS COMMENT ?

Lutter contre cette « reconquête », c’est repenser les choses autrement, envisager une stratégie de lutte autre que celle qui a été utilisée jusqu’à aujourd’hui et qui n’a plus aucun effet sur le système. Pour cela, inutile de faire la moindre confiance aux partis et syndicats qui se satisfont parfaitement de la situation actuelle.

S’affronter directement à celui-ci est suicidaire. L’histoire des 19 et 20e siècle nous a montré qu’il était capable de tout, et du pire, pour se tirer d’affaire. Il a institutionnellement tout verrouillé, y compris, et surtout, le système politique qu’il présente comme démocratique et qui ne sert qu’à le pérenniser.

L’affronter directement peut paraître héroïque, mais parfaitement vain et irréaliste. De même que déclencher une grève générale est parfaitement aléatoire, aussi bien dans les conditions de son déclenchement – il ne suffit pas de dire pour que ça se fasse – que dans ses prolongements – combien de temps et que fait-on après ?

Le seul accès que nous ayons se situe dans ses parties faibles,… celles où il ne nous attend pas, celles qui constitue l’essence même de son existence : les rapports sociaux de production et de distribution.

On n’attaque pas le char du capitalisme avec le lance pierre des élections ou même de la grève (même générale), mais en minant le pont sur lequel il va passer autrement dit en construisant un pratique et une stratégie collective une alternative asséchant, peu à peu, ses circuits de distribution.

La décadence même de ce système nous montre la voie. Face à la crise généralisée, des structures se mettent en place, des initiatives fleurissent, des expériences sont tentées.

Dispersées géographiquement, ignorées par les politiciens et les médias, elles n’en constituent pas moins des « amorces de solutions » locales, des situations pour recréer du « lien social », du sens à la vie collective, autre que les rapports mortifères générés par le système marchand.

Développées, généralisées et fédérées, ces pratiques peuvent constituer le creuset dans lequel émergeront les rapports sociaux solidaires que nous appelons de nos vœux.

Comparées aux grands circuits économiques du capitalisme mondial elles peuvent paraître, à son échelle, dérisoires… Pourtant elles peuvent exister, elles existent encore timidement, elles se développent, elles peuvent, et doivent, devenir même une stratégie politique de construction d’un monde nouveau.

Nous pouvons dès à présent soustraire des pans conséquents de l’économie des griffes du capitalisme marchand et financier. Nous ne pouvons certes pas investir tous les secteurs en même temps… Commençons par là où nous le pouvons : l’agriculture par exemple,… et faisons preuve d’invention et d’initiative sur les autres secteurs… Lors de liquidation d’entreprises par exemple (prenons l’exemple des Argentins).

Tout ne se fera pas tout de suite, spontanément. Tout ne réussira pas du « premier coup ».

Avec cette nouvelle stratégie nous pouvons créer un nouveau rapport de force avec les formes marchandes du Capital… Une telle stratégie peut être le socle social et politique à partir duquel mener des combats comme celui sur les retraites, l’intégration et la Sécurité Sociale. Les gestionnaire du Capital ne nous prendrons plus alors pour de simples contestataires incapables de mener leurs actions jusqu’au bout.

Ne forçons pas nos syndicats et organisations de « gauche » à mener ce combat,… c’est perdre notre temps. Changeons de terrain de lutte, allons sur un terrain qui leur est totalement étranger et autrement plus déterminant que leurs petites et grandes manœuvres politiciennes.

Le temps nous est compté et les expériences du 20e siècle doivent nous éclairer. Le capitalisme nous conduit une fois encore au désastre. En l’absence d’une stratégie, cette fois efficace, les dégâts, à tous les niveaux sociaux économiques, politiques, écologiques, moraux risquent d’être sans commune mesure avec ceux du siècle passé. Les problèmes qui se posent à nous sont, pour la première fois dans l’Histoire de l’humanité, non plus locaux, mais globaux, à l’échelle de la planète.

La barbarie nous guette.

Décembre 2010 Patrick MIGNARD