Au mois d’août 1953, en pleine période des congés pour les salariés, une grève qui a surpris tout le monde, mais surtout le gouvernement de l’époque, a paralysé les services publics et mis en échec ses plans d’austérité. Le gouvernement était alors dirigé par Joseph Laniel, un patron situé nettement à droite, membre du Centre National des Indépendants et Paysans, succédant à Antoine Pinay et au radical René Mayer.
Autorisé par l’Assemblée nationale à gouverner par décrets-lois, il voulu reculer de 2 ans l’age de départ à la retraite pour les fonctionnaires.
De 65 à 67 pour les services « sédentaires » et de 58 à 60 pour les services « actifs »
Cette procédure devait être présentée au Conseil Supérieur de la Fonction publique le 4 août. La CGT, la CFTC et les Autonomes appelaient à 1h de grève, plus des pétitions et des délégations.
A la poste principale de Bordeaux, Jean Viguié de FO mais tendance anarcho syndicaliste prit le micro pendant l’AG et résuma la situation : »Seule une grève générale et illimitée peut aboutir à faire reculer le gouvernement, pourquoi ne la lancerions nous pas ? » Applaudissement général qui tint lieu de vote.
Deux jours plus tard, la grève était générale dans les PTT et gagnait d’autres secteurs.
Les centrales syndicales appelèrent ensuite à une grève de 24h le 7 août où les cheminots, les gaziers, le métro parisien, les mineurs, les arsenaux et les travailleurs de la régie des tabacs les rejoignirent. C’est bientôt 4 millions de grévistes partout en France et jusqu’au 25 août.Les ordures ménagères s’entassaient sur les trottoirs des villes.
Dans un premier temps, le gouvernement tenta de faire preuve de fermeté. Des ordres de réquisition fondés sur un décret datant de 1938, relatif à la sécurité du territoire en temps de guerre, furent adressés à des cheminots et à des postiers… et finirent en feu de joie. Des tribunaux prononcèrent des condamnations. De la prison ferme, huit jours pour cinq agents du Central téléphonique international de Paris, six jours avec sursis pour deux facteurs-chefs de Lyon, entre autres. Aucune de ces peines ne fut appliquée. Le moral des grévistes n’en fut pas entamé.
Mais pour le gouvernement comme pour les syndicats, il s’agissait de régler cette affaire avant la fin du mois d’août, avant que le reste des salariés ne retourne au travail. Les dirigeants syndicaux surent se montrer «responsables». D’ailleurs des contacts avaient été pris dès le 15 août entre le gouvernement, la CFTC et FO. Le 20, un accord était signé. Le gouvernement reculait sur les retraites et les salaires les plus bas. Cela satisfaisait les directions CFTC et FO qui appelèrent à la reprise du travail.
La CGT, qui avait été tenue bien malgré elle à l’écart des négociations et voulait s’imposer comme un partenaire à part entière (on était, rappelons-le, en pleine période de «guerre froide»), appelait à continuer la grève. L’Humanité dénonçait «la trahison des dirigeants scissionnistes qui tentent de briser la grève au profit du gouvernement et des capitalistes».
La grève restait puissante dans les secteurs décisifs. L’ordre de reprise de FO et de la CFTC fut sans effet. Pour autant, la CGT n’envisageait pas l’extension, ni l’élargissement de la grève. Pour la CGT, et le PCF qui l’animait et la dirigeait, il s’agissait de faire un baroud d’honneur démonstratif de leur influence.
Démonstration faite, la CGT appela à la reprise du travail le 25 août, sans que les travailleurs obtiennent rien de plus. Mais le gouvernement avait dû remiser ses fameux décrets-lois et promettre d’augmenter les bas salaires. C’est ainsi que les fonctionnaires ont réussi, en pleine période de congés payés, à faire reculer un des gouvernements les plus ouvertement réactionnaires et antiouvriers de l’époque.