Pas de commentaires a faire mais ça en dis long sur le sinistre

Jean-Pierre Raffarin a préfacé, en 1993, un livre intitulé Hommes et traditions populaires Poitou-Charentes et Vendée (éditions Martelle). Rien de bien étonnant de la part d’un président du conseil régional de Poitou-Charentes. Plus étonnant, en revanche, est l’origine politique des auteurs, tous les quatre liés à l’extrême droite : Angélique Baraton, Ogam Bonnin, Xavier Cheneseau et Philippe Randa (fils de l’écrivain Peter Randa).

Selon Emmanuel Ratier, auteur d’une lettre d’information d’extrême droite particulièrement bien renseignée, Angélique Baraton serait le « pseudonyme d’une militante Front National » et Ogam Bonnin l’ « épouse d’un responsable FN » (Faits et Documents, numéro 133, 01- 15/06/2002). Issu de la Nouvelle Droite, Xavier Cheneseau est plus connu. Il fut en effet, de septembre 1991 (numéro 306) à mars 1993 (numéro 339), rédacteur en chef adjoint de la « revue nationaliste pour la défense de l’identité française et européenne » Militant, dont Philippe Randa était alors membre du comité de parrainage. Fondé en 1967, ce mensuel est lié au Parti nationaliste français (PNF) et classé dans la rubrique « néo-nazis » par les spécialistes de l’extrême droite Jean-Yves Camus et René Monzat (Les droites nationales et radicales en France, PUL, 1992). Sur la quatrième de couverture du livre préfacé en 1993 par Jean-Pierre Raffarin, il est indiqué que Xavier Cheneseau est « actuellement chef des informations dans un mensuel satirique ». Il n’est toutefois pas précisé qu’il s’agit de Pas de Panique à bord, mensuel d’extrême droite créé en novembre 1992 par Philippe Randa. Pas de Panique à bord appartient alors à une mouvance radicale qui se rapproche du FN (à l’exemple de Pierre Pauty, auparavant rédacteur en chef de Militant). Xavier Cheneseau devient ensuite assistant d’un parlementaire européen de droite souverainiste. Sans rompre avec l’extrême droite, puisque, sous le pseudonyme de François Delancourt, il continue dans le magazine du FN Français d’abord à diriger la rubrique « L’invité », dont il est en charge de la seconde quinzaine d’octobre 1997 (numéro 266) jusqu’aux élections législatives de 2002 (seconde quinzaine de juin 2002, numéro 367). Ce que confirme le mégrétiste François Brigneau, dans le Libre journal du 28 septembre 2000 : « …Le Pen sait apprécier les pseudonymes, quand il s’en sert. François Delancourt, l’auteur du libelle, ne serait-il pas un pseudonyme ? Celui d’un modeste folliculaire de Français d’abord, dont on se contentera de donner les initiales : X. C. » (l’identification François Delancourt/Xavier Cheneseau est également dévoilée dans Libération du 20/02/2002).

La rupture définitive entre le parlementaire européen et son assistant interviendra entre les deux tours de l’élection présidentielle, Xavier Cheneseau demandant « à tous les électeurs qui, de gauche comme de droite, s’opposent à l’Europe de Maastricht, à faire barrage au candidat du camp mondialiste, Jacques Chirac, et à voter pour le seul candidat souverainiste demeurant en lice : Jean- Marie Le Pen » (site de campagne de Jean-Marie Le Pen, édition des 4, 5 et 6 mai 2002). [Xavier Cheneseau réalise encore en décembre 2002 un entretien pour la revue nationaliste révolutionnaire et néo- droitière Synergies Européennes, scission radicale du GRECE] Philippe Randa a créé en 1998 la revue Dualpha (www.dualpha.com), placée sous l’égide des anciens périodiques d’extrême droite Défense de l’Occident (1952-1982), Europe Action (1963-1967) et Le Choc du Mois (1987-1993).

Le 18 décembre 2000, la lettre électronique d’Unité radicale indique par ailleurs que le site « accueille un nouveau collaborateur en la personne de Philippe Randa », précisant que « ce dernier publiera, dès cette semaine, une chronique hebdomadaire ». Dans l’équipe rédactionnelle de la revue Dualpha figurent en outre aujourd’hui les anciens dirigeants du groupuscule dissout après la tentative d’assassinat, le 14 juillet, de Jacques Chirac (Christian Bouchet, Fabrice Robert, Guillaume Luyt). Se trouve aussi Guillaume Mansart, issu, comme Xavier Cheneseau et Philippe Randa, du groupe de Pas de panique à bord et de la librairie L’Æncre. Devenue en 1997 la Librairie nationale (voir Christiane Chambeau, Le Monde, 21/04/1997 et www.librairienationale.com), L’Æncre a pris la suite de la librairie Ogmios, « aspect le plus visible d’une équipe militante proche à la fois des néo-nazis ou des anciens SS et de la Nouvelle Droite » (Jean-Yves Camus et René Monzat, op. cit.).

Dans un entretien à un site Internet d’extrême droite, Philippe Randa livre le fond de son positionnement politique : « J’ai toujours assumé des idées politiques et des amitiés qui m’ont fait classer à « l’extrême droite » de l’échiquier politique. Je ne m’en suis jamais offusqué comme tant d’autres qui vivent dans la peur d’être « compromis » par une telle étiquette. Cela ne veut pas dire que je la revendique, puisque je refuse de participer au clivage politique « droite/gauche ». Je me définis comme un « nationaliste » européen (c’est-à-dire comme appartenant à une communauté de même « naissance »), fier de la civilisation française à laquelle je me rattache plus particulièrement et partisan d’un certain nombre d’options politiques (rétablissement de la peine de mort pour les criminels, droit du sang et donc préférence identitaire en matière d’emploi, lutte contre la ghettoïsation ethnique de notre continent – la société multiraciale est un leurre, il n’existe que des sociétés multiracistes, comme aux États-Unis d’Amérique par exemple -, etc.) ».

Le livre préfacé en 1993 par Jean-Pierre Raffarin contient plusieurs illustrations et citations d’ouvrages. Un seul ouvrage bénéficie toutefois du privilège d’un encadré sur une pleine page : Les solstices, histoire et actualité, éditions Le Flambeau (page 46). Les auteurs, dont les noms ne figurent pas, sont Pierre Vial et Jean Mabire. Deux piliers de la Nouvelle Droite. La première publication de l’ouvrage, en 1975, avait d’ailleurs été assurée par le Groupement de Recherche et d’Études pour la Civilisation Européenne (GRECE). Le GRECE est issu, comme le mensuel Militant, de la mouvance de la revue Europe Action, et est à l’origine de la Nouvelle Droite. Régionalisme ethnique et paganisme anti-judéochrétien caractérisent ce courant d’extrême droite. Cofondateur et ancien secrétaire général du GRECE (1978-1984), ancien cadre du FN puis du MNR, Pierre Vial dirige depuis 1995 l’association néo-droitière Terre et peuple. Dans une lettre interne datée du 11 avril 2002, il réaffirme son « combat identitaire et ethnique » ainsi que son orientation « hostile à l’Etat-nation jacobin et favorable aux identités régionales et européennes ».

Le libéral Jean-Pierre Raffarin, promu, depuis, premier d’entre les ministres, ne peut bien entendu pas être soupçonné d’extrémisme de droite. « En Corse comme ailleurs, je dis oui au régionalisme dans la nation, mais je dis non au nationalisme dans la région ! », déclarait- il ainsi au Sénat, le 12 décembre 2001, lors de la discussion parlementaire sur le projet de loi relatif à la Corse. Cette préface, aux accents néo-droitiers (« L’identité régionale prend ses racines dans la tradition et tire son essence de la culture »), dans un livre écrit par des auteurs d’extrême droite, est cependant une pierre dans son jardin picto-charentais et décentralisé.

LP