Aujourd’hui, ce sont des camarades de la lutte antifranquiste qui sont visés à travers un article particulièrement agressif et diffamatoire contre un livre qui vient de paraître sur les actions des Jeunesses libertaires ibériques contre la dictature espagnole dans les années 60 : « Insurgencia libertaria – Las Juventudes libertarias en la lucha contra el franquismo », par Salvdor Gurucharri y Tomás Ibáñez.

{« Cette plongée dans le monde marécageux du mensonge sans limites, de l’indignité, de la falsification érigée en tactique n’est pas agréable. Tant s’en faut. Mais lorsque d’anciens militants en France des Jeunesses libertaires ibériques (FIJL) des années soixante s’y installent, il est indispensable de le relever et de s’y opposer véhémentement. Leur propos n’est pas, bien sûr, de liquider des « ennemis » déjà disparus. Mais il reste leur mémoire qu’il s’agit de salir. Dans un livre publié en Espagne 1, Gurruchari et Ibañez racontent à leur façon l’histoire du Mouvement libertaire espagnol (MLE) en exil pendant cette décennie et, comme le titre l’indique, ils témoignent avant tout des activités de la FIJL. L’analyse critique approfondie de l’ouvrage est à venir. Mais, sans plus attendre, il est dans ce récit un point, livré presque en passant, dont la gravité n’échappera à personne : alors que les approches entre différentes tendances du MLE, en particulier entre les activistes des Jeunes libertaires (JL) et le courant majoritaire de l’anarcho-syndicalisme représenté par la CNTE (appelé le plus souvent par Gurruchari et Ibañez courant esgléiste 2), divergent de plus en plus, nos auteurs accusent ce dernier d’avoir livré à la police française les informations concernant le réseau constitué autour de la FIJL ! »}

On pourra lire la suite ici :

De l’indignité de quelques anciens Jeunes libertaires ibériques
http://www.monde-libertaire.fr/international/item/13783

Pourquoi cette virulence disproportionnée des pontes de la FA contre toute forme d’action directe ? 40 ans après, les appareils continuent à dénigrer l’« aventurisme » et l’irresponsabilité des jeunes ; on se rappelle l’attitude de la FA, qui a pris le train en marche en mai 68 après avoir viré ceux qui allaient être à l’initiative de ce mouvement. Aujourd’hui, elle soutient rétrospectivement les « puristes » de la CNTE d’alors, après diverses voltes-faces selon la médiatisation du moment.

Il serait temps que les militants à la base se secouent et nous disent ce qu’ils pensent de ces pratiques.

Voici la réponse des intéressés :

{{À propos d’un citoyen au-dessus de tout soupçon}}

« Il n’y a pas si longtemps nos deux faussaires… auraient eu à s’expliquer sévèrement (sic). Il n’y a pas de raisons que ça change (sic). » La dernière phrase de la charge de Borillo contre notre livre (ML, nº 1606) est décidément trop belle pour que nous ne la reprenions pas en ouverture de nos commentaires. Alors, c’est dit : égolâtres, émules des pires procédés staliniens, faussaires de l’histoire, calomniateurs, pseudo-libertaires (le doute sur notre engagement libertaire est jeté dans l’intitulé même de la charge), nous serions, aux dires de l’accusateur, installés « dans le monde marécageux du mensonge sans limites, de l’indignité, de la falsification érigée en tactique ». Que Borillo juge bon de manier aussi profusément l’insulte, c’est son problème. Pour ce qui nous concerne, nous nous en voudrions de le suivre dans cette voie. La tâche étant manifestement inutile, nous ne souhaitons pas davantage polémiquer avec lui. Reste que, si le lecteur doit juger, comme l’indique le comité de rédaction du Monde libertaire tout en précisant qu’ « il n’a pas vocation à s’impliquer » dans ce genre de polémiques, il faut bien qu’il le fasse en connaissance de cause et sur la base de points de vue contradictoires. D’où ces quelques précisions.

Pointons d’entrée de jeu que ce Germinal Esgleas, dont on nous reproche de salir vilement la mémoire, est le même personnage qui fut accusé, en d’autres temps et dans un document public fort virulent, de « s’être comporté comme n’importe quel bureaucrate stalinien ». Qui proféra ce jugement ? L’ensemble des groupes de la Fédération anarchiste de la région parisienne, réunis, le 6 mai 1966, avec d’autres groupes anarchistes – tels Noir et Rouge et la Liaison des étudiants anarchistes –, soit un total de 18 groupes, c’est-à-dire pratiquement toute la mouvance anarchiste parisienne de l’époque. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette belle – et rare – unanimité était à l’exacte mesure de la forte indignation que suscita, alors, l’attitude de Germinal Esgleas. La cause en était scandaleusement simple. Rappel des faits : l’enlèvement, à Rome, le 30 avril 1966, de Monseigneur Ussía, représentant ecclésiastique de Franco auprès du Vatican – qui fut revendiqué à Madrid, le 1er mai, par un groupe anarchiste exigeant, en échange de sa liberté, la libération des prisonniers politiques en Espagne – avait suscité un fort enthousiasme au sein du mouvement anarchiste international. Or Le Monde daté du 4 mai se fit l’écho de « la condamnation » de l’enlèvement d’Ussía par le secrétaire général de la CNT en exil, Germinal Esgleas en personne, qui jugeait l’action « complètement négative ». Quelles raisons pouvaient bien motiver un tel empressement à condamner cette action et à s’en démarquer frileusement (« Nous n’y avons rien à voir ») ? Nous y reviendrons plus avant quand nous évoquerons l’hypothèse qui scandalise si fortement Borillo.

Ajoutons que le personnage dont on nous reproche de salir la mémoire fit l’énorme sacrifice militant d’être, de 1945 au début des années 1970, avec de rares périodes d’interruption, un permanent – toujours salarié, bien sûr – du Mouvement libertaire espagnol, soit comme secrétaire général de la CNT en exil (quatorze ans !), soit à d’autres fonctions. Précisons, par ailleurs, que les postes rémunérés étant rares et fort nombreux les militants capables de les occuper, il fallut que Germinal Esgleas fasse preuve d’un dévouement tout particulier pour supporter, seul et pendant si longtemps, le fardeau d’une bureaucratie qu’il aurait sans doute été égoïste de faire partager. Nous y reviendrons quand nous évoquerons l’hypothèse qui scandalise si fortement Borillo.

Disons, enfin, que le personnage dont on nous reproche de salir la mémoire était secrétaire général de la CNT en exil lorsque plus d’une centaine de militants de son organisation – dont certains, très prestigieux, manifestaient leur soutien aux jeunes de la FIJL – en furent expulsés. C’est encore lui qui était à la tête de la CNT en exil quand les fédérations locales les plus nombreuses de l’organisation – celles qui, telles Paris, Toulouse et bien d’autres, abandonnèrent le congrès de Montpellier (1965) pour marquer leur désaccord avec la direction « esgléiste » – en furent, par la suite, expulsées. Car, contrairement à ce que prétend Borillo, ce conflit interne n’opposa pas simplement de jeunes activistes écervelés de la FIJL à la « prestigieuse » CNT en exil, mais une partie très importante de cette même CNT – et pas précisément son secteur « possibiliste » –, qui se regroupa plus tard autour du journal Frente Libertario, à la tendance représentée par Germinal Esgleas.

Retour arrière… En juin 1962, Defensa Interior (DI) ouvrit les hostilités : actions spectaculaires à base d’explosifs, campagnes médiatiques et préparation d’un attentat contre Franco. Dès lors, les autorités franquistes, qui espéraient sans doute que l’accord de création du DI restât lettre morte, manifestèrent de vives inquiétudes. La réponse policière fut trans-frontières : en Espagne, vague d’arrestations et, en France, interdiction, quelques mois plus tard, du journal de la FIJL. Germinal Esgleas, en désaccord avec la dynamique d’action directe enclenchée, cessa très vite de participer aux réunions du DI qui poursuivra ses actions quelques mois encore, jusqu’à l’exécution de Granados et Delgado, en août 1963. Cette brutale mise à mort avait valeur d’avertissement : les autorités franquistes étaient décidées à mettre tout en œuvre pour en finir avec les activités du DI et du secteur qui y était le plus fermement engagé, la FIJL.

Le 1er août 1963, des agents franquistes déposèrent une bombe au siège toulousain de la CNT en exil. Ce premier coup de semonce ne manqua pas d’inquiéter les responsables de l’organisation. Le 23 août, des militants de la FIJL furent arrêtés par la police française et, le 11 septembre, une centaine de militants se voyaient interpellés sur la base d’un long rapport des Renseignements Généraux – qui comportait, certes, des erreurs, mais était globalement très bien informé. Vingt et un militants furent finalement incarcérés. Corrigeons Borillo sur deux points : primo, Guerrero Lucas figurait bien dans ce rapport ; secundo, sans affirmer d’aucune manière que l’information fut transmise aux RG par quelqu’un de haut placé dans les instances de la CNT en exil, nous nous contentons simplement de rapporter que cette hypothèse fut examinée, à l’époque – parmi d’autres, bien sûr. Nous n’affirmons pas non plus, même si le bruit en avait couru, qu’Esgleas aurait fait des confidences au commissaire Tatareau – policier bon enfant, cordial, de gauche et anti-franquiste, selon lui –, mais que ledit commissaire, les oreilles bien ouvertes et l’œil aux aguets, fréquenta régulièrement, des années durant, le siège toulousain de la CNT en exil, glanant de-ci de-là quelques précieuses informations. Que ces hypothèses aient alors été prises en compte et examinées nous semblent d’autant moins étonnant que de nombreux facteurs confluaient pour pousser Esgleas à faire en sorte que fût évitée une situation conflictuelle avec les autorités françaises, qui pouvait menacer l’existence même des structures de la CNT en exil, autrement dit son maintien.

Faut-il y voir une raison à sa si rapide condamnation de l’enlèvement de Rome ? Ou encore le motif qui l’incita à boycotter le DI dès que celui-ci commença d’agir vraiment, en application des accords pris par l’organisation ? Est-ce encore pour cette raison qu’il revint à la direction de la CNT en exil, en octobre 1963, mettant pratiquement fin au DI, formellement dissous en 1965 ? Cette volonté de maintenir la CNT en exil à l’abri d’éventuelles représailles n’avait-elle rien à voir, chez Esgleas, avec la simple peur de se retrouver soudain, et après une si longue carrière de permanent, privé d’émoluments « organiques » ? Nous ne le saurons évidemment jamais, mais, face à autant de facteurs convergents, il n’est pas interdit de se poser des questions. Si Borillo admet que nous ne portons pas d’accusation directe, il s’appuie sur un autre fait pour nous traiter de calomniateurs et de falsificateurs. Nous soutenons, en effet, que les mesures répressives – savamment ciblées – déployées par la police française renforcèrent, au sein de la CNT en exil, le secteur opposé au DI et, du même coup, favorisèrent le retour de Germinal Esgleas aux affaires, mettant ainsi un point final à l’activisme anti-franquiste d’action directe.

Voyons ce qu’il en est… En octobre 1963, la FIJL fut interdite et une partie de ses militants restèrent en prison jusqu’à la fin du mois de février 1964. Parallèlement, et pour la première fois de son histoire, la CNT en exil obtenait des autorités françaises l’autorisation de tenir, en ce même mois d’octobre 1963 , son congrès à Toulouse. Enfin, le maintien en prison, aux côtés des jeunes de la FIJL, de militants cénétistes aussi influents que Cipriano Mera et José Pascual ne fut pas sans effet sur l’abstention de l’importante fédération locale de Paris lors de l’élection du secrétaire général.

Il est vrai que ce congrès fut un congrès de reprise en main : Germinal Esgleas redevint secrétaire général et il n’y eut plus un sou pour les activités du DI, dont la dissolution fut prononcée au congrès suivant. Il est encore vrai que les autorités françaises étaient favorables, et de loin, à un dénouement de ce type mettant fin aux tensions avec l’Espagne franquiste, qui savaient que les actions du DI partaient du territoire français. Est-ce faire preuve d’un machiavélisme excessif que de penser que les autorités françaises, et leur police, agirent et jouèrent leurs cartes pour favoriser ce dénouement ? Informées comme elles l’étaient des conflits que la ligne d’action directe anti-franquiste suscitait au sein du MLE, aura-t-on la naïveté de croire qu’elles pouvaient se contenter d’attendre, en mettant quelques activistes sous clef, que le MLE s’inclinât dans un sens ou dans un autre ? Est-ce calomnier que de penser cela, et de constater que, dans ce cas précis, les intérêts des autorités françaises et ceux de Germinal Esgleas étaient tout à fait convergents? Devrions-nous taire cette évidente convergence d’intérêts pour ne pas semer le doute sur le parcours de ce personnage que certains semblent encore considérer comme une icône intouchable ?

S’il existe une « indignité », elle n’est pas de notre fait, mais tient à la volonté, bien peu libertaire, d’entraver ou de censurer l’esprit critique. Qu’il soit d’accord ou non avec son contenu, et sauf à professer la mauvaise foi, quiconque lira notre livre conviendra aisément que l’exercice de notre esprit critique ne se borne pas à dénoncer les agissements de Germinal Esgleas, mais embrasse également nos propres activités de l’époque. Et puisque le comité de rédaction du ML parle du relatif échec de la CNT dans l’Espagne d’après Franco, disons-le pour finir : la responsabilité de cet échec – plus que relatif au regard de ce qui aurait pu être – n’est évidemment pas sans quelque corrélation avec le cours que le secteur esgléiste imprima à la CNT en exil.

Salvador Gurucharri et Tomás Ibañez

Organisme de lutte créé, en 1961, par les trois branches du Mouvement libertaire en exil, et dont Esgleas était l’un des sept membres !

Dont Salvador Gurucharri, l’un des auteurs de ce livre.

Nous pensons, en effet, que Guerrero Lucas ne travaillait pas, à cette époque, pour la police. C’est notre hypothèse, que d’autres ne partagent pas. En tout cas, pour des motifs sur lesquels nous revenons dans notre ouvrage, il avait été mis, dès l’été 1962, à l’écart du DI et de la FIJL. En revanche, il continua à collaborer, plusieurs années durant, avec la direction « esgléiste » de la CNT en exil, ce que Borillo ne peut pas ignorer.

Prise le 15 octobre, la mesure d’interdiction fut formellement notifiée à la FIJL le 4 novembre 1963. Notre livre n’est pas exempt d’erreurs, dont certaines ont déjà été relevées, mais, dans ce cas précis, c’est encore un point sur lequel il nous faut corriger Borillo qui avait cru mettre à jour une contradiction entre les deux dates.

La fédération locale de Toulouse était proche de la FIJL, mais la région de Toulouse, avec ses dizaines de petites fédérations locales, était un fief de Germinal Esgleas.

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