25 novembre 2007: deux adolescents de Villiers-le-Bel, une ville de la banlieue nord-parisienne, sont percutés par un véhicule de police alors qu’ils circulent sur une mini-moto. Il meurent sur le coup. S’en suivent 3 jours d’émeute, un immense dispositif policier quadrille et verrouille tout le quartier en révolte. Une centaine de flics sont blessés, notamment par des tirs de chevrotine. C’est la première fois depuis longtemps qu’autant de policiers sont blessés.
Quelques jours plus tard, Sarkozy prend la parole devant 2000 policiers : « Ce qui s’est passé à Villiers-le-Bel n’a rien à voir avec une crise sociale, ça a tout à voir avec la voyoucratie, je réfute toute forme d’angélisme qui vise à trouver en chaque délinquant une victime de la société, en chaque émeute un problème social. Mettez les moyens que vous voulez (…), ça ne peut pas rester impuni, c’est une priorité absolue. Nous retrouverons les tireurs un par un et pour eux ce sera la cour d’assises. »
Au terme d’un an d’enquête procédant notamment par une large diffusion d’un appel à la délation des auteurs des tirs, 5 personnes sont arrêtées et mise en examen pour « tentative de meurtre sur fonctionnaires de police dans l’exercice de leurs fonctions en bande organisée ». Après 2 ans et demi de détention provisoire, les 5 inculpés ont été condamnés en juin 2010 à des peines allant de 3 à 15 ans de prison sur la base de témoignages anonymes, et sans qu’aucune preuve n’ait été établie au cours du procès. Des sanctions d’une lourdeur sans précédent dans l’histoire de la répression des révoltes de quartiers populaires.
Ces condamnations ne témoignent pas seulement d’une intensification de la guerre sociale en cours, elle montre que le pouvoir assume pleinement la rupture avec l’État de droit.

Dans la droite ligne de ce procès, Sarkozy réaffirmait le 12 juillet lors d’une pseudo interview télévisée la nécessite de lutter contre les « bandes organisées » faisant régner « l’insécurité » dans les banlieues. S’il s’agit là une nouvelle fois pour Sarkozy de refonder sa légitimité – en plein effondrement du système capitaliste et à deux ans de nouvelles élections présidentielles – par le thème de l’insécurité, nous devons y voir aussi une réelle accentuation de cette politique fasciste que l’on nomme « sécuritarisme ».
Les faits que nous allons relater ici ne sont pas directement liés au jugement de Villiers-le-Bel, mais ils témoignent de ce que de plus en plus de gens ont pris acte de cette intensification. En d’autres termes la situation devient plus claire, la guerre plus évidente.

– 2 morts en un week-end, des réactions immédiates:

Grenoble, vendredi 16 juillet au soir : au terme d’une course poursuite, suivie d’une fusillade, la BAC tue un jeune homme qui venait de braquer un casino à l’arme lourde. L’exécution a lieu à quelques mètres de chez lui. Immédiatement, les habitants du quartier populaire de la Villeneuve attaquent la police en leur jetant toutes sortes de projectiles. Une quarantaine de personnes auraient tiré à balles réelles sur les flics, une soixantaine de voitures sont brulées, des tags menacent de mort les agents de la BAC qui ont tiré. Les émeutes se poursuivent pendant 3 nuits, à chaque fois les flics se font tirer dessus et des bagnoles crament.

Saint-Aignan dans le centre de la France, samedi 17 juillet : un homme de 22 ans appartenant à la communauté Rrom, qui tentait de franchir un barrage de gendarmerie avec sa voiture est abattu d’une balle en pleine tête. La vengeance ne se fera pas attendre. Le lendemain vers midi, le petit village de Saint-Aignan est assailli par des hommes cagoulés. Armés de haches et de barres de fer, ils attaquent la gendarmerie, brulent des voitures, abattent les platanes de la place du village, et dévalisent un commerce. 4 personnes sont arrêtées, elles écoperont de condamnations allant jusqu’à 10 mois de prison fermes.

– La suite des évènements : un peu partout, la population se rebelle contre des interventions policières

16/20 juillet :
affrontements tous les soirs dans le quartier de la Villeneuve, des voitures sont brulées, des engins de chantier sont incendiés, des commerces dévalisés. CRS, RAID et GIPN « sécurisent » le secteur. Pendant 10 jours ni tram, ni bus ne circulent dans le quartier.
19 juillet :
dans la région de Grenoble : une gendarmerie est attaquée au cocktail molotov.
dans le Nord-Pas-de-Calais : la chaine de télévision France 3 ne peut diffuser les informations du soir car de fourreaux de fibre optique ont été volés.
Saint-Aignan : 150 militaires sont envoyés « sécuriser » le village de 3000 habitants.
24 juillet :
Auchel, dans le Nord : un commissariat est attaqué au cocktail molotov.
26 juillet :
Breuillet, au sud de Paris : un véhicule de police est incendié dans l’enceinte du commissariat.
27 juillet :
Grenoble : une voiture volée et en feu est lancée contre un bâtiment de la mairie.
30 juillet :
Calais : deux CRS en civil sont attaqués dans la rue par deux jeunes.
Brest : des policiers qui veulent contrôler deux jeunes sont attaqués et caillassés par un groupe de 10 personnes.
Savigny-sur-Orge : des officiers de police qui voulaient verbaliser une personne pour outrage se font caillasser.
3 août :
Auxerre : un jeune homme se réfugie dans son quartier pour échapper à la police, un groupe de personnes cagoulées, armées de pierres, de barres de fer et de flingues bloque les flics qui essuient une nouvelle fois des tirs à balle réelle.
4 août :
Villiers-le-Bel : les flics se font à nouveau tirer dessus à la suite d’une tentative de contrôle.
5 août :
Villefontaine, dans la région grenobloise : l’appartement d’un policier est pris pour cible de tirs à balle réelle.
12 août :
Corbeil-Essonne, au sud de Paris, dans la cité des Tarterêts : les policiers sont attaqués par 60 personnes après un contrôle.
Perpignan, dans le sud de la France : les habitants de tout un quartier se rebellent contre un contrôle d’identité.

Cette cascade de gestes de rébellion n’a rien de fortuit. Cela fait des décennies que des quartiers entiers – et de plus en plus souvent, des villages – vivant sous ce que les experts internationaux nomment comme ils goûteraient une soupe aux huitres le « seuil de pauvreté », ne se voient opposer autre chose qu’une pression policière croissante. D’autre part, les réactions de la puissance publique aux évènements, d’autant plus rapides qu’elles sont anticipées depuis des mois, ont donné à la situation une allure de guerre civile. Que ce soit par rapport à la « question des banlieues » ou au « problème des gens du voyage », tout un dispositif a été déployé pour contrer ces révoltes, en isoler les auteurs, les ériger en minorité perturbatrice d’un ordre social tellement bandant que tout le monde serait censé le désirer. Des discours politico-médiatiques qui stigmatisent les jeunes des banlieues, en les assimilant à des « gangsters », à des « trafiquants », à des « voyous destructurés », qui entretiennent le racisme contre les immigrés et tout particulièrement contre les tziganes présentés comme des parasites profitant du système: « Nous subissons les conséquences de 50 années d’immigration insuffisamment régulée (…) Chaque année, une dizaine de milliers de migrants en situation irrégulière, dont des Roms, repartent volontairement avec une aide de l’Etat. Et l’année suivante, ils reviennent en toute illégalité pour demander une autre aide. Cela s’appelle « un abus du droit à la libre circulation », assenait sérieusement Sarkozy le 30 juillet à Grenoble.
C’est ainsi qu’il a annoncé l’expulsion de 300 campements d’ici à la fin du mois de septembre. Il propose même aujourd’hui que les agresseurs de policiers et les délinquants soient déchus de la nationalité française, que le système des peines planchers initialement prévu pour les cas de récidive soit étendu aux premières condamnations, que soit instaurée une peine incompressible de 30 ans pour les meurtriers de policiers, que des personnes ayant déjà effectuée leur peine soient contraintes à porter le bracelet électronique, que 60000 caméras vidéo supplémentaires soient installées d’ici 2012. « C’est donc une guerre que nous avons décidé d’engager contre les trafiquants et les délinquants, déclarait encore Sarkozy (…) La délinquance actuelle ne provient pas d’un mal être : elle résulte d’un mépris pour les valeurs fondamentales de notre société ». C’est ici une véritable déclaration de guerre que Sarkozy officialise, mais il est clair pour beaucoup qu’elle vise plus large que cette minorité, ce sont en effet tous les illégalismes aujourd’hui nécessaires à la survie, tous les comportements déviant de leur « ordre républicain », qui sont criminalisés. « Aucune cité, aucune rue, aucune cage d’escalier, aucune barre d’immeuble ne doit échapper dans ce département et dans cette ville à l’ordre républicain ». C’est l’ensemble du territoire jusque ces derniers recoins qui doit être sous contrôle, plus rien ne doit échapper à l’œil de la police. Eric le Douaron, ancien patron de tous les commissariats parisiens, ancien chef de la police aux frontières et à ce titre responsable de l’expulsion de 30000 sans-papiers chaque année, vient ainsi d’être nommé à la tête du département de l’Isère. Tout comme en Seine-Saint-Denis, ce sont désormais des flics qui occupent le poste de préfet.

Évidemment, toutes ces émeutes et ces actes de rébellion ont été anticipés par le pouvoir qui entend bien les mettre à profit. Bien sûr ils nourrissent la politique sécuritaire du gouvernement, bien sûr ils la justifient aux yeux des « citoyens »! Mais nous récusons toute analyse présentant ces émeutes comme néfastes, voire comme des erreurs stratégiques, parce qu’au lieu d’affaiblir le pouvoir elles le renforceraient et feraient le jeu de l’extrême-droite. Ce qu’il se passe, c’est que la situation se révèle tout simplement aux yeux d’un nombre toujours plus grand de personnes, comme ce qu’elle est : une situation de guerre. Les condamnations de Villiers l’ont bien montré, mais elles n’ont en rien eu l’effet dissuasif qu’elles étaient censées susciter. Au contraire, si la guerre est déclarée, il n’est plus question de se laisser intimider. De plus, il y a dans toutes ces pratiques de résistance, dans tous ces actes collectifs et individuels, des forces qui se constituent.
Le pouvoir appelle à la guerre et donc à la mobilisation générale contre ceux qu’il présente comme une minorité criminelle. Il appelle ainsi à l’union sacrée et assume que l’essence de la politique c’est la guerre. Il n’y a plus le choix : soit tu es du parti de l’ordre, soit tu es avec les criminels. Mais derrière cette minorité qui est montrée du doigt – ces « gangster », ces « terroristes », ces « fous », ces « immigrés parasites » – ce sont tous les déserteurs du système qui sont attaqués. En appelant tous ceux qui se sentent du parti de l’ordre à le rejoindre, le pouvoir fait le pari que le plus grand nombre ne se solidarise pas avec ce qu’il présente comme une minorité criminelle.
Mais toujours plus nombreux sont ceux qui ne peuvent survivre qu’en s’organisant dans la désertion d’un système qu’on leur présente sans alternative, ceux qui nécessairement comprennent les émeutiers et les agresseurs de flics! Et aux yeux de tous ces gens qui ne se sentent plus citoyens de rien, il n’est plus question de « la légitimité du gouvernement », il n’est plus question du « problème de l’insécurité ». Il s’agit de résister, de ne plus se laisser contrôler par les keufs, de ne plus supporter leur présence, ni leurs injonctions! C’est ainsi que tous les jours maintenant, de simples contrôles de routine tournent à l’émeute! Ce que cela veut dire, c’est qu’il n’y a plus de légitimité qui tienne, plus de République, plus de citoyenneté, que leur « ordre républicain » c’est tout simplement le fascisme, et qu’on n’en veut plus!

FACE A L’ORDRE DE MOBILISATION GENERALE, DESERTONS ET RESISTONS!