Les unissait leur condition de piqueteros et quelques unes de leurs principales consignes, comme travail et opposition à l’ALCA (zone de libre échange des Amériques- ZLEA), mais ils furent divisés par leurs positions politiques. La démonstration s’est déroulée quasi dans le calme jusqu’à ce qu’une explosion sur la Place de Mai fit 23 blessé-e-s. Les organisations ont demandé une enquête et ont appelé à une marche de protestation.

Le second anniversaire du 19 et 20 décembre a éte une succession de marches piqueteras auxquelles se sont joint, dans une moindre proportion, des assemblées de quartier, les familles des victimes, des partis politiques et des délégations syndicales. A 19 h 30, alors que les orateurs continuaient à se succéder à la tribune de la Place de Mai, on entendit une explosion. L’engin était placé dans une poubelle. Parmi les blessés on dénombre une femme enceinte et deux enfants. Les organisations d’extrème gauche ont accusé « le gouvernement et ses services secrets ». Nestor Pitrola du Pôle ouvrier (organisation de chômeurs liée au Parti ouvrier) à informé qu’ils réaliseront une marche de dénonciation. « Il n’ y a aucune raison d’accuser le gouvernement » a répondu le ministre de l’intérieur en pensant qu’il peut s’agir « d’un acte réalisé par une personne ignorant les dommages que cela pouvait occasionner ».
De sources policières, la première impression des experts en explosifs indiquait que « ce n’était pas un explosif important mais quelque chose d’intermédiaire ». Le porte parole a commenté que cela pouvait être « quelqu’un qui voulait créer des problèmes dans un acte qui était absolument tranquille ».

Ceci fut le final d’une longue journée qui vit defiler de grandes colonnes dans l’Avenue de Mai. Les manifestants y ont répété les quatre points relativement consensuels : travail véritable, non paiement de la dette externe, refus de l’accord du FMI et opposition à la ZLEA.
Francisco Ruiz, 43 ans, arrivé sur la place en vélo : « je travaille dans un restaurant, je touche un salaire tous les mois mais je pense à ceux qui n’ont rien à manger et cela me rempli de colère ». Aida Aguilar, professeur de littérature à La Matanza, 52 ans, donna une raison similaire : « Emotionnellement, je me sens proche des piqueteros. Ce qui leur arrive pourrait m’arriver. Je les vois sans dents, chez nous aussi nous n’avons pas non plus assez d’argent pour toutes les accidents de la vie, je suis venue de plus parce que j’en ai un peu marre : je me suis farçie les militaires, Alfonsin avec la maison en ordre, j’ai souffert de Menem et maintenant je ne veux plus de gouvernements de transition ».
Et les chômeurs ? Cristina Rodriguez, ancienne fonctionnaire, aujourd’hui avec un Plan Jefas y Jefes (sorte de CES) a résumé en une seule phrase ses motivations : « nous sommes venus demander ce qu’ils nous ont enlevés ».
Ce fut jusqu’ici le discours commun des manifestants. Les organisations sociales et politiques se sont divisées, en fonction de leur degré de soutien ou d’opposition à la gestion de Kirchner.

La première à défiler fut le secteur qui dialogue avec Kirchner. Intégré par les organisations de chômeurs Barrios de Pie et MTD Anibal Veron, par H.I.J.O.S. (fils et filles de disparu-e-s pendant la dictature) et l’Association des Mères de la Place de Mai, entre autres, ils ont questionné le récent

accord avec le FMI mais ne firent pas de leur opposition leur thème central. Ils demandèrent une « Argentine démocratique », de « participation et gouvernement des travailleurs », avec « souveraineté et justice sociale ». Ils réservèrent leurs attaques à « la droite politique intolérante et fasciste, qui exige tous les jours de réprimer la protestation sociale, qui n’amnistie pas les militants emprisonnés ». Une nouveauté politique est que marchèrent à leur côté des organisations ouvertement péronistes, comme le Frente de Desocupados (Front de Chômeurs) Eva Peron et le Partido Autentico Federal (ex Montoneros- groupe de guerilla sous la dictature). Elles étaient reléguées en fin de cortège et sont sortis de leurs rangs des éloges de l’actuelle gestion : « Nous soutenons Kirchner et le gouvernement populaire qui a changé le modèle », déclara Hector Fernadez du Peronismo Militante. Les militants accrochèrent sur la pyramide la Place de Mai des globes célestes et blancs avec les noms des morts de la répression de décembre 2001.

La seconde tendance, intégrée par la Corriente Clasista y Combativa (CCC) et le Frente Resistencia Peronista, avec un ton plus critique. « Le gouvernement a prit quelques mesures largement réclamées par la lutte populaire, comme la nullité des lois d’amnistie, l’expropriation de quelques entreprises récupérées et l’ aguinaldo (« prime de noël ») de 50 pesos (15 euros) pour les chômeurs. Mais il n’a touché à aucun des piliers de la crise en Argentine : il n’y a pas de changements de fond pour résoudre les problèmes » a affirmé Alderete de la CCC. Le référent considéra également que « les microemprendimientos (activités productives mises dans les quartiers par les chômeurs avec l’argent des CES) ne se substituent pas au travail véritable des fabriques fermées, des grandes entreprises publiques privatisées, des producteurs agricoles en faillite ».

Le dernier groupe rassemble pratiquement tout l’éventail de l’extrème gauche. Avec la présence du Parti Ouvrier, du Parti Communiste, du Mouvement Socialiste des travailleurs et leurs lignes piqueteras (celle du Pôle ouvrier, du Mouvement territorial de libération, du MST-Teresa Rodriguez). Ils s’estimèrent à « plus de 70 000 », le gouvernement à « 12 000 ».
Les céramistes de Zanon, les travailleuses de Brukman et le Mouvement de Raul Castells furent aussi au rendez-vous, de même qu’un groupe d’assemblées de quartier. Ils se sont posés comme la principale opposition à Kirchner. Leurs discours furent durs contre sa gestion qu’ils dénoncèrent comme la « continuité » de De la Rua et Duhalde. Les assembléistes présents proposèrent « d’opposer à la démocratie de la minorité riche la démocratie de la majorité travailleuse et chômeuse ».
Mais beaucoup ne purent en écouter plus. L’explosion dispersa l’attention et tandis que l’acte ne fut à aucun moment interrompu, ce qui venait de se passer marqua toutes les interventions.

« Ce fut une journée historique malgré les provocations » a dit Beto Ibarra du PC, pour rendre « responsable le gouvernement et les entrepreneurs qui demandèrent à Kirchner de réprimer le mouvement piquetero ».
Les derniers manifestants se retirèrent tranquillement à 21h30. La police en uniforme avait eu dans la journée le meilleur des comportements, tel que celui demandé par le gouvernement. Mais, vu ce qu’il se passa, la préoccupation généralisée ne parvint pas à éviter 23 victimes.

Laura Vales (traduit par FG)

CONSEQUENCES DE L’EXPLOSION DE LA PLACE DE MAI

Castells du Mouvement indépendant des retraités et des chômeurs (MIJD) a accusé le gouvernement argentin d’être l’« auteur intellectuel » de l’explosion. « Il sait bien que ce n’est pas vrai », a répondu le ministre de l’intérieur. De son côté, D’Elia de la FTV (Fédération terre et habitat, afiliée à la CTA), allié de Kirchner, a affirmé que ce fut un auto-attentat.

« Cela ne m’étonnerait pas que ce soit une espèce d’auto-attentat. Castells et Pitrola (du Pôle ouvrier) ont besoin d’un mort, et comme le gouvernement s’est fermement opposé à réprimer, je ne serai pas étonné qu’ils aient exploité cela », a lancé.

Pitrola, allié de Castells dans le bloc national piquetero, a affirmé : « ce qu’a dit D’Elia est inqualifiable, il semble que cet homme a complètement perdu toute condition de dirigeant social. De plus il ne représente plus personne. Les déclarations qu’il fit lors du massacre du pont Pueyrredon (répression du 26 juin 2002 qui fit deux morts) et ce qu’il dit maintenant montrent clairement que c’est un vendu et qu’il a abandonné toute rectitude de lutte. Ce qu’il dit maintenant est la même chose que ce qu’avait soutenu Duhalde quand furent tués Dario Santillan et Maxi Kosteki sur le pont Pueyrredon. Ils voulurent faire croire aux gens que ce qui s’était passé était de la responsabilité des piqueteros eux mêmes. Ensuite il fut clairement démontré que la répression vint de la police. » « Nous avons souffert d’un attentat parce que ce fut l’unique recours qui restait à ceux qui veulent arrêter et effrayer ce mouvement populaire. C’est pour cela que nous croyons que la responsabilité politique de l’explosion est chez ceux qui ont demandé de la répression. Assurer que l’attentat sert ou non au gouvernement est très complexe. Nous demandons une réunion avec le président Kirchner pour lui demander que cesse la campagne contre le mouvement piquetero. De plus, nous allons lui demander qu’il agisse pour freiner tous les secteurs qui font campagne en faveur de la répression. Ce qui s’est passé est la conséquence du climat qui s’est créé ces derniers temps. »

Au sujet des déclarations de Castells, le ministre de l’intérieur a dit : « J’ai traité à beaucoup de reprises avec lui. Il dit cela parce que les circonstances l’obligent à le dire, mais il sait bien positivement que ce n’est pas vrai. »
Il a aussi répondu à Juan Carlos Alderete du Corriente Clasista y Combativa qui avait averti que « si le gouvernement ne comprend pas les revendications sociales, il peut lui arriver la même chose que à Fernando De la Rua » (en décembre 2001). « Aujourd’hui il y a 2,2 millions de plans sociaux (sorte de CES), plus le plan Remediar. Et le travail qu’est en train de faire Alicia Kirchner (ministre du développement social) est exemplaire. De quoi sont-ils en train de parler que nous ne nous faisons pas de politique sociale ? », s’est plaint Anibal Fernandez.

Informations tirées de Pagina12 et de Clarin. FG