En 2006, le journal Particule, qui a l’habitude de suivre le dossier des politiques sécuritaires à Rennes-vivre-en-intelligence, prévenait : « Sainte-Anne, ne vois-tu rien venir ? » Suite à la publication des arrêtés anti-alcool, à la disparition des bancs publics et peu de temps avant l’installation du commissariat rue de Penhoët, Particule écrivait : « C’est un lieu qui concentre par son histoire et sa situation des représentations et des symboliques fortes, un lieu de passage, d’échanges, de fête et depuis des décennies le haut lieu étudiant, lieu de transgression virtuel ou réel de l’autorité. Lieu qui concentre alors des populations en marge : fêtards, SDF, ou dealers. Et paradoxalement lieu vitrine de la Ville de Rennes. L’enjeu principal pour les autorités et pour l’ensemble des acteurs de ce quartier est avant tout la maîtrise et le modelage de cette symbolique si forte, caisse de résonance de la manière de concevoir le « vivre ensemble » dans la cité. »

Dernier épisode en date de cette bataille pour l’espace public : sept caméras de vidéosurveillance capables de voir à 360° y compris la nuit ont fleuri ce printemps aux alentours de la place Sainte-Anne. Elles viennent s’ajouter aux quatre caméras extérieures appartenant au Star et qui surveillent l’entrée du métro ; ainsi qu’aux trois caméras de Citedia, société d’économie mixte de gestion d’équipements publics, chargée de réguler l’entrée des voitures dans les zones piétonnes.

Car si le maire « socialiste » Daniel Delaveau – qui a été élu avec pour objectif notamment de mettre « les jeunes au coeur de la cité » – a l’intention de tenir une de ses promesses électorales, c’est bien celle-là : faire enfin du centre-ville un sanctuaire interdit aux jeunes, aux dealers, aux pauvres et à leurs chiens. C’est dans ce but qu’il a signé en septembre dernier une « charte de la vie nocturne » avec le préfet de Bretagne, et depuis, ça n’a pas trainé : les policiers de la nouvelle Uteq (Unité territoriale de quartier, sorte de police proximité des quartiers « chauds ») ont envahi les rues du centre-ville , la présence de la police municipale est en cours de renforcement, un bar historique de la « rue de la Soif » a fermé… et les caméras ont surgi place Sainte-Anne, donc, à titre « expérimental ». Coût de l’intallation : 320 000 €, partagés à parts égales entre l’État et la mairie.

Fin 2010, il y en aura aussi en centre commercial du Gast et dans le quartier de Maurepas, sans doute avant une extension plus tard à d’autres zones en cas d’« expérimentation » réussie. De l’aveu même de la mairie, « 2000 caméras seraient déjà installées dont 1854 sur le domaine public : environ 1600 dans le métro et les bus mais aussi dans les parkings, aux carrefours pour réguler le trafic ». Il fallait donc combler un manque urgent : l’absence de caméras d’extérieur ayant pour objectif unique la vidéosurveillance. Ainsi, le but de la nouvelle installation est de tester l’efficacité sécuritaire de ces caméras « en milieu ouvert », comme disent les autorités (le « milieu fermé » n’étant pas la prison, mais le métro ou les parkings).

Les caméras tournent 24h sur 24, comme l’indique Le Mensuel du Morbihan : « trois agents municipaux formés spécifiquement exercent des vacations de 2 h 30 devant un seul écran d’ordinateur qui diffuse en continu les images des sept caméras. En-dehors de leur temps de présence, du lundi au samedi, de 13 h 30 à 18 h 30, un système de visionnage automatique prend le relais. En cas de problème, les opérateurs du « 17 » dépêchent une patrouille sur place. Ils ont également accès aux images, les caméras étant reliées au centre de commandement de l’Hôtel de police. »

Mais heureusement, des « gardes fous » existent, assure le sympathique magazine : « ce dispositif répond à des règles strictes de confidentialité. Dans le respect des dispositions légales, les espaces privés (entrées d’immeubles, fenêtres et intérieurs d’appartements) sont floutés en vert. De même, toute personne estimant avoir été filmée peut avoir accès aux images qui la concernent. A condition de réagir avant dix jours : les images ne seront pas conservées au-delà. » Mais surtout, un gage solide a été apporté concernant la protection des libertés publiques avec la mise en place d’une « charte d’éthique de la vidéosurveillance ainsi que la composition d’un comité d’éthique regroupant des élus, des personnalités qualifiées (avocats, procureur de la République, psychologues, criminologues) et des représentants d’associations. » Un « comité » obscur dont il n’est pas possible de consulter la liste des membres sur Internet…

L’« expérimentation » devrait durer un an. Hubert Chardonnet, adjoint au maire délégué à la sécurité, explique : « Nous avons deux grandes interrogations. La première concerne l’efficacité réelle de la vidéoprotection en milieu ouvert et nous disposerons ainsi d’éléments de réponse ; la seconde porte sur le respect des libertés publiques et individuelles. »

Or, même si on admettait la nécessité de lutter contre la « délinquance », il existe des études que démontrent déjà l’inefficacité de la vidéosurveillance en « milieu ouvert », sans rapport avec ses coups prohibitifs. Dès lors, quel besoin de cette « expérimentation » supplémentaire ? Mais le but n’est sans doute pas là. Qui peut croire que dans un an, l’« expérimentation » pourrait se révéler négative ? Et qui peut croire qu’alors, les caméras seraient retirées ? Personne en vérité. Un an : il faut bien ça pour que les passants oublient leur présence.

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