Ce qui semble cristalliser son attention, c’est bien l’attaque diffuse et ses capacités de reproduction. Dans un document du sénat dans lequel le Ministre belge de la Justice Stefaan De Clerck répond à la question d’une sénatrice, on peut lire : « On constate depuis fin 2007 une augmentation du nombre d’actions pouvant vraisemblablement être associées au milieu anarchiste. Elles font partie de différentes campagnes anarchistes visant entre autres à obtenir la fermeture des prisons et des centres d’accueil fermés. Toutes les entreprises reliées de près ou de loin à ces institutions peuvent être une cible. Une entreprise de nettoyage, La Poste et des sociétés de transport public ont, par exemple, été victimes de tels actes. Les services de police ont aussi été visés. Les actes commis par les anarchistes vont de l’inscription de graffitis à l’allumage d’incendies, en passant par des faits de vandalisme. Au moins 55 faits de cette nature ont été dénombrés depuis le début de l’année. »

Comme à travers le monde, on voit bien que ce qui inquiète l’Etat concernant les anarchistes antagonistes, c’est de ne jamais pouvoir identifier clairement leurs activités, ni contrôler leur contribution pratique et théorique à la guerre sociale. Comment départager les actions directes commises par des anarchistes de celles commises par n’importe quel autre amant de la liberté ou bien, et c’est autre chose, des actions désespérées ou pas de quelques individus avec d’autres buts ? Les anarchistes ont toujours pris le soin de ne pas revendiquer systématiquement chaque attaque. Comment donc, du coté de l’Etat, affirmer un chiffre net du nombre de ravages causés par les anarchistes ?

Le fait est que, dans un environnement social où l’antagonisme est quotidien, et c’est de plus en plus le cas en Belgique (bien que l’on parte de très loin), les anarchistes étant quasiment les seuls à prôner la diffusion des pratiques et donc à communiquer publiquement les raisons des attaques, ils sont ceux sur qui l’Etat s’empresse de répliquer, pour que de son coté, ce soit la peur qui devienne diffuse et permanente. Il en vient même parfois, à créer ses propres anarchistes ! Nous avons pu le constater dans le cas des « anarcho-autonomes » français.

Reste que, lorsqu’un Etat avance des chiffres soi-disant « précis » des attaques prétendument anarchistes comme vient de le faire De Clerck, c’est bien qu’il patauge dans la semoule. Nous nous en réjouissons même si nous gardons en tête que la réaction des États est souvent proportionnelle à leur incompréhension.
Justement parce que le caractère facilement reproductible et diffus de l’attaque anarchiste a pour vocation de se fondre dans un climat conflictuel bien plus général, il est impossible pour les forces de l’ordre de déterminer si telle vitre brisée de la poste ou tel autre distributeur de banque incendié est le fait des anarchistes ou de n’importe quel autre révolté anonyme et content de le rester. L’infrastructure étatique est incapable de le comprendre, et n’y a d’ailleurs aucun intérêt, la figure du « terroriste » anarchiste étant bien pratique.

Le 16 octobre 2009 à Gand, dans le cadre de la lutte contre la construction d’un nouveau centre fermé à Steenokkerzeel, les médias rapportaient la visite brutale d’une « vingtaine de personnes » à l’entreprise de construction Besix, qui construit le centre, dans la commune de Sint-Denijs-Westrem. Toujours selon les médias, les visiteurs ont saccagé tout le mobilier, projeté de la peinture noire partout, abîmé du matériel de bureau, détruit des ordinateurs et des écrans, tagué les murs et déversé du produit sur le sol. Bref une visite, comme il se doit, d’un collabo de la machine à expulser. Les médias se sont alors empressés de dépeindre un tableau trop souvent vu, stipulant que les occupants menaçaient la réceptionniste à coup de battes de base-ball et autres effets de manche hollywoodiens pour faire croire comme toujours, à l’acte nihiliste de vandales ultra-violents, Orange Mécanique dans un coin de tête. Ce n’est que quelques mois plus tard qu’une manifestation à Bruxelles rassemblait pas mal de monde pour gueuler contre le nouveau centre fermé en question, en passant par divers quartiers où des émeutes avaient éclaté le jour d’avant en réaction à des tortures infligées en taule ; peinturlurant sur sa route quelques murs et quelques bagnoles de collabos. Une manifestation qui vient perturber la propagande étatique : non, la lutte contre le nouveau centre fermé n’est pas le fait d’une bande de vingt anarchistes désespérés et totalement isolés comme le rêve l’Etat.

Les mois précédents, suite à une nuit de destruction et de bastons avec les fascistes, toujours à Gand, les flics décident d’arrêter plusieurs semaines après les feux de joie et avec un léger intervalle, deux compagnons. Jürgen, accusé de huit incendies la même nuit (contre des distributeurs de Fortis/BNP et La Poste, qui gère les comptes des retenus et prisonniers ; et un chantier Besix, qui construit le nouveau centre de Steenokkerzeel) et Paolo accusé d’un seul. Les deux sont incarcérés. Dans une lettre, Paolo affirme que « Bien sûr nous voulons tous les deux sortir d’ici au plus vite possible, mais le fait que nous ne collaborons pas à l’enquête leur donne bien sûr une bonne occasion de nous emmerder et de nous garder le plus longtemps possible en détention préventive. » Le mercredi 25 novembre, le procureur requiert contre Jürgen 18 mois de prison et 12 mois pour Paolo. Durant la nuit de l’audience, cinq banques voyaient leurs vitres voler en éclat (Fortis, Dexia, Citybank ainsi qu’une banque de La Poste réparties sur les communes d’Ixelles et de Neder-over-Hembeek) et un distributeur défoncé accompagné d’un communiqué se terminant par « salutations aux compagnons emprisonnés Jürgen et Paolo à qui nous démontrons notre solidarité en continuant la lutte dans la rue. » (communiqué publié sur CEMAB.be).

Heureusement, si l’on peut dire, ils sont tous deux libérés contre toute attente de la prison de Gand le mercredi 2 Décembre 2009, mais condamnés à un an (Jürgen) et six mois (Paolo) avec surci. Ce qui n’empêche pas, en Belgique comme ailleurs, pour les anarchistes comme pour les autres, la lutte de continuer avec rage et joie !

Texte extrait de Guerre au Paradis N°1.