De la fête à l’émeute
ou
de la manif à la soumission.

La fête du Moyen Age était une inversion des valeurs. Moments forts où le peuple se permettait de remettre en cause toutes les autorités de l’époque. Roi, seigneurs, curés, califes, juges, militaires, sergents de ville, gardes-chiourmes et petits chefs de tous poils, tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un quelconque pouvoir était allégrement moqué. Il s’agissait de ridiculiser l’engeance qui à longueur de vies tentait de rabaisser le peuple à son pire instinct : la soumission.
Le carnaval était un temps de réjouissances profanes. Bals, cortèges et mascarades, le tout dans une ambiance délibérément grotesque et extravagante, laissaient place à l’imagination et à la création. Des mannequins personnifiant tel ou tel étaient malmenés puis pendus. Sa Majesté Carnaval était enterrée ou brûlée.
Sachant qu’agir sans se prendre au sérieux n’empêche pas le sérieux d’un propos, dans l’intention, les actes ne sont pas innocents. Si ces instants de joie étaient hélas limités dans le temps, nous pouvons toutefois les envisager comme une sorte de répétition générale pour apprentis révolutionnaires.
Et aujourd’hui, qu’est devenu cet esprit, sinon de révolte, au moins de bonne humeur non feinte puis de colère et de provocation. Quelques débordements les 31 décembre et 14 juillet, à l’occasion d’un événement sportif ou de toute autre messe de ce genre. Quelques farceurs qui pillent et brûlent tels des consommateurs pressés qui oublient de payer. Quelques joyeux lurons qui profitent de la foule pour se surpasser, se libérer de leurs frustrations quotidiennes et s’échapper un instant d’un système culpabilisant. La police redoute ces grands rassemblements populaires mais elle maîtrise encore largement la situation.
Il y a des manifestations qui se veulent revendicatives. Tu marches gentiment dans la rue, tu demandes poliment ce dont tu as besoin et poliment on t’envoie chier. Si tu parles un peu plus propre que les autres, tu seras nommé chef des bons enfants et tu auras alors le droit de t’asseoir à la table des négociations, le café est offert. Tu te sentiras important, tu pourras cogérer ta misère, et si tu as de l’ambition et que tu restes raisonnable, on te laissera même choisir l’heure de la prochaine procession.
Lequel d’entre nous n’a pas participé un jour à ces longs défilés stupides, si bien organisés par nos chers syndicats institutionnels, derrière les gros ballons oranges. Tristes fêtes pour clowns tristes, les slogans pourris chantés faux. Cortèges eux aussi limités dans le temps mais d’un ennui mortel. Cortèges verrouillés, solidement encadrés. Manifs tolérées si elles s’autocensurent. Méprisables troupeaux de traîne-savates sans aucune spontanéité, aucune improvisation. En deux mots : liberté surveillée.
Le prince choisit ses  » opposants  » et nous vivons ainsi un exemplaire moment de servilité volontaire.

Christian, février 2001

Texte paru dans Traits Noirs N°3 , avril 2001