Un toto, des totos.

Etudiant paresseux branleur, qu’est-ce que tu viens faire à la fac ?

Cet endroit n’a rien à te vendre ! Savoirs et plaisirs sont gratuits. Dans l’économie de l’horreur, tu es porteur de valeur, et bientôt productif sur le marché du travail. Ta valeur échangeable se construit sur la prétention qui donne la consistance nécessaire au métal dont est fait la monnaie. Prétention fabriquée par toutes les variétés de pédagogues autorisés sur ce marché : géniteurs, éducateurs, psychologues, accompagnateurs de vie ( » vas-y, réalise-toi, insère-toi, trouve ton créneau, tu es le meilleur, le plus beau « ). A 20 ans tu es déjà mort, profites-en ! tu n’étais que le spectateur de ta propre vie, Nike t’a tué. Partout, il faut que tu crois, partout il faut que tu séduises. Tu n’es plus que la marchandise que tu consommes, du cadavre, de la viande froide labellisée, sponsorisée par Vivendi et Coca-Cola. Tes profs ont enterré mai 68, vaincus par ce qu’ils n’ont pas réussi à détruire. Il y a trente ans, ces cons, bénis par le productivisme, jacassaient pour noyer dans des détails existentiels la révolte contre l’économie et pour promouvoir l’aliénation moderne : la résignation exaltée. Comme toi aujourd’hui, ils étaient fatalistes. Comme toi aujourd’hui, ils sont heureux de vivre en France dans une démocratie bourgeoise. Du bon côté de la fracture sociale ou suffisamment vicieux pour que leur délinquance ne s’exprime que dans l’isoloir. Depuis ta plus tendre enfance, les maîtres de casernes de l’Education nationale t’ont inculqué la soumission. Tu es formaté, réduit, numéroté, noté, sélectionné, pressé, surveillé, calibré pour être corvéable à merci. Les patrons ont besoin de toi. Ils t’ont privatisé ! Etudiant-citoyen, on t’a appris à jouer. Jouer à consommer, à éliminer tes concurrents, à compatir, à la nostalgie, à touche-pipi, à communiquer. Ainsi tu admires ton image dans la télévision. Si tu gagnes à ce jeu, tu peux devenir une star-citoyenne. Loana si tu es blonde, José Bové si tu as de la moustache. Si tu es blonde et que tu as de la moustache, – c’est ton choix ! – en tant que phénomène de foire tu as aussi le droit d’avoir des convictions. Tout est possible à partir du moment où tu acceptes de te vendre. Peu importe le prix, tout s’achète ! Ce qu’il te resterait de dignité aussi. Tu n’es pas dans la société comme on est dans la merde, tu es la société ! C’est écrit sur ta casquette, ton tee-shirt et tes pompes. Vraiment pas de quoi t’inquiéter. Que tu te préoccupes ou non de la soupe politicienne, que tu pisses dans le violon plus ou moins cyniquement, que tu votes ou pas, tout ça n’a aucune importance. Ton devoir est de plaire à tes maîtres. Tiens toi tranquille et tout se passera bien. Ils organisent ton enterrement dans ses moindres détails, ne te mêles pas d’avoir des désirs en dehors de l’ordre établi. Une fois tous les deux ans, comme quand tu étais lycéen, on t’apprend à jouer à la révolution : trois semaines de grève et tu rentres à la niche. Tes syndicats-étudiants tiennent parfaitement leur rôle. Puisque le client est roi, le service avant tout ! Syndicats exemplaires de discipline et de tolérance ! Que tu chies dans l’urne ou à côté, dès lors que tu les laisses parler en ton nom, tu seras toujours un bon citoyen. On t’a dressé à choisir ton mode de frustration. Les petits chefs se dévorent ente eux, les minables restent des minables, et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Valentin T. LEIPZIG (janvier 2002)

Extrait de Traits Noirs N°7, janvier 2002