Puisqu’on a l’impératif de contribuer aux « luttes sociales » selon une charte préétablie qui donne sa propre conception de la contribution « rentable et productive », sans tenir véritablement compte de l’ensemble des modes de luttes, alors je me propose de gribouiller un texte en forme de réponse à tous ceux qui considérent l’autonomie comme « contre productive » (Vous reprendrez bien un peu de principe capitaliste ?) à partir du moment où elle n’entre pas dans leurs propres schèmes et modes de pensée. Ce sera une façon de faire progresser le débât sur l’autonomie des luttes, donc de faire avancer les luttes (a)sociales (Mais au fait, la société, ce n’est pas ce qu’on combat ? C’est quoi au juste, des « luttes sociales » ?).

Depuis quelques temps, certains s’emploient, avec une énergie admirable, à écharper les initiatives autonomes en attribuant à leurs ennemis du moment des sobriquets méprisants et infantilisants. Le plus amusant est sans doute celui de « toto » qui, repris aux socdem de l’Unef, fait sans doute référence aux blagues Toto, ce gosse un peu crétin qui ne comprend pas trop la vie. Utilisé à l’encontre de certains activistes autonomes, il permet de douter de leur capacité à réfléchir, à construire un discours ou à agir avec cohérence. Il permet surtout de faire marrer autour d’une table les syndiqués et autres organisés qui ne croient qu’en la massification et autres concepts lénifiants de la lutte des classes, mais qui, à l’heure actuelle, sont plus prolixes pour la rédaction de communiqués désaprobateurs, l’organisation de soirées de soutien et de rassemblements de solidarité.

Quand le « brave Toto » passe le clair de son temps à se joindre, aussi par solidarité, aux rassemblements des organisés, à tenter des actions qui ne reçoivent presque jamais le soutien des organisés (parce que leur spontanéité apparaît comme un élan d’immaturité aux yeux des « raisonnables » et autres « réalistes »), à soutenir les migrants et sans pap en taule (quitte à se jeler des nuits entières devant un centre de rétention pour que les organisés se glorifient ensuite d’avoir « empêché l’expulsion par leur formidable mobilisation »), à se joindre aux contre-sommets et à faire vivre un peu partout des squats d’activité (activité peu visible, il faut les en excuser), ses détracteurs aiment à le considérer comme un neutron, une particule électrique qui bouge sans savoir pourquoi. Et quand, par malheur, il exerce une autocritique (principe d’extrême gauche que nombre d’autres ont relégués aux oubliettes du progrès) à l’égard de ces mouvements auquels il participe, on le taxe de « fouteur de merde » et on lui reproche avec mépris d’avoir gâché une si belle fête (notamment lorsque, par colère, il a provoqué une charge de CRS que tout le monde voulait éviter) : il faut qu’il comprenne que de nos jours, la « révolution » se fait sagement…

Ce que les anti-toto devraient commencer à saisir, c’est qu’il n’y a ni mouvance, ni groupe autonome, il n’y a que des personnes révoltées qui s’organisent de façon affinitaire pour des projets particuliers. Ce qu’ils devraient comprendre aussi, c’est que la « révolution » n’est pas un objectif en soi, même si l’on a passé des heures à potasser l’après-révolution dans des soirées libertaires. La révolution ne peut aboutir que sur la réforme. Nous sommes d’ailleurs encore aujourd’hui dans la poursuite de cette réforme permanente de la constitution de 1795. La république a vocation à n’être qu’une perpétuelle reformulation des principes révolutionnaires. Et tous les réformistes et révolutionnaires se plient ou se plieront tôt ou tard à la logique révolutionnaire du grand Capital. D’ailleurs, même Lenine avec sa Nouvelle Politique Economique et Gorbatchëv avec sa Perestroïka ont fini eux-même par se soumettre au capitalisme. Ce qui intéresse « Toto », ce serait plutôt de se demander pourquoi le principe de l’insurrection a disparu de la dialectique des révolutionnaires et autres libertaires. Dans la déclaration de l’Homme et du citoyen de 1793 il était écrit : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs » (article 35). Mais 1793, c’était le temps de la ferveur populaire, de la révolte, pas celui de la sagesse révolutionnaire. Deux ans après, ce sont les révolutionnaires qui ont enlevé cet article de la déclaration…

Mais passons au delà des discours idéologiques, parce qu’il y a sans doute plus de rhéteurs dans la grande famille des anti-Toto que dans la secte de Toto. Parlons de « spontanéité » et de « provoc ». Il serait bon que certains comprennent que lorsque Toto pète des banques à Poitiers, brûle un Hotel Ibis à Strasbourg ou provoque une rangée de flics en marge d’une manif raisonnable, ce n’est pas dans l’objectif d’être compris ou de massifier, ni même celui de lêcher le derrière des médias en paraîssant réfléchis et raisonnables comme les organisés, qui tentent chaque jour de s’acheter une conduite pour mieux se faire aimer des masses ouvrières qui ont toujours préféré se syndiquer à la CFDT qu’à la Cénète. Quand il rédige des communiqués en s’appropriant les noms d’oiseaux qu’on lui donne ou lorsqu’il se fait passer pour un con isolé, c’est peut-être justement pour ne pas jouer le grand Spectacle de la massification. Mais c’est vrai qu’il serait plus acceptable s’il défilait lui aussi avec un drapeau et des autocollants, plutôt que de venir pourrir les manifs avec son masque, son brise-vitre et ses attitudes désinvoltes qui font peur aux enfants. Et puis quand les flics brisent le crâne d’une jeune militante, il ferait mieux de faire comme le SO et regarder la scène de loin en s’appuyant sur son drapeau miniature en forme de massue, plutôt que d’envisager enfin la confrontation avec les flics…

C’est vrai que Toto a la rage. C’est vrai que parfois, il fait des conneries. C’est vrai aussi que par moments, Toto se comporte comme un capitaliste en se bourrant la gueule ou en utilisant la justice pour tenter de faire tomber quelques fachos. Par moment même, il se prend pour un warrior et essaye d’identifier ses ennemis plutôt que de leur distribuer des tracts sans savoir qu’ils sont flics. Toto préfère parfois prendre des risques inutiles plutôt que de tomber dans le piège de la représentation et des défilés alter. Pourtant c’est étrange, mais il n’y a qu’en France que Toto est pris sans cesse pour un con. Ailleurs, les délires totoïdes sont conçus comme des modes de lutte et d’existence, qui se retrouvent autant dans les squats que dans le Black Bloc. Ailleurs, les délires totoïdes permettent d’organiser de véritables luttes sur lesquelles beaucoup ici se masturbent (excusez le terme : est-il suffisament « raisonnable » ?) le soir en rêvant de révolution devant leur écran cathodique ou lors de soirées débats. A ce propos, ce serait intéressant de demander aux anar russes ou aux anar contre le mur ce qu’ils pensent des « délires totoïdes », eux qui connaissent vraiment l’oppression ?

La différence, peut-être, c’est que Toto a la sensation de vivre DEJA dans un régime oppressif, avec ses caméras, ses flics, ses lois antiterroristes et ses RFID. Toto n’est pas seulement idéologiquement choqué ou scandalisé par l’évolution de la société, mais il a peur et il a la rage. Toto ne veut pas seulement se rassembler devant une prison pour qu’on voit son mécontentement sur France 3, mais saisit toute opportunité d’en défoncer les grilles. Toto ne croit pas dans l’alternance démocratique et ne croit pas non plus qu’un peuple en liesse portera ses idées vers la victoire sur le capitalisme. Toto ressent chaque jour les humiliations d’un système toujours plus totalitaire et dégueule devant l’individualisme ambiant que certains anar organisés défendent comme un moyen de se protéger de l’uniformisation. Toto saisit les opportunités de l’instant présent et construit la confrontation dans laquelle naît l’insurrection. Et s’insurger n’est pas prendre les armes et faire un bain de sang à l’image des révolutions et des guerres populaires. L’insurrection est le fait de se « soulever », de ne pas se coucher, ni de se plier, mais de se mettre debout et d’y rester. C’est le fait d’entretenir le conflit aussi souvent que possible et partout où cela est possible. Leur système est comme un tissu. A nous d’y percer des trous sans relâche.

Alors à tous ceux qui considèrent qu’il y a des « bons autonomes » et des « mauvais autonomes », qui se sentent des véléités dignes des tribunaux populaires, le « je » qui écrit cet article au nom d’un « nous » dans lequel il se reconnaît demande qu’ils réfléchissent avant de commenter dans les colonnes d’Indymedia et de balancer des infos qui pourraient porter atteinte à la sécurité des autres. Ce serait cool qu’ils repensent aussi leur définition de la solidarité, de l’union pour la lutte et de tous ces concepts qu’ils égrennent dans leurs discours en permanence, mais qu’ils semblent oublier lorsque vient le temps de fustiger les déraisonnables.

Et surtout, ont-ils vraiment cherché à connaître Toto et à comprendre ses motivations ?

Et aussi, si on arrêtait de se prendre la tête ?

un Toto qui en a marre de se faire insulter par procuration.

P.S. : je dois mettre quoi comme mot clé ? Y’a pas de rubrique « luttes asociales », « problématiques internes », « gueguerre d’idées »…