Un cas de harcèlement moral à Radio France

Le lundi 6 octobre 2003 dans la matinée, j’ai avalé des médicaments à mon bureau de France Inter et depuis, je suis en arrêt maladie. Pourquoi ? Parce que je suis victime depuis de longs mois, en fait depuis des années, de harcèlement moral de la part de Daniel Mermet, dont je suis l’assistante pour l’émission  » Là bas si j’y suis « . Je sais à quel point il est difficile d’établir ce genre de choses et je tiens, pour commencer, à dire que je ne suis pas la première. A ma seule connaissance, au moins une dizaine de collaboratrices de l’émission – attachées de production, comme moi, assistantes de réalisation ou reporters – ont eu à subir les vexations et brimades de Daniel Mermet. Il serait très facile, pour la direction de France Inter qui n’ignore pas ces précédents, de les entendre, car beaucoup travaillent encore pour la maison, après avoir quitté, comme on s’évade d’une prison, une collaboration devenue peu à peu insupportable. Faut-il parler de R.B, plongée dans la dépression, et qui pleurait chaque soir ou presque au cours des derniers mois de sa participation à l’émission ? De C.L, qui vomissait souvent en rentrant de la cantine, à force de stress et de pressions ? De V.B, enceinte, qui laissa tomber parce qu’elle craignait pour sa santé ? De C.L, de S.C, de M.B, et de bien d’autres ? Ces précédents sont même de connaissance publique car Daniel Mermet, qui bénéficie d’une impunité à peu près totale, ose parfois reconnaître une partie de ces faits. Quand un journaliste de l’hebdomadaire Les Inrockuptibles l’interroge en février 2000 sur sa réputation de chef de clan tyrannique, il répond sans détour :  » Je suis exigeant pour les bons, tyrannique pour les médiocres « . Mais qu’on ne s’avise pas de lui faire la leçon, comme la journaliste de Télérama Emmanuelle Dasque, en juillet 2002 ! Pour avoir écrit :  » Capable de se laisser aller aux pires excès de colère, « d’épuiser ses réalisateurs, de faire prendre 25 kilos à son assistante, de la faire pleurer devant la photocopieuse », s’emballe un journaliste » « , elle fut menacée de procès par Mermet, mais heureusement défendue par sa hiérarchie. Christophe Ayad en revanche, journaliste à Libération – un homme, est-ce un hasard ? – ne s’attira aucun reproche en écrivant, pendant l’été 2002 que Mermet était  » trop dictatorial avec ses collaborateurs, trop tyrannique et méprisant avec le petit personnel pour exercer un magistère « . J’ai fait partie pendant trois ans du petit personnel de Daniel Mermet, et je sais ce que cela veut dire. La saison 2000/2001 J’ai commencé mon travail d’assistante en septembre 2 000, et j’ai envisagé de partir au bout de deux mois. Le travail était difficile, en particulier parce qu’il obligeait à se caler sur le temps personnel de Daniel Mermet. Il arrivait entre 13h30 et 15 heures, et il fallait être là pour l’accueillir. Pendant deux ans, sauf quand il était en reportage, je n’ai presque jamais déjeuné à la cantine. Il fallait l’attendre. Et ne jamais prévoir une soirée, car c’était pareil en fin de journée. Il fallait attendre qu’il ait passé tous ses coups de fil pour faire le point et discuter du programme des jours suivants. Je ne quittais jamais ou presque le bureau avant 20 heures. J’étais en CDD – j’en ai eu sept à la suite avant d’obtenir un CDI – et je savais ce qui m’attendait si je n’acceptais pas ces conditions. Saison 2001/2002 Cette année-là, j’ai bien mieux compris le système Mermet et son fonctionnement maladif. Ce qui rythme le bureau et le travail, c’est son propre rythme de vie. Et sa psychologie propre. A chaque problème professionnel, l’équipe est accusée de  » saboter  » l’oeuvre du maître. Le maître-mot, au coeur des crises rituelles et récurrentes, c’est  » sabotage « . Régulièrement, les membres de l’équipe sont qualifiés d’ « invertébrés », indignes de travailler pour l’émission. Pour ma part, j’ai perdu les (relatives) faveurs de Daniel Mermet au printemps 2002. A cette époque, il crée avec des chômeurs, dans le cadre de la Maison de la culture d’Amiens, une pièce de théâtre. Et je suis mobilisée pour assurer son succès, notamment en préparant, à l’atelier de reprographie de Radio France, des dizaines de dossiers de presse pour la pièce. Mermet n’est pas satisfait, et m’accusant de ne pas assez en faire, de ne pas aller assez vite dans la promotion d’un travail pourtant extérieur à la radio, finit par me reprocher de mépriser les chômeurs eux-mêmes. La culpabilisation organisée est l’une des clés du personnage et de son fonctionnement pathologique. Travailler pour lui, ce n’est pas travailler, c’est s’engager à son service, au service de son image. Dans ce contexte, être son assistante ne connaît pas de vraie limite. Dès que quelque chose ne tourne pas rond, dès qu’une cassette manque quelque part, ou un micro, jusqu’au moindre détail, c’est la faute de l’assistante. Quand tout fonctionne ce n’est jamais grâce à mon travail et ma disponibilité, mais qu’un problème survienne, j’en porte alors la responsabilité. Saison 2002/2003 C’est à l’automne 2002 que tout s’est définitivement dégradé. Probablement parce que j’ai pu enfin signer, le 31 octobre, un CDI. Mermet en a été très mécontent, disant par exemple :  » Te voilà fonctionnaire ! Les gens qui ont un contrat ne se donnent plus au travail. Avant, quand les contrats n’existaient pas, les gens se défonçaient !  » Pour moi, ce fut une libération : j’ai commencé à voir des gens en dehors de l’émission, à déjeuner à la cantine, j’ai commencé à m’échapper. Et sa réaction n’a pas manqué : il me reprochait de plus en plus mes contacts à l’extérieur, mes discussions dans les couloirs. Et ma confiance en moi et dans mon travail a peu à peu disparu. En décembre 2002, l’émission tournait mal, et rediffusait beaucoup d’anciens reportages, ce que la direction d’Inter trouvait discutable. Dans la soirée du mardi 9 décembre, Daniel Mermet s’est trouvé convoqué à ce sujet par Jean-Luc Hees, le patron d’Inter. Dans l’après-midi, Annette Lyautey, cadre de production à France Inter, m’a appelée pour me demander la liste des rediffusions déjà diffusées Je lui ai remis cette liste, qui a ensuite été, je crois, présentée à Mermet par Jean-Luc Hees. A la sortie de la réunion avec la direction, celui-ci s’est déchaîné contre moi, me traitant de  » traître « , de  » collabo « , m’accusant de mettre l’émission et le travail de toute une équipe en danger en ayant accepté la demande de la direction – qu’y avait-il de secret ? -, que les reporters auraient moins d’argent pour leur travail, etc. La culpabilisation, encore. Pendant plusieurs jours, il s’est montré très accusateur , et le jeudi soir, le 11 donc, il m’a convoqué le lendemain à 9 heures. Et il a recommencé à me dire que j’étais une  » traître « , etc. J’ai eu envie, ce jour-là, je le jure, de me jeter par la fenêtre. Les semaines suivantes, j’ai commencé à ne plus trouver le sommeil. Des collègues de l’émission, qui connaissaient la chanson, me disaient :  » Quand il commence à traiter quelqu’un comme ça, c’est qu’il veut le virer. Ça va aller crescendo « . Au cours de réunions de travail, à la moindre anicroche, cela retombait sur moi.  » Si on avait une vraie assistante, qui remplisse vraiment son rôle ! », disait Mermet. Un exemple parmi bien d’autres : depuis mars 2002, il y a un site internet de l’émission, avec envoi possible de messages électroniques. On en recevait entre 20 et 100 chaque jour (ce fut le cas au printemps 2003, pendant les semaines de forte agitation sociale), qu’il fallait lire, trier, auxquels il fallait répondre, en trouvant quelquefois des références. C’était un vrai travail, qui m’aurait pris entre deux et trois heures chaque jour si j’en avais eu le temps, ce qui n’était pas le cas. Mermet disait à ce propos :  » Si tu étais une vraie assistante, si tu savais taper comme une vraie secrétaire, tu y répondrais en cinq minutes « . Il a toujours refusé d’admettre qu’il s’agissait d’une charge de travail supplémentaire. Septembre 2003 Tout s’est accéléré en septembre dernier. Chaque jour, depuis le début de ma collaboration avec lui, je devais l’appeler à son domicile dans la matinée, pour faire le point sur l’émission. Mais depuis le printemps, j’appréhendais toujours plus ce moment-là. Le 10 au matin, je l’ai appelée en retard, et il était très en colère. Il m’a dit :  » Bon, je suis obligé de te garder comme assistante, mais fais donc ta vie dans les couloirs et à la cantine, moi je fais mes émissions. Je te demanderai de petites choses comme ça, de temps en temps.  » Exactement comme si, professionnellement parlant, je n’existais plus. Le plus affreux, peut-être, c’est qu’après m’avoir parlé de la sorte, il a demandé à parler au réalisateur, avec qui il a été chaleureux, très cordial. Mermet sait ce qu’il fait, il sait faire souffrir. C’est toujours ainsi qu’il a procédé, adoptant un ton menaçant à mon égard, redevenant très amical pour s’adresser aux autres membres de l’équipe. Il faisait tout pour que je me sente exclue. Pour que je reste seule, comme une idiote. Le 22 septembre, j’ai demandé un rendez-vous à la directrice-adjointe d’Inter, Marie-Christine Meyer, pour lui parler de ces histoires de courrier électronique, et de mon malaise profond. Le jeudi 25 septembre, j’ai pris une journée de RTT, et de même le vendredi et le lundi suivant, le 29. Depuis mon CDI, je pouvais enfin prendre ces journées de repos, mais à chaque fois, Mermet me le faisait payer. Il ne supportait pas. Une remplaçante avait préparé la traditionnelle émission avec Le Monde Diplomatique, et il y a eu une léger malentendu sur la date, que Mermet m’a imputé alors que je n’y étais pour rien. Il m’a dit textuellement :  » Tu vois ce que c’est, rien ? Toi, t’es moins que rien « . Le 1er octobre, je me doutais que ça allait mal se passer. J’étais morte de peur, et je l’ai appelé chez lui, en fin de matinée, tard selon lui. Cette fois, il m’a dit sur un ton glacial :  » Bon, on arrête là. Tu quittes cette émission « . Et il a ajouté que c’était l’équipe qui réclamait mon départ, ce qui n’était pas vrai. Je me suis retrouvée en larmes dans le bureau de Patricia Piffault, a qui il a déclaré, dans l ‘après-midi  » Joëlle, on veut s’en défaire « . Le jeudi 2, je suis retournée au bureau et j’ai dit bonjour à Daniel Mermet. Il m’a regardée, mais ne m’a pas répondu. Ce même jour il a dit à Anne de Giafferri :  » Viens me voir après l’émission, j’ai quelque chose à te proposer.  » Cette proposition, c’était mon poste, ma place. Personne ne disait rien, personne ne me disait rien. J’étais chassée, sans parole, sans aucun moyen de me défendre. Je devais disparaître. Et le 6 octobre, j’ai avalé des médicaments, parce que je ne savais plus quoi faire, parce que j’en avais assez. Je ne suis plus là-bas, je suis désormais ailleurs. Est-ce qu’on doit supporter cela ?

Joëlle Levert