Il y a quelque chose d’assez étonnant dans la façon dont s’organise les débats, comment à partir d’un fait assez simple – une attaque de vitrines dans le centre ville de Poitiers – on en arrive à de grands échanges sur la question de la transformation du capitalisme et autre. En passant par la condamnation, l’insulte et le mépris.

Il me semble important de prime abord d’éviter d’opposer deux champs considérés à tort comme distincts : l’action directe d’un côté, supposée modifier le rapport de force habituel ; la sensibilisation de l’autre, supposée convaincre. Ne pas opérer cette distinction, c’est considérer que toute tentative de déstabiliser l’ordre et les principes qui le soutient sont bons. Fondamentalement, la portée d’un geste ne tient pas à sa qualité (tract ou casse ou débat) mais à ce qu’il ouvre de brèches dans le soi-disant équilibre policé de nos mondes, ce vers quoi il tend. A ce sujet, un très beau texte à lire, je trouve : « A couteaux tirés avec l’existant, ses défenseurs, ses faux critiques ».

De ce point de vue, tant le communiqué de l’OCL (1) que le texte publié sur Non Fides – dit NF – (2) tombent dans le piège de vouloir légitimer leurs pratiques en convainquant leur auditoire que « l’autre » est dans l’erreur.

Un texte publié sur Indymedia (3) répondant au texte publié sur NF est tout aussi dans l’erreur mais d’une autre façon : il considère sans discussion que cet opus serait l’expression juste et partagée qui donnerait sens à la casse de Poitiers. Rien n’empêche de critiquer le texte publié sur NF, parce qu’effectivement, et comme le dit un commentaire, il est snob. Pour autant, la discussion autour de la casse ne peut se limiter à cette critique. Tout comme la journée anti-carcérale ne peut être appréciée à la stricte lecture du communiqué de l’OCL, tout aussi critiquable mais pour d’autres raisons (voir ci-après).

Mon impression est que des deux côtés, tant pour l’OCL que pour les tenants de l’insurrection immédiate, il s’agit de reporter sur autrui leur propre impuissance. Je ne veux pas dire que tout ce qui est tenté pour renverser l’ordre existant n’a aucun effet, mais plutôt que celles et ceux qui portent ce projet, confrontés à la puissance de la réaction, à l’atomisation de leurs pratiques, ont tendance à taper sur le voisin immédiat, refusant d’assumer complètement leur limites : l’impossibilité de transformation immédiate, la sensation de fragilité ou d’isolement, les contradictions que renferment toute pratique ou doctrine. Tout cela ne me semble pas un problème en soi, mais peut le devenir dès lors que ces limites ne sont plus considérées pour ce qu’elles sont : des éléments propres à soi tout autant que des choses imposées du dehors, à questionner, éventuellement à dépasser. Elles deviennent véritablement nocives et inhibitrices dès lors que ces limites sont expulsées de l’intime et du politique dont elle dépendent par celles et ceux qui y sont confrontées, pour être projetées intégralement en dehors soi, sur « l’ennemi » supposé : le camarade qui n’agit pas « bien », la société, le voisin, le patron, etc. Somme toute, les limites sont humaines et fort heureusement, nous ne sommes pourvus d’aucune puissance totale. Affirmer le contraire ne nous distinguerait plus guère de celles et ceux qui prétendent nous diriger. Le sur-homme de Nietzsche nous rappelle à nos limites, et ne préfigure malheureusement (?) aucune vérité à venir.

Alors finalement, la casse d’Angers ? Il me semble que l’objectif de l’opération (un des objectifs) était de créer une forme rupture, comme je l’écris plus haut, de foutre un peu le bordel dans des centres ville où règne une absence quasi-complète de ce qui habituellement rend la vie un peu intéressante : la surprise, la confrontation, la rencontre, la peur, le vertige, la paresse, l’ivresse, l’amour, la joie, l’exubérance, etc. De ce point de vue, les actions « commando » atteignent en partie cet objectif. Mais il n’y a pas que ça : les actions diverses de sabotage et plus généralement la constitution d’un front plus offensif de la contestation ont induit l’émergence d’une dialectique et d’une tactique policières qui – loin d’être une nouveauté – doivent être considérées dans nos manières d’agir. Les bons principes ne suffisent pas, il s’agit d’être un tant soit peu stratège. En la matière, l’anti-terrorisme est bel et bien une souricière.

Ce débat n’est évidemment pas celui de la violence ou de la non violence, non plus de la qualité de la réception du message apportée aux « foules », au « peuple », à « l’opinion » ou tout autre entité dont on se détache et se distingue par le simple fait de la nommer. Il ne s’agit pas d’élaborer une stratégie de communication mais, comme le souligne au milieu de sa vindicte hargneuse le critique déjà cité : éviter la réduction du conflit à « un face à face paranoïaque » et militarisé entre État et fidèles guerriers de la libération. Sur ce terrain, la défaite semble effectivement probable, du moins dans les conditions actuelles.

Ce n’est pas tant l’action de Poitiers qui porte en elle ce risque. Le bris de glace et le tag ne me semblent pas le signe d’une quelconque paranoïa, ni l’émergence d’une force individualiste, militaire, et autres foutaises. Toutefois, il est aussi vrai que le tintamarre policier tout comme la naïveté de certains maquisards (dont la plupart sont tout autant que moi plus occupés à tapoter sur un clavier qu’à produire le chaos libérateur) tendent à faire se rencontrer sur un même terrain les édiles de la sécurité à tout va tout comme les amateurs de révolution toutes écoles confondues. Cette « coïncidence » est désagréable, il convient de la considérer, et d’orienter nos pratiques en conséquences.

Comment ? pour moi ya rien d’évident, et je suis preneur de toute suggestion.

Rapport au texte de l’OCL, je pointe plusieurs choses :

Première remarque : comme le texte publié sur NF le mentionne, faire porter la responsabilité de la casse aux forces de l’ordre est absurde. Le point n’est d’ailleurs pas explicité.

Nous avons ensuite la qualification de militants dits : « hors sol », expression malheureuse renvoyant de façon désagréable à une idée du genre : « pas de chez nous ». Il y a donc le « Nous » que je comprends comme : « nous les organisateurs », et les autres : « eux », que je comprends comme : ne suivant pas la logique des organisateurs.

Le schéma de la séparation/opposition se poursuit avec ce qui suit : dans la critique de « la prise de contrôle » de la manifestation (les gens qui imposent leur rythme, etc). Je répondrais à l’auteur que c’est dans l’idée même d’une manifestation que d’imposer un rythme, des décisions à un ensemble plutôt passif. Ce que regrette en fait l’auteur, ce n’est pas une « prise de pouvoir » en elle-même, mais plutôt le fait d’avoir été – lui – privé de ce pouvoir. Ce sont « eux », ces étrangers, qui ont fait ce qui se fait à toute manif : l’imposition d’un rythme, de slogans, etc. D’une « ambiance », subie tout autant que portée. Je retiens donc ici l’amertume de l’OCL d’avoir été privé de la joie de décider du comment devait se dérouler la manifestation.

Vient ensuite l’argumentaire sur la clarté du message adressé à la « frange de la population » qu’il convenait pour l’occasion de « sensibiliser ». Premièrement, on peut douter du fait que dresser une banderole sans message ou l’absence de tracts rendent caduque tous les efforts de communication de cette journée. D’autre part, la rhétorique ici utilisée (notamment par cette expression « frange de la population ») renvoie de façon désagréable à l’idée qu’il faille aller apporter la bonne parole à la foule sur la question de la prison. Il me semble que ces rencontres sont plus modestement un prétexte à la rencontre, pas beaucoup plus ; ce qui est déjà très bien.

Ensuite vient la référence à « l’absence de démocratie », rengaine relayée dès lors que des groupes d’individus se passent de l’assentiment dit « général » pour faire ce que bon leur semble. A ce titre, la mobilisation étudiante était l’illustration édifiante de la perversion de cette revendication dite démocrate. Ces fameuses « AG souveraines » sensées être l’expression populaire, où l’ont transformait effectivement la contestation en masse bêlante, sous le regard protecteur des organisateurs professionnels de la révolte, soucieux « d’images » et de « messages ». Sans les petits groupes autonomes s’amusant à bloquer routes et trains, la contestation aurait été bien terne.

Et si la démocratie n’est effectivement pas la propriété de la bourgeoisie, il faut bien admettre qu’à l’heure où nous parlons, il n’y en a pas d’autre. Et je ne vois pas bien comment la faire émerger à l’occasion d’une journée anti-carcérale. Là encore, il me semble que ce que déplore l’auteur est avant tout l’absence de prise en compte des organisateurs par celles et ceux qui ont décidé de façon toute aussi unilatérale que cette journée était aussi la leur. De façon pragmatique : on a quand même du mal à se figurer la scène d’une bande de casseurs allant informer le collectif anti-carcéral de leur action, en discuter tranquillement, en leur demandant au passage – démocratie oblige ! – leur approbation.

Ensuite, l’auteur parlant au nom de l’OCL associe les casseurs au gauchisme militaro machin des temps passés. Il est vrai que le noir, les cagoules et le reste ont quelque chose d’un peu dérangeant en ce que cela rappelle les milices d’antan. Pour autant, associer ce folklore de mauvais genre aux doctrines d’extrême gauche voyant la lutte armée comme ultime forme de contestation, c’est un peu vite fait. On enjoint l’auteur à s’intéresser de plus près aux contestations des années 60′ 70′ notamment, où la stratégie des combats de rue n’avaient pas grand chose de commun avec celle des groupes armés. Il ne s’agit pas ici de discuter du bien fondé de ces luttes, mais de ne pas tout mélanger.

Enfin, l’auteur déplore la peur et l’angoisse de gens ne comprenant rien au déferlement de petits groupes prenant d’assaut le centre commercial géant qu’est le centre de toute ville actuelle. La formule de l’auteur à des accents dramatiques. Il me semble toutefois que la peur, la surprise et l’angoisse n’ont jamais tué personne (les fragiles du cœur peut-être). Et que bien souvent, ces émotions sont une possibilité donnée à celui qui les traversent de se faire une idée nouvelle du monde qu’il habite. Le fait d’avoir provoqué un peu de panique ne constitue pas à mes yeux un véritable problème. Comme le souligne l’auteur, la conséquence a été que « la fête est gâchée ». Ce qui en soit n’a absolument aucune importance, enfin à mes yeux.

Finalement, les tenants de l’insurrection prétendant déclarer la guerre à l’État (armés de peinture et de fumigènes) n’ont pas grand chose à apprendre des tenants de la sensibilisation de la frange ignorante. Les éducateurs n’ont à leur tour rien à dire aux casseurs, puisqu’ils « ne sont pas dans le même monde. »

Chacun chez soi…

Nous voilà bien.

(1) http://juralibertaire.over-blog.com/article-il-n-y-a-pa….html

(2) http://www.non-fides.fr/spip.php?article537

(3) http://nantes.indymedia.org/article/18408