Lettre ouverte de Shova GAJUREL à :

Mr Jean Michel BERARD Préfet du Nord-Pas-de-Calais

Mr Bernard KOUCHNER Ministre des Affaires Etrangères et Européennes

Mr Eric BESSON Ministre de l’Immigration de l’Intégration et de l’Identité Nationale

Je m’appelle Shova GAJUREL, je suis Népalaise et membre du Parti communiste du Népal
– maoïste [PCN-m].

Je suis arrivée le 1er septembre 2006 en France pour avoir le statut de
réfugiée et j’ai effectué ma première demande d’asile. Mais deux ans
après, elle a été rejetée et on m’a remis une lettre qui me disait de
rentrer au Népal. J’étais donc sans-papiers. La situation dans mon pays
ne me permet pas d’y rentrer. C’est pourquoi je n’y suis pas allée et
suis restée en France.

Mon frère, qui a fait sa demande d’asile avec moi en France (et qui a
également été rejetée), lui, a décidé de rentrer au Népal, ce qui m’a
inquiétée. En raison des dangers qu’il courait, il n’y est pas resté
longtemps et il réside maintenant en Inde. Depuis, je n’ai pas eu plus
de nouvelles.

Quand le CADA (Centre d’accueil pour demandeurs d’asile) n’a plus pu
m’héberger, je n’ai plus eu de logement. Je logeais donc chez des amis
népalais, changeant régulièrement d’endroit. Je les aidais au quotidien
en leur rendant des services (cuisine, garde des enfants,…) et en
échange ils m’aidaient financièrement, me nourrissaient et me
logeaient.

Le 28 juin 2009, je suis allée en Belgique. Il y avait un grand
programme culturel népalais. Après être arrivée là-bas, j’ai aidé mes
amis népalais et ils m’ont aidée en retour pour manger et dormir. Ils
m’ont donné de l’argent en prévision de mon retour en France.

En juillet, sur la route de retour à Paris, la police m’a arrêtée à la
frontière franco-belge. Je suis restée une nuit et un jour en
détention, trimbalée de cellule en cellule, avant que la police ne
m’emmène au centre de rétention de Lille-Lesquin.

A Lille, je suis allée deux fois au tribunal. Après une réponse
négative à ma demande d’asile, le 3 août, la police française m’a remis
à la police belge à la frontière. Cela m’a étonnée, ainsi que tous les
amis qui me soutiennent, car tout le monde sait, y compris les
autorités françaises, que le pays par lequel je suis directement
arrivée en Europe est bien la France.

La police belge m’a dit : « Quand les documents de France nous seront
transmis, nous te renverrons en France. Si tu n’as pas fait de demande
d’asile en France, nous te renverrons directement au Népal. » Ils m’ont
arrêtée le 3 août et ne m’ont libérée que le 31 août après m’avoir dit
: « Retourne en France ». Les autorités m’ont donné un papier me
demandant de quitter le territoire belge sous 6 jours.

Des amis népalais sont venus me chercher au centre de rétention de
Bruges. Je suis restée chez eux jusqu’à ce que je revienne en France.
Je suis revenue car c’est ici que j’ai fait ma première demande d’asile
et que c’est le pays dans lequel je suis arrivée directement du Népal.
C’est donc le pays dans lequel je dois avoir mes papiers.

Je vais maintenant expliquer pourquoi je ne peux pas rentrer au Népal.

1) Durant la période de Guerre Populaire menée par le PCN-maoïste
dont je fais partie, la police a établi de fausses accusations de
meurtre à l’encontre des militants. Ils peuvent ainsi arrêter qui ils
veulent. Pour les dirigeants de mon parti, la plupart de ces
accusations ont été levées mais pas pour les militants de base.
Aujourd’hui encore, la police profite de ces fausses accusations pour
arrêter des maoïstes ou des sympathisants. Je suis moi-même accusée de
crimes que je n’ai pas commis. Si il se passe quelque chose près de là
où j’habite, ils peuvent m’arrêter.

2) Il y a plusieurs groupes armés au Népal qui s’en prennent aux
maoïstes et les assassinent. Je suis la fille d’un des dirigeants du
PCN-maoïste, CP Gajurel « Gaurav », qui a été emprisonné en Inde en
2004. Aujourd’hui encore, lui-même est menacé, ainsi que sa famille,
surtout si nous prenons part aux activités du PCN-maoïste. Puisque mon
père est un dirigeant du Parti, il bénéficie de la protection de gardes
du corps mis à disposition par le Parti. Comme je ne suis qu’une
militante de base, le Parti ne peut pas mettre à ma disposition des
gardes du corps. Je suis donc exposée à la violence de nombreux groupes
et individus armés qui s’en prennent aux maoïstes. D’ailleurs, des
membres du PCN-maoïste sont régulièrement assassinés, même depuis
l’entrée de notre parti dans le processus de paix.

3) Après que je sois arrivée en France, et même après que notre
parti soit entré dans le processus de paix, mon mari a été arrêté et
torturé en 2006. Cela prouve que même ma famille proche est directement
menacée. Je me pose la question de savoir ce qui me serait arrivé si
j’étais restée avec lui au Népal.

4) En raison des menaces pesant sur moi, j’ai dû placer mes enfants
en pension dans une école dont le directeur est membre du Parti. Il n’y
a que lui qui sait de qui sont ces enfants. Personne d’autre ne le
sait. C’est ce qui assure leur sécurité.

5) Au Népal, il y a un processus de paix et le PCN-maoïste est
arrivé en tête des élections de l’Assemblée Constituante d’avril 2008
avec 40% des votes. Mais après environ huit mois à la tête du
gouvernement, le PCN-maoïste a été obligé de démissionner car l’Armée
Népalaise mettait en péril la suprématie civile en ne respectant pas
les directives gouvernementales. De plus, il reste huit mois pour
écrire la constitution mais le Congrès Népalais et le PCN-UML disent
qu’il sera impossible de l’écrire à temps. Elle est pourtant nécessaire
pour que de nouvelles élections aient lieu. Le Congrès Népalais et le
PCN-UML posent également beaucoup d’obstacles à la fusion des deux
armées (Armée Népalaise et Armée Populaire de Libération). Pourtant,
écrire une nouvelle constitution, tenir de nouvelles élections et
fusionner les deux armées est essentielles pour que le processus de
paix puisse être mené à sa conclusion logique. Tant qu’il ne le sera
pas, notre sécurité ne pourra être garantie. Il faut également ajouter
que le gouvernement actuel est très instable. Le premier ministre à
l’heure actuelle n’a pas été élu dans ses circonscriptions – il a perdu
dans les deux. Le premier ministre actuel, Madhav Kumar Nepal, n’a pu
devenir premier ministre que grâce au soutien de l’Inde et des
Etats-Unis. Pourtant le Népal est devenu une République : il n’est pas
légitime qu’une personne non élue à l’Assemblée Constituante devienne
premier ministre. Cela nous amène à nous poser la question : peut être
qu’un haut officier de l’armée, soutenu par l’Inde et/ou les
Etats-Unis, peut devenir premier ministre par le biais d’un coup d’Etat
?

6) L’Armée Népalaise se renforce, politiquement et militairement.
Politiquement car en refusant d’obéir aux directives du gouvernement
lorsqu’il était dirigé par le PCN-maoïste, l’Armée Népalaise a pris une
certaine autonomie politique. Militairement car l’Armée Népalaise
relance les recrutements pour augmenter ses effectifs et que le
gouvernement népalais et le gouvernement indien ont entamé des
discussions pour importer des armes. Tout cela est particulièrement
inquiétant pour la continuation du processus de paix.

Tout cela montre que la situation est encore très instable au Népal,
que la guerre pourrait reprendre et que ma vie est toujours en danger
là-bas.

Si je suis revenu ici, dans le Nord de la France, à Lille, c’est parce
que dans cette ville, les autorités, le Préfet connaissent mon dossier,
que cela doit leur permettre de donner une réponse rapide et favorable
à ma demande de régularisation.

Oui je l’affirme : au regard de mon engagement politique au Népal, au
regard de la situation politique actuelle au Népal, mon expulsion vers
ce Pays représente un risque réel pour mon intégrité physique et
morale, ma vie. Oui je le répète je suis en danger de mort.

Si aujourd’hui je suis revenue à Lille, c’est parce que des gens, des
militants, des organisations, ont compris mes difficultés et se sont
portés solidaires. Je remercie encore tous ceux et celles qui se sont
manifestés en solidarité, ici, dans la région où je suis maintenant,
les amis belges qui m’ont aidée et tous ceux et celles qui en France et
ailleurs, partout dans le monde, me soutiennent et sont solidaires.

Je demande à toutes et tous de continuer à le faire. Shova GAJUREL le 30
septembre 2009