CHRONIQUE DU CAMP NO BORDER CALAIS
-Mardi 23 au lundi 29 juin 2009 –

*tenter de comprendre ce qui s’est passé. Penser son agir*

Du mardi 23 au lundi 29 juin s’est tenu un No Border Camp à Calais dans le but de faire connaître la situation critique des migrants dans la région et d’agir avec ces derniers contre les politiques fascistes européennes. Le dernier en date en France était celui de Strasbourg en 2002 qui avait donné lieu à de violentes émeutes anticapitalistes et de multiples actions dures. Sachant cela, les larbins locaux de l’Etat se sont promis de quadriller au maximum ce No Border ci, d’autant que la polémique continue autour des violentes émeutes lors du contre-sommet de l’OTAN début avril 2009 à Strasbourg. Si lors du Sommet de l’OTAN à Strasbourg, les forces de répression avaient pour ordre de privilégier la « sécurité des personnes » au détriment de la « sécurité des biens », qui eut pour conséquence des scènes de guerre dans le quartier du Pont de l’Europe, l’Etat a donné pour mot d’ordre à Calais d’au contraire tout faire pour arrêter le maximum de personnes.

Les initiateurs du No Border attendaient entre 2000 et 3000 personnes. Nous serons, au plus fort, 1600 à 2000 personnes environ. En face, 2500 à
4000 policiers assiègent Calais, avec toute l’armada de répression possible : blindés canons à eau, brigades montées (une trentaine de chevaux au moins) spécialisées dans les interventions antiémeutes, hélicoptères, grilles antiémeutes, police, CRS, gendarmes mobiles, BAC, etc.

Depuis le 18 juin, toutes les manifestations pour les sans-papiers sont interdites. Les hôpitaux sont vidés en prévision de nombreux blessés, les prisons sont également vidées pour permettre d’ « accueillir » le maximum de prisonniers, le quartier du Camp de Rétention est ultrasécurisé, les jungles de migrants sont décrétées zones interdites, au centre-ville sont interdits tout rassemblement et tout attroupement de plus de 5 personnes, la diffusion de tracts et journaux No Border sont interdits en ville. L’Etat, à nouveau, instaure un état de guerre contre toute tentative de subversion.

Mais l’objectif principal de l’Etat-policier tout-puissant est d’isoler les No Border, de les isoler d’abord des Calaisiens, les isoler ensuite et surtout des migrants eux-mêmes. Pour le premier cas, les autorités ont développé depuis plusieurs semaines déjà une violente propagande d’Etat qui diabolise au possible les activistes No Border, les traitants en barbares qui n’ont que pour seule volonté et plaisir la destruct
ion gratuite. A cela, deux réactions diamétralement opposées : une grande majorité de Calaisiens qui subissent la psychose et adhèrent presque aveuglément à la propagande, avec une terreur réelle pour les No Border ; et une partie, certes non négligeable mais minoritaire, qui condamne fermement ce déploiement policier de terreur et d’intimidation, cette démonstration de force du Régime Sarkozyste dans toute son horrible splendeur, et coopère plus ou moins ouvertement et solidairement avec les activistes No Border. Pour le second cas, les autorités veulent empêcher absolument toute jonction possible entre les No Border et les migrants, la politisation de la situation de ces derniers, et surtout donner un caractère politique et transnational à la grande manif du samedi. Pour cela, d’importants barrages policiers sont mis en place autour des jungles, autant pour refouler les migrants qui tenteront d’en sortir que refouler les No Border qui tenteront d’y entrer. Un harcèlement policier digne des années 1940 est utilisé de manière écrasante à l’encontre des migrants qui ont interdiction de manifester et de circuler.

Il y a cinq Jungles directement autour de Calais, chacun selon une appartenance géographique précise : les Iraniens, les Afghans, les Erythréens, les Irakiens et les Kurdes. Ils sont entassés dans ces bidonvilles
sauvages du fait qu’ils ne peuvent pas passer la frontière menant en Angleterre. Toutes les jungles sont situées au Nord de Calais, principalement au Nord-est.

Quand au No Border Camp, il est situé à l’Est de Calais, derrière le quartier populaire Beaux-Marais, sur un terrain qui longe la rocade E15, flux marchand relié à la frontière franco-anglaise, à plus d’une heure à pied du centre-ville bourgeois.

A noter enfin une dernière remarque : Les No Border Camp sont les plus pertinents politiquement, car contrairement aux camps anti-OTAN, anti-OMC, anti-G8 et autres, ce n’est justement pas un camp « altermondialiste » réactif à un sommet international capitaliste. C’est une rencontre internationale d’activiste par essence actif, affirmatif, c’est une initiative. La chose intéressante est que c’est nous qui reposons nos conditions, que c’est aux flics de se déplacer pour nous contenir et non l’inverse.

>MARDI 23 JUIN 2009 : ARRIVEE A CALAIS, DECOUVERTE DU CAMP-

Nous avons croisé de nombreux convois de CRS et gendarmes mobiles en route vers Calais sur l’autoroute qui témoignaient du difficile rapport de force que nous aurons à instaurer. En arrivant le soir au Camp, nous découvrons agréablement la formidable organisation et autogestion de ce dernier : eau courante et potable, toilettes s
èches, douches collectives avec tranches horaires pour les mecs et les filles, grandes cuisines qui assurent trois repas par jour pour tout le monde (les activistes, les Calaisiens, les migrants), une Medical Team, une Legal Team, une tente d’accueil, un chapiteau pour les AG, une tente de Trauma Support Psychologic (plus contestable, car selon plusieurs personnes, cela confirme le rapport de victime lors de nos actions qui ne sont pas et doivent pas être des actions martyrs), une tente de Cinéma et Projection, un endroit pour jouer au foot, etc. A noter aussi qu’il y a des passages aménagés pour les handicapés.

De plus, le Camp édite chaque jour son propre journal « Nomade » qui tirera 4 numéros d’analyses, de faits et de critiques. Le Camp est par ailleurs délimité par de nombreuses grandes banderoles : « J’aime le sabotage », « beau comme une prison qui brûle », « freedom of movement for all », « nous danserons sur vos cendres de rétention », « No Border Action », etc.

Enfin, toute la partie du quartier directement autour du Camp sera recouverte de tags et affiches politiques (sauf les habitations).

Les journalistes des médias bourgeois n’ont droit d’entrée qu’entre 12h et 14h et que sur une partie précise du Camp. Les flics sont interdits de pénétrer dans=2
0le Camp, mais ils passent quasi-continuellement devant et ont faits plusieurs check-point autour du Camp. Sinon, bien sûr, il est ouvert à tous, et de nombreuses personnes du quartier Beaux-Marais puis des Calaisiens du centre-ville même passent régulièrement, solidaires ou tout simplement curieux.

Il y a deux AG par jour : une à 12-13h et celle plus importante de 21h, avec des modérateurs pour le tour de parole, traduites à chaque fois en anglais, français, afghan, kurde et espagnol.

Les premières AG tournent principalement autour de l’autogestion du Camp.

>MERCREDI 24 JUIN 2009 : DECOUVERTE DES JUNGLES

Nous apprenons qu’il y a eu les premières actions cette nuit, notamment à Lille où près d’une trentaine de camarades se sont enchaînés au Camp de Rétention. Ce qui a donné lieu à 23 arrestations. Suite à cela, il est proposé en AG de faire une action de solidarité à Calais, c’est alors qu’on constate que l’AG principale ne veut pas entendre parler d’action mais au mieux de la grande manif du samedi, que les actions doivent être des initiatives.

C’est pourquoi les réunions-actions se font en dehors des grosses AG. L’idée de départ est de jouer sur la visibilité : mettre des lettres sur chacun de nous (pour dire « solidarité ») ainsi que d
ployer une banderole sur le No Border. Finalement, cette action ne verra jamais le jour pour x et y raisons.

Les provocations commencent déjà de la part de la police autour du Camp avec un durcissement des Check-point désormais inévitables. Il y eut 4 arrestations à Calais de camarades pour « détentions d’armes » (trois lillois et un strasbourgeois, semble-t-il). La population devient sensiblement positive et ouverte aux No Border jugés très accueillants. Les migrants commencent également à affluer sur le Camp.

Avec un petit groupe, comme cela se fera tout le long de la semaine, nous partons en direction de la jungle des afghans. Aux abords de la jungle, comme on pouvait s’y attendre, pas moins de 4 cars de CRS viennent nous faire un long contrôle d’une demi-heure. Fouille au corps, fouille des sacs, prise des identités, interrogatoire sauvage, désormais ce qui deviendra, hélas, une routine. Finalement nous parvenons malgré tout à la jungle où nous découvrons une situation déplorable : des familles entassés dans des logements de fortune en tôle, ils se douchent dans des eaux toxiques rejetées par les usines chimiques alentours. Avec le soleil, les déchets sont presque intolérables. Et surtout, la peur : les migrants ont de très mauvaises expériences des CRS et n’osent pas venir au Camp No Border
, ni venir à la manif du samedi, par crainte de représailles et descentes de la part des flics. Ils sont également la proie des passeurs qui exigent des sommes exorbitantes (parfois jusqu’à 800€) pour finalement être donnés aux flics. Enthousiasmés de notre passage, ils nous encouragent à revenir, avec des caméras, pour faire connaître leur situation.

A 16h, une alerte : les flics attaquent la distribution de nourriture des migrants. En fait, c’était un lieu occupé qui est attaqué. Nous y allons à plusieurs dizaines en convois. On se fait deux fois arrêter par les CRS qui nous contrôlent plus d’une heure, finalement on n’a rien pu faire. L’hélico tourne, la brigade montée patrouille, les chiens nous tiennent en respect. Ils fouillent intégralement la bagnole (coffre, banquète arrière, etc.) et finissent par nous relâcher. L’omniprésence policière est vraiment déconcertante. Ils sont partout. Ils sont tendus, réactifs, provocants.

D’ailleurs, une remarque pratique : si le village est bien situé, il est très vulnérable, à la merci de la moindre attaque d’envergure des flics. Sommes encore peu nombreux d’ailleurs sur le village, moins de 500, et n’avons pas le rapport de force. On apprend par ailleurs que le décret anti-cagoule est passé, qui ajoute à
la polémique avec les dogmatiques du pacifisme.

Ce que l’on peut dire de cette journée, c’est le constat d’une police très tendue, partout, qui n’attend qu’une chose : pouvoir nous foutre sur la gueule au moindre prétexte.

>JEUDI 25 JUIN 2009 : la sensation d’être traqué.

Cette nuit, des jeunes du quartier, impatients d’en découdre, sont allés brûler quelques voitures et jeter des cannettes sur les flics. Au fil du temps, ils seront très attentifs à notre manière de faire, l’organisation en groupes affinitaires, l’emploi stratégique de l’affrontement.

**

La sensation d’être traqué. Ayant assez de l’inactivité du Camp No Border qui devient de plus en plus camp de vacances, des activistes préparent une série de réunions informelles. Une réunion se tient à 12h30 derrière la tente d’accueil, rassemblant une trentaine de camarades. L’idée ? S’extérioriser du camp et aller vers les calaisiens. L’objectif ? Défier le dispositif policier et faire parler des thématiques spécifiques aux No Border auprès de la population. Voici l’action : manif-tractage sauvage en ville. Sachant que le centre-ville est une zone interdite pour nous, et que les flics nous contrôlent systématiquement, la stratégie est simple : aller en p
etits groupes vers le point de rendez-vous qui est l’Eglise St Pierre à la place Crève-Cœur, près du Boulevard Lafayette, en plein cœur du centre-ville. Y aller en civil, en binôme ou à 4 maxi. Privilégier le bus à la voiture ou à pied. Deux camarades prennent le matériel de banderole et de tracts et tenteront de passer les barrages policiers ; y être pour 16h00 pile. A 16h05, départ pour la manif sauvage. Prévoir 2h pour y aller à cause des contrôles de flics.

14h20 : je pars en binôme avec M. On choisit de prendre le bus. On y va en civil, colorés.

On prend par la gauche en sortant du camp. On croise un groupe de jeunes du quartier. On leur demande où se trouve la station de bus qui va vers le centre-ville.
-c’est là, au bout de la rue, juste derrière, monsieur.
-Faites gaffe, monsieur, les keufs contrôlent tout le monde.
-Bonne chance, monsieur, et vive les No Border !

En effet, sans surprise, au bout de la rue, un imposant barrage policier de plusieurs cars. On y va, tranquillement. On croise les premiers flics qui nous sortent : « avancez à droite, mes collègues vont faire un contrôle ». On avance vers les « collègues » dont un officier particulièrement haineux :
-Stop. Vos papiers. Tournez-vous, levez les bras, écartez les jambes. (vers moi). Videz votre
sac. (on s’exécute. On reste silencieux.)
-vous êtes au camp ?
-on dort là-bas, oui. (M.)
-vous allez où ? Au centre-ville ?
-oui.
-pourquoi faire ?
-se balader.
-Vous venez d’où ?
-S….
-Vous faites quoi ?
-Etudiants.
-En quoi ?
-….
-…..
-vous voulez faire quoi plus tard ?
-on ne sait pas encore.
-Vous avez une cagoule ?
-Non.
-Elle est cachée ? Dans le pantalon, la manche ?
-Mais non !
-Pas de substance illicite, monsieur ?
-ben non (moi).
-Pardon ? (plus sec).
-Non. (d’autres camarades arrivent, se font arrêter et aligner, puis contrôler, comme nous.)
-vous allez faire une manifestation ?
-non.

Ils fouillent mon sac, le vident par terre, vident mes poches, nous palpent, nous fouillent, prennent nos identités, confisquent des documents du camp où les lisent entre eux avant de les garder. L’officier, voyant que nous restons silencieux et calmes, s’énerve et demande à M. plus sèchement :
-alors, vous allez brûler des trucs ?
-mais non, voyons !
-Vous n’avez pas encore une réunion, là ?
-pas particulièrement.
-Y a beaucoup de réunions, hein ? Alors, vous avez fait la stratégie ?
-pardon ?
-ça y est, elle est établie la stratégie ? Alors, vous avez tout prévu ?
-non. Je ne comprends pas.
-ouais ouais. Vous nous prenez pour des cons, hein ?
-all
ez, circulez.

Après le long contrôle, ils nous rendent nos papiers, on range nos affaires et on s’en va, toujours silencieusement. Les flics sont déjà en train de contrôler d’autres camarades.

Un peu plus loin, un bus est arrêté. On lui demande s’il va au centre.
oui, je suis la ligne 4 et je passe par le centre. Je pars dans 14 minutes.
-ah, parfait. Ben on va fumer une clope.
-je vais en fumer une avec vous. (il nous offre une cigarette à chacun, et cause avec rage et enthousiasme)
-alors, vous font pas trop chier les flics ? C’est n’importe quoi. La voilà, la France de Sarko. Ils sont partout.

Du coup, on le tutoie aussi. On comprend que c’est un pote. Il nous raconte que d’habitude Calais est une ville très tranquille, avec quasiment pas de flic ; que là ils ont monté une véritable psychose contre nous, en nous traitant de barbares, de sauvages casseurs, etc. Il dit que lui, pour sa part, soutient totalement les No Border, qu’il suit les activités du camp et vient de temps en temps nous voir ; et d’ailleurs il s’est fait contrôlé pendant 1/2h avec sa femme pour cela et s’est pris la tête avec un flic. Il continue en disant que ce sont les flics qui incitent à la violence et provoquent bêtement. Que leur dispositif est absurde et insensé. On parle
un peu de l’OTAN. Il blague et peste contre les flics, l’Etat-policier et Sarko, contre les interdictions de manifester, etc. Dans le bus, sur le trajet, il nous raconte (bien qu’on le savait déjà) que normalement, il devrait nous dénoncer, que les chauffeurs de bus ont eu ordre d’appuyer deux fois sur un bouton pour signaler qu’ils transportent des No Border, et trois fois si ces derniers sont suspectés de partir en manif ou en action. Mais il a résolument choisi de désobéir, s’est même engueulé avec son patron pour cela.

Cette discussion spontanée et authentique fait partie de ces choses positives, de ces victoires politiques contre l’Empire et la répression, de camps altermondialistes comme celui de No Border.

Dans le bus, les gens nous regardent, nous remarquent et nous repèrent comme des No Border. Un type nous regarde avec un effrayant regard de haine. Des adolescentes nous dévisagent avec curiosité, comme des bêtes exotiques de zoo. Plus aucun sourire de sympathie, mais de la haine ou de la crainte. De la curiosité aussi. Voilà où le régime fasciste nous a plongé. On sort du bus devant le Théâtre : -bonne chance et faites gaffe, nous souffle une dernière fois le chauffeur de bus complice.

Dehors, devant le théâtre, au boulevard Lafayette, beaucoup de monde, c’est la20rue commerçante. Les gens consomment, la tête pleine de soucis et les yeux baissés, résignés. Ça me frappe beaucoup : le voilà, l’ordre public. L’Empire en pleine santé. Le régime aussi…Car à peines avons fait quelques pas qu’on bifurque aussitôt : une patrouille de deux CRS avec un chien au carrefour.

C’est là que je fais la remarque à M. de l’incroyable de la situation : on en vient à faire des techniques et stratégies commandos pour faire un…tractage en ville.

Méfiance, nos sens se sont affinés, nous avons des réflexes et réagissons mécaniquement à la moindre sirène, à la vue du moindre uniforme, nous nous sentons traqués, surveillés, nous devenons logiquement paranos. Nos yeux sillonnent de long en large la rue avant qu’on s’y engage. On évite les patrouilles. Comme des juifs en 1942 dans la France occupée…Des cars passent, sans arrêt. Ils sont partout. On va dans un bar pour faire le point sur la carte.

Dans le bar. Il est 15h40. Soudain, on voit de l’intérieur 6 cars de CRS dévaler dans le boulevard à toute allure, sirènes hurlantes. Puis un autre convoi de 4 cars de CRS avec remorques grilles antiémeute. On est repéré. Ils savent qu’on va agir au centre-ville. Il y a très certainement plusieurs tau
pes et indics infiltrés dans le camp au compte des flics. On va changer de vêtements dans les toilettes.

15h50, on quitte le bar. On descend le boulevard jusqu’à la prochaine à droite, qui donne sur la place crève-cœur. Un hélicoptère survole la ville et les flics sont de plus en plus présents. On va dans une boutique acheter un ballon. On est invisible avec un sachet de consommateur à la main. On arrive à la place crève-cœur, personne sinon une bagnole banalisée avec des flics en uniforme dedans qui tourne. On se met à la terrasse d’un café. L’hélico tourne. La bagnole s’en va. Pas de flics ici. Ils savent qu’on est là, mais pas où on se retrouve.

Et, petit à petit, les camarades sortent de l’ombre, surgissent des ruelles sombres. Il est 16h00. On y va à notre tour. On est une quarantaine à se rassembler. On commence déjà à distribuer les tracts et nos journaux. On déploie la banderole NO BORDER NO NATION. Les flics nous ont repérés, des cars se postent sur l’arrière de la place. 16h05. On y va, cette fois on fonce. On prend une petite ruelle à gauche et on débouche sur le grand boulevard Lafayette en scandant haut et fort NO BORDER NO NATION STOP DEPORTATION. Un flic en civil parmi nous, mais on le remarque trop tard. En débouchant sur=2
0le boulevard, on voit que les CRS ont bloqué les rues latérales. On les ignore. On avance très rapidement, on crie de plus en plus fort. Les autres tractent. On avance en plein milieu du boulevard. On dirait que tout se passe bien. Soudain, un cri d’un camarade : « attention, ils chargent ! ». On se retourne, et on les voit : plusieurs cars de CRS d’où sortent une armée de flics qui nous chargent à toute allure, sans sommation, ils sont cagoulés, matraques à la main et petits boucliers carrés de combat au bras. On court. Entre les voitures, entre les motos. On court. La BAC surgit de tous les côtés. On court. On se retourne, ont voit les flics s’approcher, un camarade reçoit un coup de matraque par derrière en pleine course. On court. L’hélico, au-dessus de nous, fait du rase-motte. On court. Des cris. On court. Deux camarades devant les autres, toujours la banderole en main, se font violemment prendre par les BACceux. On court. Des sirènes. On court. Des gyrophares. On court. L’hélico. On court. Je vois un camarade à terre, deux flics sur lui. On court. Ils sont là. On court. Je les vois. On court. Ils sont là. On court. Un énorme barrage de CRS qui barre le boulevard devant nous, alignés, boucliers serrés. Un calcul très rapide se fait dans ma tête : en civil, quartier qu
adrillé, pas d’échappatoire, sont partout, arrestations de ceux en noir, avons déjà perdu. Ok. Je m’arrête, fait volte-face, et marche tranquillement, en sens inverse. J’ai un Tshirt blanc, ni capuche ni casquette noire. Je m’avance d’un pas tranquille, l’œil apparemment étonné : je fais le touriste. Deux gars de la BAC courent et me doublent, brassard orange POLICE au bras, et flashball à la main. D’autres BACceux surgissent ensuite, casqués et armés, toujours, de flashball. J’entends des chiens. Depuis mon volte-face, je sais que le seul moyen de m’en sortir est de me réfugier dans un commerce. Une bijouterie ? Non. Je vois alors un salon de coiffure avec trois vieilles dont une avec encore les bigoudis dans les cheveux. Je m’arrête devant elles alors qu’un flic me montre du doigt et leur demande, jouant l’innocent : « qu’est-ce qui se passe ? – on ne sait pas, des No Border on dirait, répond la responsable. –Si vous avez peur, vous pouvez rentrer, dit la cliente aux bigoudis. –j’avoue que… » et hop, je me retrouve dans le magasin. Les femmes commentent : « bon sang, c’est horrible, regardez comme celui-là se fait matraquer. –mais qu’est-ce qu’ils voulaient ? » « Juste tracter… », réponds-je, la voix grave. Car je vois effectivement les deux camarades de L…, surtout un se faire tirer par les Bacceux, matraques sous la gorge, avec des petits coups dans les côtes et dans les jambes alors qu’ils se débattent avant d’être projetés contre le mur. En entendant cela, la cliente comprend aussitôt et me souffle : « cachez-vous à l’arrière, dans la cour intérieure. On est avec vous. » Je m’exécute aussitôt en la remerciant, tandis que la cliente demande avec un sourire à la responsable : « vous n’avez toujours pas compris ? –bien sûr, oui. Vous avez raison, il faut le cacher. » En quittant la pièce, j’entends derrière moi : « et bien sûr, s’ils demandent, on n’a rien vu. » Dans la cour du pâté de maison. Verdure, gravats, garage au fond, arbres. L’hélico est en stationnaire juste au-dessus. La scène fut très rapide, et le retournement de situation très brutal. Pour combien de temps suis-je coincé ici ? Les camarades de mon groupe se sont-ils fait arrêter ? Y a-t-il des blessés ?

Tout ça pour distribuer quelques tracts… L’hélico est toujours là. Je retourne prudemment dans le salon de coiffure mais les petites vieilles me lancent « restez caché, ils sont partout, il y a des chiens. Ils fouillent les commerces. On vous d
ira. »

Je retourne me cacher dans la cour. Un homme sur son balcon me regarde bizarrement. Je me cache derrière un arbre. Complicité ou délation, tout est possible.

Je reste ainsi caché plus d’1/2h. Finalement, je rentre à nouveau dans le commerce où se produit une scène intéressante : deux adolescentes sont rentrées. D’un côté, les braves femmes qui continuent d’aider, donnent des indications pour le bus le plus proche et, tellement choquées et indignées par la répression, me demandent « mais enfin, au juste, c’est quoi ce No Border ? je n’ai toujours pas compris ». Je constate avec joie que mes explications les intéressent énormément et elles se mettent à pester contre l’Etat-Policier. Parallèlement, ce qui est très bizarre, les deux adolescentes ont des regards de terreur et d’effroi. La propagande d’Etat a fait de nous des parias, des « terroristes », par rapport à quoi ne sont possibles que la complicité ou la délation.

A la station de bus où j’attends celui qui me ramènera au Camp, les commentaires font rage : « moi, je vais vous dire, je me sentirais bien mieux s’il y avait autant de CRS tout les jours », « c’était des casseurs, des salopards qui voulaient ravager notre ville, heureusement que la police est là et efficace », « si ça ne tenait qu’à moi, ces No Border iraient tous en prison », etc etc. Horrible.

Le soir au Camp, les témoignages affluent auprès de la Legal Team. Il y eut une grosse vingtaine d’arrestations. La plupart seront relâchés par la suite. Seul un camarade aura des ennuis pour rébellion.

>VENDREDI 26 JUIN 2009 : BLOCAGE DE LA ROCADE ET REPRESSION

5h30 du matin : alerte sur le camp. Les camarades de la Security Team (équipes de rondes nocturnes anti-flics et antifascistes, avec talkies-walkies) gueulent et font le tour des tentes : les flics font une attaque-surprise. Tout le monde se réveille aussitôt et part logiquement à l’entrée principale, cagoulés, prêts à toutes les éventualités. Finalement, très vite, un nouveau mot d’ordre circule : « fausse alerte, vous pouvez vous recoucher ! No police, no police ! ». Nous saurons par la suite que les flics ont quand même infiltrés le camp sur le côté nord, pour courser un migrant. Des camarades ont contre-attaqué, refoulant les flics et dressant quelques petites barricades pour les tenir en respect. Les provocations policières ne cesseront pas, ils sont dans une logique d’affrontement pour pouvoir avoir le moindre prétexte à réprimer et arrêter. Par la suite, ils se mettront sur une bretelle de la r
ocade et braqueront plusieurs gros projecteurs sur le camp.

Une nouvelle journée commence, le climat de tension avec la police ne fera que s’accroître. La seule zone libérée de l’oppression policière sera le camp, tout le monde s’en rendra compte.

La journée s’écoule lentement, et beaucoup d’activistes agacés du manque d’initiatives reprennent les réunions informelles d’action, bien plus prudemment et secrètement, étant donné l’échec du tractage en ville, assigné à des flics infiltrés mis au courant prématurément. La réunion s’interrompt pour vérifier que chaque nouvel arrivant est connu par au moins deux camarades déjà présents.

Or, c’est déjà la troisième ou quatrième réunion en deux jours sur la même action, et on commence à douter nous-mêmes de sa réalisabilité : une action trop calculée ne fonctionne pas. Soudain, on apprend la nouvelle trouvaille de la volaille en uniforme : interdiction stricte de sortir du camp. La flicaille autorise d’entrer dans le camp mais interdit rigoureusement d’en sortir, les barrages et check-point policiers sont plus lourds et consolidés. Nouvelle provocation de leur part ? A n’en pas douter.

Aussitôt, plusieurs dizaines de camarades sortent du camp au niveau de l’entrée après qu
’on ait appris que des jeunes du quartier local ont repoussés les flics à coups de projectile. Quand on arrive, effectivement, les flics sont en train d’abandonner leur position…pour revenir un peu plus tard bien plus en force. CRS et gendarmes mobiles s’alignent, ainsi que des BACceux, boucliers en main, casqués, flashball et fusils à grenade bien visibles. Des cars viennent renforcer leurs lignes en se positionnant derrière. Ils sont là, nombreux, prêts à tirer, prêts à charger. Comme ça, sans réelle raison. De notre côté, on en a assez, nous sommes nombreux à penser qu’il faut se réapproprier la rue et le secteur, libérer les accès du camp, dégager les flics une bonne fois pour toute qui ne font que nous provoquer et instaurer une pression, une terreur autour du camp. Une banderole est détachée et un Block se constitue derrière. Mais nous ne sommes pas assez nombreux, déconcertés du manque de réaction de la majorité des camarades du camp. Nous sommes moins d’une centaine, et allons chercher d’autres camarades. S’ensuit un face-à-face tendu qui durera plus d’une heure trente.

De vifs débats s’animent dans nos rangs : deux-trois camarades s’efforcent de négocier, de calmer le jeu et d’éviter un affrontement qui serait fatal au camp. Ils vont tan
tôt voir les flics puis viennent nous voir. Pendant ce temps, d’autres camarades partisans de l’érection de barricades pour prévenir toute attaque subite des flics commencent à entasser des éléments de chantier, barrières, plots et autres objets trouvés sur le tas tandis que des pierres et des bouteilles sont discrètement cachées et regroupées dans les buissons près de la banderole.

Les « négociants » improvisés nous rapportent la position des flics : les flics ne dégageront pas tant que nous n’aurons pas nous-mêmes évacués la « voie publique » avec la banderole ; de notre côté on refuse de partir tant que les flics ne lèveront pas leurs lignes. Situation un peu absurde où les deux camps ne se font pas confiance. Le face-à-face continue, silencieux, tendu, chacun attendant le premier coup de l’autre pour riposter. Personne n’ose rompre ses lignes tant que l’ennemi ne l’aura pas fait.

Bien sûr, ce sont les flics qui sont dans leur tort, par une provocation de plus à travers la décision arbitraire de couper les accès au camp et y enfermer les activistes et militants. Finalement, chacun reculera et évacuera sa position progressivement : les flics font le premier pas en faisant reculer une de leurs lignes. On fait pareil. Et petit à petit, chacun évacue=2
0ses positions. Ceci bien que les débats restent vifs parmi nous : pourquoi raisonner en termes de « voie publique » ? C’est à nous de nous réapproprier la rue (All Streets, our Streets ! / la rue nous appartient ! / etc. parmi les quelques slogans de circonstances pour la situation) et d’étendre notre zone autonome temporaire si on le juge nécessaire, au besoin en érigeant des barricades de défense et en installant des avant-postes de défense (comme ce fut le cas pour le Campement anti-OTAN), surtout quand on voit l’agressivité manifeste des flics.

Il n’y aura pas de barricade et on laissera la rue « libre voie publique ». Quelques jeunes du quartier, en mal d’affrontements, iront provoquer la BAC et brûler quelques poubelles. La police, quand à elle, promet de libérer à nouveau le passage. Une fois de plus, quel poids donner à la parole d’un flic qui la transgresse sans arrêt ?

Il est déjà plus de 17h, tandis que la réunion subitement interrompue reprendra à 18h, beaucoup se pressent d’aller au magasin Carrefour (qui ne subira pas d’opération auto-réduction) pour faire les courses tant que les flics sont obligés de tenir leur « parole ».

Pour la petite anecdote personnelle, mais significative politiquement : En sortant du Carrefour, on demande du feu pour la c
lope à un petit snack qui nous l’offre volontiers avec un sourire complice. Puis nous passons devant une station de bus où, à l’inverse, une femme et son enfant nous voient, en noir, avec nos lunettes de soleil et casquette. La mère, les yeux soudain apeurés, prend instinctivement sa fille dans ses bras et la rapproche d’elle. Je lui dis bonjour en passant, elle ne répond pas, presque terrorisée. L’enfant ne comprend pas. Cette scène nous a fait terriblement mal au cœur. M. a remarqué aussi, et on se met à questionner tout cela : à force d’être traités comme des barbares, des sauvages attardés, on finit nous-mêmes par assimiler cela, à être comme des lépreux dont la condition est d’être traqués par les flics et fuis par les gens « normaux ». Nous ne sommes plus de leur monde. Et c’est un problème car, là précisément par exemple, on le subit. Victoire politique de la propagande d’Etat dont le bourrage de crâne totalitaire fut terriblement efficace. Et, effectivement, nous finissons nous-mêmes par assimiler cela : nous sommes une espèce à part, nous ne sommes pas des êtres humains, nous sommes des gens dangereux. Une séparation de plus dans la réalité spectaculaire ?

Nous arrivons au rond-point, nous sommes encore en train de discuter justement20de ça avec M. lorsque des portières claquent bruyamment et des voix haineuses retentissent :
ne bougez plus, vous deux.

Quatre énormes types crânes rasés s’approchent de nous, en civil, ils sont hostiles et on met quelques secondes à comprendre : la BAC. Il est inutile ici de narrer dans le détail l’effroyable agressivité des BACceux fachos aux visages tordus par la haine. A préciser juste que s’ils n’ont pas même jeté un œil sur nos papiers d’identité, ils ont en revanche tout fouillé, vidé le portefeuille, scrutés attentivement le moindre document, nos portables avec nos messages et nos photos, le tout sur un fond d’interrogatoire politique précis, joueur et malsain, illustré de blagues racistes et xénophobes. Un type qui passait là sur le trottoir, choqué du traitement qu’ils nous infligent, s’arrête et se met à regarder fixement la scène, hésitant à intervenir : il se fait violemment écarter par un des BACceux qui le menace de l’embarquer s’il n’est pas content. Idem pour un jeune à sa fenêtre au rez-de-chaussée d’une maison à quelques mètres de là, il se fait insulté par les flics qui finissent par nous relâcher en lâchant : « j’espère qu’on pourra vous défoncer la gueule, demain. Vous ferez moins20les malins avec vos cagoules que tout à l’heure, connards. »

**

Voilà deux jours à présent que l’on parle de cette fameuse action autoroute. A peine rentrés au camp, on apprend que les activistes sont à nouveau réunis à ce sujet. Etant donné la longueur à se décider, plusieurs n’y croient plus, mais finalement une camarade vient prévenir que l’action va se faire, ça y est, dans 1/4h-20mn. Mais les conditions de l’action font douter plusieurs camarades : pas de barricade matérielle, juste un barrage humain une fois que les voitures escargots auront ralenti puis stoppés le trafic. Résistance passive, avec l’assurance pour tous de se faire arrêter. Certains considèrent cela comme une action-suicide ou action-martyr, et sont plutôt réticents. Pourtant, lorsque 30mn plus tard, les voitures ont faire leur œuvre et que les camarades (une 30aine) investissent l’autoroute, tous ne peuvent s’empêcher de foncer. On saute au-dessus de la fosse et escalade jusqu’à la rocade E15.

Soudain, un cri : « ils sont là ! ». Scène étrange : seuls 7 gendarmes mobiles s’avancent par l’arrière, marchent rapidement, sans bouclier, justes armés de matraques et flashball. S’ils sont déterminés à en découdre, ils ne sont effectivement pas nombreux pour le coup. Soudain, ils se mettent à charger. Tout le monde reflue en dévalant la pente pour se retrancher au camp tandis qu’une autre escouade de camarades (une 40aine) viennent en renfort par le bas.

Tout s’accélère. Une deuxième ligne de gendarmes charge sur la rocade. Les camarades qui descendent rapidement de l’autoroute jusqu’au camp se font soudain tirer dessus à bout portant. Flashball. De l’autre côté en contre-bas, les premières pierres et bouteilles volent. Deuxième salve, plus violente. Les grenades lacrymos explosent un peu partout, ainsi que des grenades assourdissantes. Une grosse partie du camp vient en renfort. Les CRS arrivent en masse sur l’autoroute.

Les CRS et gendarmes tirent sans arrêt, grenades lacrymos et assourdissantes, ainsi que les tirs de flashball se multiplient. Un nuage de gaz recouvre cette partie du camp. De nombreuses cannettes volent également. Des pacifistes viennent nous engueuler : « arrêtez tout de suite ! pensez aux migrants ! bandes de cons, vous mettez en danger les migrants ! ». Au même moment, alors que ça continue de tirer, une quarantaine de personnes viennent du milieu du camp, cagoulés par leurs Tshirt ou des foulards, l’œil dur, silencieux, calmes, des pierres et des bouteilles à la main. Soudain, ils se mettent tous à courir en jetant leurs projectiles en hurl
ant « NO BORDER ! » : ce sont les migrants. Magnifique scène.

Un camarade escalade un arbre et brandit le drapeau noir devant les lignes de flics qui continuent de canarder (un peu de romantisme dans le défi…). Une tente à droite commence à brûler, sous le coup d’une grenade. L’hélicoptère est de retour, des dizaines de cars de CRS et gendarmes remplissent la rocade, on apprend qu’ils encerclent tout le camp.

Une nouvelle salve, des détonations, du gaz, des cannettes, et puis, tout à coup, plus rien. Silence. L’affrontement fut bref, mais dense, d’une grosse quinzaine de minutes à peine. Et brusquement, plus personne ne tire, attendant l’attaque de l’autre pour riposter.

S’ensuit alors près de deux heures de face à face tendu, cagoulés contre casqués, dans un silence inquiétant. L’air est tendu, un moindre écart et l’affrontement reprendra, bien plus direct. Les flics sont à présents plusieurs centaines sur l’autoroute. De très nombreux BACceux, flashball en main, n’attendent qu’un ordre pour tirer.

Cette action, qui semblait impossible car initiée par une quarantaine de camarades à peine, suicidaire et impertinente par un blocage trop éphémère de la rocade, s’annonce finalement être une grande victoire politique : pas de blessés ;=2
0pas d’interpellés : et le flux marchand est bloqué pendant plus de deux heures par les flics eux-mêmes qui font le boulot à notre place ( !).

Au bout du compte, quand les flics évacuent enfin les lieux, têtes baissées, et que le trafic du Grand Capital reprend, tous les poids lourds qui passent sur la rocade klaxonnent fortement, tous en chœur, en nous saluant ou en levant le poing de leur fenêtre. C’est beau. Une grande défaite pour la police. Une victoire politique certaine pour nous.

**

Etait-ce ce soir là ? Lors d’une grande fête au Camp avec un grand nombre de migrants, en fin de soirée de grosses bagarres finissent par éclater entre eux. Impossible de les calmer. La bagarre dégénère et s’amplifie, des coups de lames sont échangés, faisant trois blessés dont un grave avec une large entaille au-dessus du cœur. Un enfant migrant nous explique : c’est une question territoriale, les kurdes ont dit que c’était « leur » terrain et que les afghans devaient dégager, d’où la rixe. Nous sommes soudain rattrapés par la réalité sociale, et nos beaux discours « No Border » en prennent un coup. Le blessé le plus grave va voir les flics qui appellent l’ambulance.

**

Des groupes vont taguer tous les grands panneaux d’autoroute de la rocade et les recouvrir d’inscriptions No Border.

**

Dans la nuit du vendredi au samedi, vers 4h du matin, les flics (des BACceux, semble-t-il) tentent d’infiltrer le camp sur le côté ouest, par les hautes herbes. Des camarades les repèrent. S’ensuit un échange musclé mais bref de grenades lacrymos et assourdissantes contre lancés de projectiles pierres et bouteilles. Les flics refluent. Quelle est l’intérêt d’une telle attaque de leur part ? Aucune sinon la mise sous tension, la provocation et la volonté d’affrontement la veille de la grande manif. Il est certain que la police veut à tout prix que la grande manif du samedi se solde par des affrontements, c’est une volonté politique de leur part, afin de justifier un dispositif ahurissant, une propagande harcelante et surtout pouvoir opérer à de multiples arrestations arbitraires.

>SAMEDI 27 JUIN 2009 : MANIF TENDUE.

Vidéo du cortège No Border : http://www.dailymotion.com/video/x9pfp2_manifestation-n…_news

Beaucoup de débats politiques importants ont émaillé la préparation de cette fameuse et tant attendue manif. Tout d’abord, la jonction avec les migrants, et qui n’aura finalement pas lieu. La police a fait une telle pression, une telle terreur dans les jungles que les migrants n’osent pas en sortir pour rejoindre la manif. Or
, une manif No Border sans la présence des migrants est absurde, cela insinue qu’on se bat pour eux et non avec eux, et qu’on accepte les conditions tolérées de la contestation aux yeux de l’Etat tout en se résignant à la situation de fait (à savoir ici, les jungles-ghettos). Des idées furent émises d’aller en cortège sauvage vers les jungles avant de se rendre au point de départ de la manif, car beaucoup de migrants veulent malgré tout nous rejoindre. Des orgas ne voulaient pas voir de visages masqués pendant la manif, ni d’action, toujours au prétexte de la sécurité des migrants ; alors que ces derniers n’attendent que la possibilité de faire voir au plus grand nombre leur situation dramatique par des actions illustratives puisqu’enfin, ils ont possibilité d’avoir davantage de poids dans le rapport de force. Et ils savent que nous ne sommes que de passage… S’il est vrai que la présence et la force policière sont à prendre en compte, cela ne doit pas empêcher l’idée que nous ne sommes là pour nous donner bonne conscience, être spectateurs d’une situation politique locale mais au contraire acteurs.

C’est comme de la basique détermination à maintenir coûte que coûte l’objectif de manifester en centre-ville plutôt que de se faire balader =0
Apar les flics dans des zones industrielles abandonnées, loin de tout, dans une zone « sécurisée », « autorisée », banalisée, sans cible politique, sans écho politique. Or, le défilé acceptera ce parcours insensé et humiliant, ceci encore dans la hantise de la moindre répression. Manifester à genoux…

Un grand nombre de No Border considèrent cette journée comme un échec politique cuisant : nous n’avons pas réussi à faire la jonction avec les migrants qui sont restés cloisonnés et encerclés par les flics ; nous nous sommes résignés au parcours autorisé par les flics dans des zones inhabitées, le long de la mer, dans des zones industrielles désertes, loin de la population et de toute subversion possible ; le côté paternaliste insupportable des orgas, essentiellement le NPA, qui « remercie » tacitement les autonomes d’être « restés responsables » et de « ne pas avoir répondu aux provocations », se félicitant d’une manif qui restera sans écho, vide, mise en quarantaine.

Pour tous ces paternalistes, nous répondrons en citant les écrits d’un prof engagé : « ce qui révèle le mieux l’impuissance de la manif légale, c’est son acceptation d’un parcours imposé. Déjà vaincue avant même d’avoir dé
marré, elle reconnaît ainsi que la rue appartient à l’Etat, qui lui concède généreusement le droit d’y déambuler dans les limites qu’il a lui-même fixées. Car cette légalité à laquelle elle s’est assujettie est la loi du Pouvoir, l’un des instruments de contrôle qui lui permettent de quadriller le territoire et de museler toute résistance. » Il y a ceux qui l’acceptent, il y a ceux qui tentent de créer de l’incontrôlable… Cette manif résonnait par son impuissance, ses yeux fuyants devant les grilles anti-émeute et les centaines de boucliers et matraques prêts à frapper. Quand refuserons-nous tous, solidairement, d’être du bétail à protestation légale ?

** Mais reprenons les choses à leur commencement. Le départ de la manif était fixé à 10h au phare.

Il y eut deux tendances pour s’y rendre : en cortège groupé ou en petits groupes isolés. Après de longues et stériles engueulades, on finit par convenir que chacun faisait selon ce qu’il jugeait le plus juste.

9h, il y a donc un départ groupé du camp en un cortège No Border essentiellement composé d’autonomes, mais d’à peine 200 personnes.

A peine sortis du camp sous l’œil livide de l’hélico, nous n’avons pas fait 5
00m que nous sommes bloqués par un imposant barrage policier avec cars, grilles anti-émeute, lignes de CRS, gendarmes mobiles, BACceux équipés de tous les fusils et lance-grenades possibles.

Nous hésitons à leur rentrer dedans en lignes serrées, à refuser ce quadrillage provocateur. Mais finalement, étant donné le rapport de force, nous nous résignons à l’impensable : nous acceptons d’être filtrés deux par deux avec fouille au corps et fouille des sacs. La tension monte. Cette omniprésence policière et de la menace répressive est insupportable.

Nous nous mettons enfin en route, très encadrés par les flics qui craignent qu’on tente d’aller au centre-ville. A plusieurs reprises, nous butons sur d’énormes barrages de police anti-émeute qui nous détournent dans des petits chemins et provoquent un large détour.

A un virage, on voit soudain plusieurs cars de gendarmes mobiles nous foncer dessus à toute allure, les portières claquent, les matraques se brandissent. Nous courons, en cortège. Puis nous stoppons : devant nous, des rangs serrés de CRS et gendarmes mobiles en armes. Cette fois, on en a assez, et on tente de passer en force, on charge en bloc. Les matraques frappent durement les premières lignes. Face-à-face au corps à corps très tendu. On ne passera pas.

Il en sera ainsi tout l
e long, surtout avant et après manif où le NPA nous abandonnera, sans surprise, entre les centaines de matraques qui démangent les rapaces en uniforme.

C’est là qu’on apprend que ces abrutis de flics se sont trompés en détournant le cortège et nous mènent droit…vers le centre-ville ! On fait demi-tour et on rejoint enfin le point de départ au phare, sous les acclamations de tous les camarades déjà présents. Quelques calaisiens nous regarde, de loin.

La grande manif rassemblera environ 1200-1500 personnes, quadrillée par…4000 flics ! Longue manif sous le soleil de midi, où l’on passe par des zones inhabitées sinon par des lignes de flics, silencieuses mais là. Quand nous finissons par revenir vers le port, nous passons devant un déploiement policier étrangement volumineux : de grandes grilles et murs anti-émeute, blindé canon à eau, cars et des centaines de flics armés de fusil. Sans raison… On les regarde, impuissants, pris peut-être par un vertige de voir tant de flics avec le nombre qu’on est. On accroche la banderole « nous danserons sur vos cendres de rétention » sur le mur-frontière de police. Quelques pierres sont jetées en leur direction, mais on comprend qu’il n’y a rien à faire.

A la fin de la manif, c’est un déluge de discours d’abo
rd auto-satisfaits de la pseudo-manif et paternalistes. Puis ce sont des témoignages, plus pertinents, de la situation des migrants ; des analyses politiques en lien avec la crise économique, etc. Petite anecdote qui en dit long : quand un type du NPA se félicite que les autonomes (qu’ils ne nomment pas directement comme tels) n’aient provoqué aucun incident, ces derniers scandent spontanément en chœur « Li, Li, Liberta, Anarchia total ! », comme pour dire « on n’a pas besoin de toi pour savoir ce qui est politiquement juste à telle ou telle situation ». Seuls des camarades de la CNT évoquent ouvertement les difficultés que nous avons eu pour rejoindre le point de départ et se proposent de nous « raccompagner » au camp. Effectivement, l’absurdité de la répression continue de plus belle ! Fin de manif rimant en général avec « incontrôlés refusant de se disperser », quand les No Border reprennent le chemin pour revenir au camp, ils se retrouvent soudain hermétiquement piégés par plusieurs centaines de flics en armes qui bouchent tout les accès. On ne comprend pas, on se regarde entre nous : cherchent-ils l’affrontement gratuit ? Si de notre côté, nous ressentons une déception par le manque de rapport de force pour effectuer telle ou telle action politique, eux sont juste frustrés20
de ne pas avoir « cassé du rouge » et cherchent la bagarre pour le plaisir de la bagarre. Les BACceux sont les plus nerveux, faisant tourner la matraque et nous montrant du doigt. Grotesque. Pitoyable. Evidemment, pas un seul d’entre nous ne songe à provoquer un quelconque affrontement qui s’avèrerait ici tout à fait inutile et non politique.

Quand on constate que le seul accès libre est celui qui nous contraint à un long détour avant d’arriver enfin au camp, on se résigne à l’emprunter, en cortège.

Toutefois, ça se corse quand on passe devant un LIDL. Terrassés par le soleil, la chaleur et la fatigue, une centaine d’entre nous veulent se procurer à manger et à boire. On ne sait pas trop si ça tourne en auto-réduction sauvage mais toujours est-il que les vigils finissent par nous refouler, ferment les grilles et les BACceux se rapprochent de nous sur le flanc avec leurs flingues tandis que les CRS renforcent leurs lignes à l’arrière. Soudain, une vitrine subit un jet de pavé, c’est une vitrine de boucherie qui reçoit la colère d’une camarade vegan.

Sur le chemin du retour, encore trois anecdotes : Une sorte de canal nous sépare des flics, nous sommes sur la rive gauche et eux sur la rive droite. On ne voit qu’une centaine de bagnoles garées tout le lo
ng de la rue. Soudain, un pare-brise explose et des centaines de BACceux sortent de leurs caisses, guns en main et l’œil à l’affut. On rigole : on n’y est pour rien, c’est un gars qui habite dans une tour qui a jeté un projectile de sa fenêtre sur une caisse garée au pied de son bâtiment.

Puis nous passons devant le supermarché Carrefour. Pour lui, rien à signaler. Par contre, le petit Mac Donald à proximité est protégée par une bonne soixante de CRS alignés. Quelle belle image que le capitalisme répressif… !

Enfin, nous passons devant une grande piscine de quartier, et tous retiendrons ces enfants en maillots de bain derrière les grillages, nous crier au loin, pleins de rage solidaire :

-Ne partez pas !
-No Border ! No Border ! (ils scandent)
-Défoncez les keufs !
-Cramez tout !
-ne nous laissez pas !
-No Border, No Nation !

* * * CONCLUSION Bilan de la semaine : pas de blessé, mais 70 arrestations, 2 à 6 personnes sont convoqués par la justice bourgeoise pour « rébellion » et « détention d’armes ». Pas d’incident majeur.

Politiquement, les analyses et conclusions divergent et font débat : d’une part, le Camp en lui-même fut une réussite, très animé, très politique, et a surtout permis a des gens qui s’éviten
t de coutume de se rencontrer (la population avec les migrants, le centre-ville avec le quartier, les migrants entre eux, etc.) ; malgré les 4000 flics qui ont instauré une terreur jamais vue à Calais, quelques actions intéressantes ont été tenté, prouvant notre détermination à les défier. D’un autre côté, la manif fut sans écho, presque inutile, et la population restera en grande majorité coupée de nous. Si les flics peuvent vanter leur dispositif comme ce qui a permet d’éviter les incidents, ils sont également victimes de leur propagande puisque les calaisiens finissent par se rendre compte qu’ils n’ont eut pour dégât que la psychose instaurée par l’Etat.

Guitoto.

>>>>>>> Cependant, en ce qui concerne les migrants, la situation se dégrade considérablement… Voici des articles de l’AFP :

A Calais, l’éradication de la « jungle » se prépare déjà CALAIS (PAS-DE-CALAIS) ENVOYÉES SPÉCIALES Début juin, au no 5 de la rue de Vicq, à deux pas de l’hôtel de ville, le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies (HCR) et l’association France Terre d’asile (FTDA) ont ouvert un bureau… presque incognito : à la demande de la mairie de Calais, soucieuse d’éviter que des groupes de migrants se forment dans la rue, il n’y a
ni nom ni sigle sur la porte. On y travaille, mais on n’y reçoit pas.

L’arrivée du HCR coïncide avec la promesse faite, le 23 avril, par le ministre de l’immigration, Eric Besson, de « démanteler » et « faire disparaître », d’ici à la fin de l’année, ce vaste campement informel – que les migrants appellent la « jungle » – où s’entassent, à la lisière de la ville, entre six cents et huit cents migrants – originaires d’Afghanistan pour l’essentiel. D’autres « jungles » de plus petite taille, et parfois des squats, existent autour de Calais comme sur toute la côte française et belge, où l’on rencontre aussi des Erythréens, des Irakiens, des Soudanais et des Iraniens… toutes personnes susceptibles de demander l’asile, mais confrontées « à un manque notoire d’informations sur la procédure en France » : c’est ce que relevait, il y a un an, la Coordination française pour le droit d’asile, dans une étude de référence, La Loi des « jungles ».

« INFORMER LES MIGRANTS » Ce manque d’informations serait-il en passe d’être comblé ? Après une prise de contacts avec les institutions et les associations calaisiennes, une première équipe mixte, formée d’experts du HCR et de FTDA, a commencé à sillonner le littoral, de Loon-Plage à Grande-Synthe (pr
ès de Dunkerque), en passant par la petite « jungle » de Norrent-Fontes (près de Béthune) et celles de Calais. L’idée est d’ »informer et de sensibiliser les migrants » sur la question du droit d’asile, explique l’envoyée du HCR, Marie-Noëlle Thérode, qui se félicite du « feu vert » accordé à cette mission d’information. Pour l’heure, seul le Secours catholique calaisien est habilité à domicilier les migrants – formalité indispensable pour pouvoir déposer une demande d’asile. La sous-préfecture de Calais, où un « guichet-asile » a été installé fin mai, indique que cent quatorze migrants – majoritairement des Africains – ont été reçus en un peu plus d’un mois. Vingt d’entre eux ont obtenu une autorisation provisoire de séjour, parmi lesquels « dix-huit ont été placés en Centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA), hors du département du Pas-de-Calais », précise le sous-préfet de Calais, Gérard Gavory. Autre moyen utilisé pour réduire le nombre des migrants : l’incitation au « retour volontaire » dans le pays d’origine, par des aides financières à la « réinsertion ». Ce dispositif, piloté par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), marche « du feu de Dieu », se réjouit-on à la sous-préfecture : en un mois, vingt-neuf dossiers de « re
tour volontaire » ont pu être établis – vingt pour l’Irak, six pour l’Afghanistan et trois pour l’Iran. Des « retours forcés », il y en aura aussi. « Ne serait-ce que pour envoyer un signal fort aux passeurs que la frontière ne peut plus être franchie depuis Calais », justifie-t-on dans l’entourage du ministre Eric Besson. C’est d’ailleurs un des points-clés du renforcement de la coopération franco-britannique décidé au sommet bilatéral d’Evian, lundi 6 juillet. Les deux gouvernements se sont engagés à « augmenter de manière significative le nombre de retours forcés », par le biais de « programmes nationaux » et d’ »activités communes » « en fonction des besoins ». Cette entente pourrait ainsi déboucher sur l’organisation de « vols groupés » permettant de rapatrier des Afghans sans papiers notamment. Partant de Londres, ces vols feraient escale à Lille avant de gagner Bakou (Azerbaïdjan), puis Kaboul. Reste à savoir quand se produira l’évacuation en tant que telle de la « jungle ». « Nous espérons qu’ils ne vont pas précipiter le mouvement et nous laisser travailler. Car une réponse policière seule serait d’une totale inefficacité », relève Pierre Henri, de FTDA, qui craint comme tout le milieu associatif que l’administration n’organise l’opération au plus creux de l’été,=2
0quand tout le monde aura la tête en vacances. La maire (UMP) de Calais, Natacha Bouchart, sait elle-même qu’il ne suffira pas de « nettoyer la zone et la désinfecter » : il faudra aussi la « sécuriser », c’est-à-dire faire en sorte que les migrants « ne reviennent pas s’y installer ». Catherine Simon et Laetitia Van Eeckhout >>>>>>>>