La Bourse occupée puis vidée par des CRS.

Libération de la Bourse du travail de Paris, sous cette formule solennelle se cachait depuis août 1944 un événement fêté de plus en plus confidentiellement, pas n’importe quel événement, celui de la reprise par les militants de la Bourse fermée depuis le début de la défaite de 1940 et la dissolution des syndicats par le régime de Vichy. Une gerbe de fleurs, un discours généralement lu par un militant de la Cgt des Services Publics Parisiens, un pot du souvenir.

Depuis ce mercredi 24 juin 2009, le terme est repris par certains, usurpé diront d’autres… Edgar Fisson, maître de la Commission Administrative de la Bourse du travail, organe de direction de cet établissement géré par les syndicats est sous autorité de l’Hôtel de Ville, n’a pas hésité à rependre ce terme pour nommer la reprise de la Bourse aux sans papiers et l’organisation qui l’occupait grâce à une intervention conjointe ou concurrente d’un service d’ordre improvisé et de la police. Une cinquantaine de militants, une milice privée diront d’autres, triés sur le volet et 200 CRS, des dizaines de véhicules pour encercler le bâtiment historique des luttes ouvrières parisiennes, son annexe, construite entre deux guerre en plein développement du syndicalisme.

Revenons sur cet événement, l’Occupation de la Bourse. Ce n’est pas la première, une précédente occupation en 2008 avait duré trois mois, A l’initiative du pittoresque 9e collectif de sans papiers d’inspiration libertaire, cette occupation s’était soldée par une expulsion sans heurts à la veille de Pâques. Trois mois à ne rien négocier et presque rien échanger avec les syndicats mais à demander un engagement plus significatif des organisations syndicales sur la question des travailleurs sans papiers.

Cette expulsion avaient d’ailleurs un peu coûté en remise en question pour le collectif concerné.

La CGT et les sans papiers

Une remise en question sans doute un peu contagieuse, moins d’un an plus tard, l’Union Départementale CGT de Paris s’engageait brutalement et pratiquement sans débat interne et encore moins national sur la condition des salariés embauchés en parfaite connaissance de cause par des employeurs en besoin de main d’œuvre bon marché et malléable (enfin… plus que la moyenne).

Commençait alors une opération organisée et inattendue : des militants de l’Union Départementale « investissent » le restaurant la grande Armée et y restent quelques semaines dans des conditions déroutantes : militants des syndicats de Paris ou de banlieue, militants PCF mais pas seulement, interventions sporadiques de membres de l’association Droits Devant s’installent dans la terrasse couverte de l’établissement avec les cuistots sans papiers. À côté de cela, la clientèle se faufile et s’installe en salle et parfois avec la lutte en terrasse comme spectacle. On se partage du saucisson sous le regard en surplomb tantôt curieux, tantôt indifférent du client dégustant sa darne de saumon à la purée de brocolis.

Cette lutte se termine avec des régularisations et un premier coup de semonce au patronat concerné et à l’Etat. Mais c’est aussi un nouveau nom qui émerge de la CGT, les noms de grands dirigeants confédéraux sont connus, les noms de permanents confédéraux hors le sérail autorisé le sont moins.

Le premier, Raymond Chauveau, est un militant sorti de l’ombre, inconnu du public, sorti (dans tous les sens du terme ) de la RATP. Il se retrouve à la tête de cette lutte et ceci principalement de sa propre initiative au gré de contacts et d’engagements personnels sur la question.

Raymond n’est pas un militant PCF, il est un responsable du PCOF, Parti Communiste Ouvrier de France, confidentielle organisation maoïste française implantée dans le tiers-monde et ayant quelque peu construit son influence parmi des intellectuels africains en situation de travailleurs sans papiers à Paris comme en province.

Raymond jongle sur deux tableaux : pas dans le serail PCF tendance alliance avec le PS ni membre du PS en pleine conquête de la direction confédérale de la CGT. Il marche sur des oeufs. Car être permanent confédéral suppose des talents de diplomatie et des capacités à prévoir le risque de tomber en disgrâce. A la cinquantaine passée avec un long CV à la CGT, mieux vaut ne pas se retrouver au chômage…

Il a construit comme il a pu un appareil associatif et militant autour de la CGT avec l’association DROITS DEVANTS.

Raymond fait donc sa tache, il lutte pour les sans papiers comme on l’autorise à le faire. On ne bousculera pas l’appareil dans son ensemble, on soutient des luttes autorisées par les autorités confédérales, on marginalise les autres.

On s’est allié quelques temps plus tôt lors de l’action pour le restaurant la Grande Armée avec une association, elle a une caractéristique : elle s’occupe des sans papiers mais n’est pas dirigée par eux. Elle est piloté par le PS[1], il s’agit de DROITS DEVANT. Ce choix fera grincer dans les milieux de sans papiers qui se sentent mis a l’écart d’une lutte qui les concerne.

Au plan Confédéral, c’est Francine Blanche qui va réellement mener la barque, communiste et permanente confédérale, elle est dans la ligne et reprend les choses en main quand Raymond n’est plus en odeur de sainteté. Un dispositif de régularisation institué à la fois par la lutte et par les pratiques préfectorale va voir le jour.

On donne la priorité à certains travailleurs sans papiers, ceux répondant fidèlement à des critères aléatoires manipulés par la pratiques préfectorales locales : ici les intérimaires seront régularisables, là ils ne le seront pas. Ici les questions de vie privée et familiales seront prises en compte, là elles ne le seront pas… On mélange également les compétences territoriales : tantôt le lieu de résidence tantôt celui de l’entreprise qui emploie.

Ceci complique la tâche des militants qui se transforment en fins limiers de pratiques administratives diverses et complexes.

Pendant ce temps, la direction nationale de la Cgt évite le bras de fer avec l’Etat, on n’en a ni l’envie ni la force.

Aucun employeur ne sera inquiété ni poursuivi pour embauche de sans papier. Manifestement, l’époque d’une CGT qui fait peur par ses luttes est déjà lointaine, le rapport de force n’y est plus, d’ailleurs des employeurs appellent eux-même la CGT pour prévenir les difficultés et être aidés à la régularisation de leurs salariés.

L’Union Départementale de Paris est la plus engagée de toute dans cette affaire, Depuis la lutte du restaurant la Grande Armée, l’enthousiasme a saisi des militants, rappelé d’autres à des luttes qu’on avait souvent oubliées ou dont on rêvaient encore : on occupe des chantiers, des magasins, on se fait casser la gueule par des jeunes voyous d’extrème-droite à Paris 13e, des étudiants de l’Université de Tolbiac viennent soutenir la lutte ici et là. Retraités, jeunes, militants, voisins, étudiants se retrouvent le temps d’une lutte. Nul ne sait encore ce que deviendront ces rencontres.

Parallèlement, une autre histoire s’écrit : celles des organisations de sans papiers qui n’y trouvent pas leur compte.

Depuis des années, ayant abandonné le projet du syndicat partout et pour tout, la CGT s’est ouverte au fil des ans et au fil de sa perte d’influence, elle a des « partenaires », Droits Devant en l’occurrence, association tenant lieu d’organisation d’aide aux sans papiers, elle remplace simplement les vrais mouvements de sans papiers. Or depuis longtemps et notamment depuis 1991, le fameux campement de Vincennes qui vit émerger sans papier et sans logis dans une problématique commune, les collectifs se multiplient. Un d’entre eux se fait appeler la Coordination sans Papiers 75 ; elle dit regrouper 3 collectifs et décide d’occuper l’annexe de la Bourse du Travail où se logent entre autres l’Union Départementale de Paris.

Nous sommes le 2 mai 2008, au lendemain d’un premier mai historique en terme de mobilisation et impressionnant en ce qui concerne le nombre de travailleurs sans papiers venu soutenir et défiler avec la CGT de Paris …

On parle alors de la possibilité d’un grand mouvement national des sans papiers qui font tourner l’économie nationale et qui seraient peut-être un million dans le pays.

L’État et la préfecture ne voient pas cela d’un bon œil dit-on alors. La Cgt nationale se sentirait débordée. À l’Union Départementale, on ne voit rien venir, on s’emballe.

La Bourse est prise

La Coordination Sans Papier 75 dit venir à la Bourse du travail en y ayant été envoyée par la préfecture qui n’aurait pas voulu de ses mille dossiers (en fait 30 présentés seulement ce 2 mai). Cette organisation revendique 1000 dossiers de travailleurs sans papiers, elle ne les montrera jamais, elle en revendicque le contrôle, elle estime avoir été trahie par la CGT qui ne l’a pas mêlée à la lutte au profit de l’association Droits Devants. Sissoko, chef incontesté de cette organisation de sans papiers en appelle à l’Union Départementale CGT de Paris pour exiger une naïve et improbable grève générale et nationale. La CGT qualifié de « syndicat mondial » doit pouvoir conduire un mouvement d’ampleur sur cette question. Il ignore manifestement qu’il ne s’adresse qu’à une Union Départementale isolée et en voie d’être marginalisée. Il l’ignorera jusqu’au dernier jour.

Un communiqué de l’Union Départementale tombe avec un ton d’abattement et d’affolement ; « la Bourse du Travail occupée par 1000 sans papiers ». Le nombre est exagéré mais les conséquences sont encore insoupçonnées. Les enjeux et les erreurs de calculs vont l’emporter sur tout le reste.

Des associations se présentent, soutiennent l’occupation. La mairie du 3e (Les verts, majorité municipale de Paris) fait des promesses de soutien en matériel et fournie de quoi s’abriter dans la cour. Rappelons que la Bourse est bâtiment municipal. Une jeunesse étudiante et militante vient , une lutte singulière qui exige plus à la CGT entâchée de compromission et suspecte aux yeux de beaucoup. On raconte à qui veut l’entendre que la CGT interdit à Médecins du Monde de venir soigner les enfants, que si les Verts de Paris n’ont pas fourni des couches pour les bébés, c’est qu’un puissant réseau CGT agit dans l’ombre.

A l’Union Départementale on est saisi par le succès du 1er mai, enivré presque et accablé par la vindicte des « soutiens », on ne comprend plus.

L’occupation est limitée matériellement à la cour, quelques couloirs, des salles, des corridors. 22 mai 2008, journée de lutte nationale pour les retraites, la CGT est au premier rang, manifestations de masse. A deux pas de l’annnexe occupée le point de rendez-vous des sans papiers CGT, la tension est au plus fort entre certains manifestants CGT et les occupants de la Bourse lorsque le cortège passe devant le bâtiment occupé : insultes fusent, menaces, un geste de trop, la bagarre éclate. Elle s’arrête après quelques coups donnés ou reçus. Court alors un bruit : la CGT vient de rater sa tentative d’expulsion.

Mais en soirée, la situation a changée : un plombier de la ville faisant son travail en cette journée décisive a négligemment laissé la porte de la grande salle entrouverte. L’occupation s’étend dans une salle de 600 places et ses annexes. Le plombier sous la responsabilité de la mairie n’a rien vu venir, la surveillance était relachée…

Interrogé, le lendemain, au cabinet du Maire de Paris, on n’a rien à dire. Le sourire de certains trahit seulement une satisfaction. Deux jours après, l’association Emmaüs de Paris, politiquement et institutionnellement proche de l’Hôtel de Ville fourni 150 matelas livrables immédiatement pour faciliter les conditions de vie.

S’ensuivront alors une succession de négociations, tentatives et conflits divers dans un climet de suspicion et de concurrence sur le rôle a jouer dans la lutte des sans papiers. Les intermédiaires se multiplient ; associations diverses, Haut et Bas conseils des Maliens en France , rien n‘y fera, les négociations sont un échec. Les logiques de luttes sont différentes et ne se rencontrent pas. La CGT revendique 6000 syndiqués de plus parmi les sans papiers, la CSP 75, refuse de se mêler aux grèves en cours.

Une organisation syndicale d’une part, enfermée dans sa faiblesse et dans le peu de prise que son mouvement a dans la société et une association de travailleurs étrangers en difficultés bercée par l’illusion d’une organisation, la CGT, qui pourrait tout et ne voudrait rien pour les sans papiers isolés ou sans emploi. A cela s’ajoute des soutiens de circonstance, une bande venue en découdre avec la CGT qui chauffe tous les jours l’ambiance et assure que la Cgt pourrait commettre le pire. La CSP 75 est une organisation de délégués, ses membres dont le nombre restent incertains et sans parole sont sous la houlette de leurs responsables : un girond de délégués (possédant tous des papiers) face à un bureau de syndicalistes professionnels.

La fermeture de la CGT à ce moment n’est en fait rien d’autre que l’illustration de sa faiblesse sur ce dossier et son incapacité à soulever les salariés sur un sujet difficile. Les sans papiers, enfants d’une génération d’une immigration qui a connu une CGT unitaire et forte de 3 millions croit encore aux trois lettres rouges des grandes mobilisations. Mais on est en face de la seule Union Départementale de Paris, faible et isolée du reste, personne ne semble le voir.

La CGT ou plutôt l’Union Départementale de Paris s’enlise : une part immense de son activité est consacrée à cette lutte, des dossiers de régularisation au cas par cas. Une autre part de l’énergie est consacrée à des négociations sans fin, explications diverses, conflits, contradictions, polémiques qui touchent militants, sans papiers et intermédiaires associatifs. On parlera de 200 heures de négociation avec la CSP 75.

La CSP 75 entretient l’illusion de ce qu’elle est et de son succès a tenir tête à la plus grande organisation ouvrière du pays par une communication externe infatigable : concert, conférences, projections, tournages, débats sur matelas, diatribe anti-CGT, journal interne, site internet. La Bourse du Travail n’a jamais été aussi vivante et ouverte au public que depuis que la CGT en est chassée…

Mais tout le monde ne désespère pas de cette situation : la direction confédérale souhaite se débarrasser de cette lutte encombrante. Une troisième vague de grève de sans papiers n’a pas pu voir le jour, les militants parisiens sont épuisés et la Confédération ne suit pas, les attaques de cette jeunesse autour de l’occupation démoralisent et donnent des forces à ceux qui n’ont jamais cru à cette lutte, ses objectifs ou ses motifs.

Nul n’ose aborder la position de la mairie et de son rôle plus que suspect, on parle plus volontiers de ses officines associatives comme Emmaüs. Mais on reparle cependant des intentions de la Mairie sur la Bourse du Travail.

Les premiers à s’en inquiéter sont les gardiens de la Bourse : « Après l’évacuation, on sera liquidé ! » entend on. « Privatisation de la mission, on confiera cela à des vigiles privés… sans papiers ! » rajoute un autre.

La privatisation des services techniques de cet important établissement parisien a déjà commencé. Mais c’est son usage qui pose question. Nul n’ignore à la Bourse que la mairie ne souhaite pas laisser ce bâtiment, « outil des luttes » aux seuls syndicats. Cela lui coûte. De l’argent certes mais pas seulement. Les luttes parisiennes concernent en premier lieu les services publics de la ville, le fort syndicat des éboueurs notamment pose problème et anime très fortement la vie syndicale de toute la ville. Une organisation de plus de mille militants disciplinés et exigeants qui pratiquent régulièrement occupations de mairie, grèves régulieres, rassemblements, le siège même du PS n’a pas été épargné ! Les objectifs de privatisation du ramassage des ordures sont contrariés par la CGT. Une grève de l’été 2008 s’est soldée par une demi-victoire ou une demi-défaite. Trois arrondissements sur six passeront au privé ( au groupe Véolia protégé par la CGT nationale[2]) au terme d’une lutte complexe et inachevée. Pour la Mairie de Paris, la CGT n’est pas qu’un partenaire social, c’est aussi souvent un obstacle pour ses objectifs.

La Bourse du Travail de Paris est un projet pour Delanoë : en faire un immense espace associatif polyvalent pour ses associations conventionnées à commencer par celles du 3e arrondissement, encore le 3e arrondissement… Une première négociation a eu lieu depuis ces dernières années : on rénove la grande salle de 600 places et on commencera par partager son usage.

Quelques semaines après la fin du chantier, les négociations n’ont pas reprises. Elles ne reprendront pas… La CSP 75 occupe désormais ce bâtiment et cette salle avec le soutien d’un parti de la majorité municipale… les Verts du 3e arrondissement, très attachés au projet associatif sur la Bourse et peu sympathisants de la CGT.

Dernier acte, la « Libération » de la Bourse

Le 25 au matin, la bande organisée de la CGT, cagoulée, équipée de matraques et de gazeuses lacrymogènes doit arriver à la Bourse. La mission est secrète et préparée avec le plus grand sérieux, rien n’a pu percer ni fuir. Il s’agit de sauver l’avenir de l’Union Départementale et de la Bourse.

Arrive Patrick Picard, secrétaire général de l’Union Départementale, la mission top secret est sous sa responsabilité mais là surprise ! Les premiers arrivés ne sont pas les bons… devant la rue Charlot, des journalistes connus de la CGT, syndiqués a la CGT, venu pour faire leur boulot, plus que cela, envoyés par la confédération. Quel jeu joue donc la direction nationale à Montreuil ?

Quelques temps plus tôt, quatorze mois mêmes, ce même Patrick Picard ayant toujours su empêcher une évacuation qu’il désapprouvait, est sommé par Montreuil de « prendre ses responsabilités » à défaut il devra en supporter les conséquences…. Se dessine alors le spectre d’une crise qui conduirait à la reprise en main de l’Union Départementale par Montreuil et sa mise en retraite syndicale anticipée. Ce serait la fin d’une histoire, celle d’une Union départementale presque libre, cette UD oppositionnelle, pluraliste et exemplaire veulent croire certains.

On ne s’en remettrait pas.

Picard comme d’autres ne méconnaît pas le risque. L’Union Départementale CGT de Paris pose problème à la direction nationale, à la Mairie de Paris et donc aux influences PS sur la CGT.

L’affaire des sans papiers et l’engagement exagéré de cette UD posent également problème.

La reprise en main serait pire encore qu’une évacuation faite par ses soins… telle est la logique qui va primer sur toute autre considération.

La désobéissance est seulement impossible. Picard s’exécute, participe au recrutement de la bande et programme la journée.

Quelques mois plus tôt, une mission du même type avait été annulée pour cause d’actualité fâcheuse : incendie du Centre de Rétention Administrative de Vincennes, des sans papiers enfermés avaient incendié leur geôle.

Cette fois-ci, l’investiture de Hortefeux au ministère de l’intérieur ne découragera pas… on a bien pensé utiliser cela pour annuler mais cette fois-ci on s’en fiche, il semble que l’étau se soit resserré et Picard n’a plus son droit de citer, il est un exécutant responsable de ce qui arrivera. Le symbole sera dur à assumer mais tant pis, on n’a plus le choix.

Mais ce matin-là pourtant, la présence des journalistes informés par ceux-mêmes qui garantissaient le secret de l’opération laisse un goût amer…

Le piège se referme, le sort en est jeté, l’opération aura lieu.

Et elle a lieu.

La mairie de Paris, sur le qui-vive, attend un coup de fil. Il ne tardera pas à venir, la commission administrative en la personne d’Edgar Fisson en appelle à l’Hôtel de Ville, ça se passe mal, les occupants résistent, se sont retranchés dans la salle et veulent en découdre. Un militant CGT aurait la tête ouverte…La bande cagoulée et équipée a été vue par le voisinage qui a pris peur et n’a pas vraiment compris de quoi il s’agissait. Le ratage en règle semble réussi.

Le grand principe selon lequel la police n’intervient ni n’entre dans le sanctuaire des luttes ouvrières aura vécu. La police est là, elle va finir le travail sur demande de la mairie.

Le voisinage populaire, plutôt sympathisant CGT ne comprend pas, il se réunit aux abords de la Bourse. A l’autre bout de la rue Charlot, deux femmes tentent de trouver des explications, les pleurs limitent déjà la réflexion.

La police intervient, gazage, négociation, regazage, renégociation… vers 15 heures tout est réglé. Le communiqué de l’Union Départementale tombe, puis celui de la commission administrative : « la Bourse est libérée ! »

Les sans papiers ont été gazés dans la salle, spectacle d’une femme noire au sol les bras en croix sur le trottoir de la Bourse. Les CRS assurent l’évacuation.

Vers 17H00, les sans pap sont tous sur le trottoir et demandent un combat avec les quelques cégétistes irresponsables et naïfs trop vites satisfaits à l’intérieur et visibles depuis les vitrines de la Bourse… « CORPS A CORPS CGT ! » crient des sans papiers, d’autres s’approchent précipitamment et essaient de les faire taire. Une rixe aurait bien été empéchée par des CRS entre jeunes soutiens et militants CGT.

La CGT, la Bourse du travail , des militants sont protégés d’autres militants par des CRS équipés, casqués, armurés. Le piteux spectacle inspire colère à certains, dégoût et même des larmes, encore des larmes. La police protège des travailleurs contre d’autres travailleurs tous en lutte, chacun à leur façon sans s’être vraiment rencontrés, sans avoir su le faire car trop saisi par des logiques propres et des organisations qui s’en chargeaient.

Communiqué de Picard, rappel des faits selon la ligne CGT depuis un an moins maladroit qu’Edgar Fission avec sa « Libération » de la Bourse.

Vers 18H30, Libération, le quotidien, proche de la mairie de Paris (la famille Joffrin est l’éditeur de Delanoë) est le premier à réagir. On peut lire en ligne et à la une : « On évacue les sans papiers de la Bourse du travail, les CRS ? non la CGT ». L’article est massacrant et exprime de la jubilation.

Il est vrai que libération veut en découdre avec l’Union Départementale CGT de Paris, le quotidien, installé dans le 3e à deux pas a déjà eu maille à partir avec les militants de l’UD quelques semaines plus tot, Florence ex-élue CGT, journaliste vidée rudement par Joffrin, directeur de Libé qui la découvre insuffisante après quelques dizaines d’années de présence n’a pas supporté le soutien des militants de l‘UD et moins encore d’avoir lâché le morceau et cédé aux revendications directement négociées par l’UD et contre le syndicat maison.

A ce moment, après l’évacuation on croyait l’affaire terminée et on se trompait. La mairie vient de décider de fermer la Bourse, elle reprend les locaux jusqu’à nouvel ordre. Elle ne veut pas les rendre, la CGT s’exécute.

L’Union Départementale se trouve aujourd’hui curieusement dépourvue. Il s’agissait de reprendre des bureaux, l’occupation de la Bourse entravait le fonctionnement des syndicats parisiens prétextait-on.

Cette direction d’Union départementale que l’on voulait originale et unitaire aura vécu : un tournant a gauche, très rouge diront certains avait donné Picard gagnant dès l’annonce du départ en retraite de Didier Niel, ancien Métallo proche de la Municipalité parisienne, l’homme de l’ouverture au PS après la fin de l’ère Krasucki. Un tournant très à gauche fait du maximum de composantes et de compromis militants : PCF officiels, PCF des courants dissidents, PS, ligne confédérale mais aussi militants NPA-LCR, Trotskystes du PT, libertaires, divers et « non inscrits », une assemblée dirigeante de 80 militants réunissant presque idéalement tout ce que la gauche avait inventé depuis plus d’un siècle. On s’entendait tous dit déjà au passé l’un d’entre eux, tout le mouvement ouvrier semblait pouvoir s’y retrouver. Depuis novembre 2008, cette investiture promettait luttes et mobilisations, sérieux et projets l’animaient après des années de décomposition et de découragement. Trois mois après son élection, ce militant de EDF-GDF, Patrick Picard devenu secrétaire général quadragénaire (une exception) connu pour sa finesse et son pragmatisme se lançait sans compter dans la luttes des sans papiers et quelques autres combats…

Aujourd’hui, on est passé en quelques mois de l’espoir à la condition de sans domicile et de vaincu .

La CGT de Paris et la CSP 75 se retrouvent dans une étonnante communauté de situation, tous deux sur le trottoir du bâtiment tant convoités, tous deux à la rue. Sans doute pas assez proche pour comprendre que leur combat l’un contre l’autre défendait des intérêts qui n’étaient pas les leurs.

La direction nationale de la CGT n’a pas réagit.

La mairie du 3e est injoignable sur cette question, tout comme l’Hôtel de Ville qui se fait silencieux à nos appels.

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NB : Ce texte a été rédigé par le recueil d’observations et par un travail d’enquête sur les luttes des sans papiers depuis plus de deux ans. Présence sur les lieux, participations, entretiens ont fourni un ensemble de matériaux. Ces recherches étaient Initialement prévues pour un tout autre objectif, l’actualité a poussé les enquêteurs à rédiger ce texte. La précipitation des derniers événements ne peut donner la garantie de précision des éléments recueillis et vérifiés depuis deux ans. Il n’en demeure pas moins que ce texte a été rédigé avec des observations vérifiées et/ou directement vécues. Il ne prétend pas être un document de recherche, il est un texte d’opinion produit pas des chercheurs et observateurs engagés. On ne peut cependant que souhaiter qu’il participe ultérieurement au débat et à la recherche.

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[1] Cette association transfuge de Droit au Logement est née en 1995. Après l’occupation de l’église Saint-Ambroise l’année suivante , elle oriente son activité vers les sans papiers, comme le DAL, elle se retrouve peu a peu contrôlée par le PS même si son dirigeant à vie, Jean-Claude Amara a pris parti depuis pour José Bové.

[2] VEOLIA est un bailleur de fonds de la Confédération par l’achat régulier de pages de publicité pour le groupe dans les titres de la presse nationale de la CGT, ceci est régulièrement dénoncé par des militants.