Et voilà que son jour s’approche. Les secteurs patriciens commencent à donner des ordres aux contremaîtres et aux domestiques : il faut s’occuper des chiens, hurler à leurs oreilles des slogans combatifs, et qu’ils les apprennent mieux que leur propre nom. Qu’on les enrage aussi, en déposant un peu de poudre dans leur gamelle, un peu d’alcool dans leurs eaux sales.

Et le citoyen se fait féroce dans sa niche ou au bout de sa chaîne. Il grogne, aboie et mord le vent. Y-a-t-il quelque chose de plus important que lui sur terre ? … Qu’y peut-on si c’est de lui —de la puanteur de ses tripes et de la bave de ses mâchoires— que dépend le bonheur de tous les habitants de la république ? N’est-ce pas lui qui fait la loi et le gouvernement ? Alors ?

Et il pavane son allure de furet en costume. S’ils le lâchent, il court crier sur les places, dans les comités et les théâtres. Il s’agite sans comprendre et fait le fou sans éclat. Comme il est bête !

Déléguer le pouvoir c’est le perdre disait Reclus… Oh, pardon ! C’est bien plus encore : c’est être le chien d’une liberté lointaine, du droit des autres, de la beauté qui dort ou veille dans la forêt ou sur la montagne. Déléguer le pouvoir, c’est une immoralité et une barbarie.

Oui, oui, êtres pâles et obscurs qui depuis la pâture ou la mine, courbés sur le sillon ou sur le bloc de pierre, baignez la terre de clarté : c’est précisément contre vous que s’organisent et se développent ces chasses au vote. Les politiciens abattent vos rêves de liberté, les fainéants rabaissent vos efforts féconds, les chasseurs bourgeois détruisent votre vie toute entière. Et les “citoyens libres” ne sont rien d’autre que leurs meutes, leurs animaux domestiques.

Rodolfo González Pacheco (1882-1949).

Publié dans La Antorcha, Buenos Aires, 20’s, repris par http://www.non-fides.fr/spip.php?article315