« Antisionistes », encore un effort ?

A l’extrême gauche, dans les mouvements auto-proclamés « anti néo-colonialistes », l’heure est à la condamnation publique et verbeuse de Dieudonné.

Communiqué des Indigènes de la République , de l’UJFP, d’EuroPalestine, brusquement empressés, à l’occasion de l’initiative électorale de Dieudonné, de proclamer haut et fort, leur rejet de son alliance avec l’extrême droite.

Tous ces communiqués reposent sur deux énoncés :

Dieudonné ne serait pas un « véritable antisioniste », il ne ferait qu’utiliser une noble cause pour masquer son antisémitisme et celui de ses amis.

Jusqu’ici, les auteurs de ces communiqués avaient choisi de garder le silence sur les précédentes initiatives dudit Dieudonné, car elles ne méritaient pas qu’on en parle, et le faire aurait « fait le jeu » à la fois du « sionisme » et le sien.

Le problème de ces deux argumentations, qui reposent sur l’idée qu’il y aurait en France deux « antisionismes » revendiqués, l’un qui serait une usurpation néo fasciste, et l’autre un combat pour la justice et la liberté ne tient pas à l’épreuve des faits et de l’histoire des idéologies de ces dernières années.

Les faits : on ne peut reprocher à Dieudonné son inconstance dans ses propos.

Dès 2002, celui-ci se dit convaincu de l’existence d’un « lobby juif », et dès ces années, là, il explique bien le sionisme, comme étant non seulement l’idéologie et la pratique de l’Etat Israelien en Israel, mais comme un réseau d’influence mondial qui tient les médias, et les politiques de bien d’autres pays. Dès ces années, il met en œuvre la thèse qui sous tendra tout son engagement, celle selon laquelle le racisme néo colonial serait en premier l’œuvre des maîtres du monde « sionistes », qui auraient organisé la traite négrière, et aujourd’hui organiseraient, grâce à la « pornographie mémorielle » sur la Shoah, la légitimation des discriminations sociales et ethniques qui touchent les descendants des anciens colonisés.

Cette expression extrêmement claire de ses idées n’empêchera pas qu’il bénéficiera à l’occasion de ses premiers déboires avec le monde médiatique et la télé, dont il était jusque là un membre à part entière, du soutien de la plupart des « antisionistes » d’extrême gauche.

En 2004, Dieudonné est un membre phare, avec Alain Soral de la liste EuroPalestine, dont les héritiers officiels déclarent encore aujourd’hui qu’à l’époque son propos était légitime.

Le gros problème, c’est qu’aucun de ces communiqués n’explique en quoi le propos de Dieudonné a changé depuis cette époque, et encore moins, depuis la constitution de sa liste aux élections européennes, qui motive cette « sortie du silence » de ses anciens camarades.

Anciens camarades qui ont gardé pour beaucoup ce silence, lorsque Dieudonné a fait acclamer sur scène , il y a quelques mois, le négationniste Robert Faurisson aux cris de «Vive la Palestine », en pleine offensive sur Gaza.

Objectivement, pour qui se proclame « antisioniste » parce que solidaire des Palestinien(n)nes, s’il y avait un moment, où la nécessité d’exprimer publiquement sa différence avec les antisémites s’imposait, c’était bien celui-là, celui d’une mobilisation de masse contre la guerre, dont il était nécessaire qu’elle ne soit pas amalgamée et salie par des ordures antisémites. Pourtant, on cherchera en vain une avalanche de communiqués similaires à celle qui a lieu aujourd’hui.

Par conséquent, celle-ci ne peut s’expliquer par la « découverte » d’une alliance de Dieudonné avec l’extrême droite, alliance qui date de quelques années déjà, et que Dieudonné n’a jamais cherché à cacher, lui donnant au contraire et constamment toute la publicité possible.

Dieudonné n’a donc pas changé : son « antisionisme » d’aujourd’hui est celui d’hier.

En quoi se distingue-t-il donc objectivement de celui de ses anciens compagnons ?

Pour l’observateur extérieur, en effet, les arguments des uns et des autres pour se prévaloir d’un « antisionisme véritable » sont un jeu de miroirs sans fin.

Les uns et les autres s’accusent mutuellement de faire le jeu du « sionisme » réel.

Les uns et les autres dénoncent les manipulations des « médias sionistes » : les Indigènes de la République comme Europalestine ont appelé à une manifestation sur ce thème pendant l’offensive israelienne sur Gaza ! Depuis chacun se présente comme la victime de ces médias et présente ses frères ennemis « antisionistes » comme des favorisés.

De même, dès lors qu’un homme politique de l’UMP s’en prend à l’un ou l’autre camp « antisioniste », les réactions sont les mêmes mais inversées.

Ainsi, lorsque Brice Hortefeux s’en prend aux Indigènes de la République l’an dernier, ceux-ci y voient la marque de l’acharnement dont ils sont victimes et la preuve que leur discours antisioniste fait d’eux les véritables ennemis de la classe dominante. A l’époque, Alain Soral, co-listier de Dieudonné, et ex co-listier d’Europalestine, y voit au contraire la preuve que les Indigènes sont les « idiots utiles » de l’ « Um-ps » et des sionistes, dont ils font le jeu, et qu’il ne s’agit rien d’autre que d’une publicité déguisée.

Mais lorsqu’Henri Guaino s’en prend lui, avec la même verbosité et la même absence d’actes, à la liste antisioniste, les arguments sont les mêmes, mais ils changent mutuellement de bouche. Cette fois, les « antisionistes » de gauche dénoncent la publicité faite à Dieudonné, tandis que celui-ci se prétend le véritable ennemi du système.

Bref, s’il y a finalement un point commun qui émerge, dans les analyses des deux camps « antisionistes », c’est que l’ « antisionisme » est manifestement tout à fait utilisable par la classe dominante….

Autre point commun, et pas des moindres, un discours commun sur l’Europe et sur ce qu’elle pourrait être. Avant le « schisme » provoqué par le dépôt de la liste de Dieudonné, les « antisionistes » , quels qu’ils soient ont soutenu, chacun de leurs côté de multiples pétitions demandant à l’Europe institutionnelle de rompre ses relations avec Israel, de faire pression par tous les moyens possibles sur cet Etat , de reconnaître le Hamas comme interlocuteur politique….

C’est là un bien étrange paradoxe commun à tous les courants « antisionistes » en France , excepté bien entendu les anarchistes et les a-nationalistes qui n’éprouvent aucun besoin particulier de se déclarer spécifiquement antisionistes, et de faire une hiérarchie entre les nationalismes. Tous les autres « antisionistes », qui se déclarent aussi anti colonialistes, semblent pourtant persuadés que l’Europe a un rôle à jouer et doit jouer ce rôle dans le destin du monde et notamment dans les ex-colonies. L’institution politico-militaire européenne ne serait donc pas un ennemi en soi, elle pourrait au contraire être un vecteur de paix et de liberté, pour peu que le « peuple » y envoie les « bons » représentants, qui pratiqueraient un « bon » interventionnisme.

D’ailleurs, si Dieudonné est le seul à être finalement allé jusqu’au bout de ses ambitions électorales, les autres « antisionistes » avaient manifestement le même objectif, celui de créer un parti dont l’ « antisionisme » serait le credo principal sinon unique, avec donc le même présupposé idéologique, le sionisme serait l’ennemi principal à combattre en France aujourd’hui. Pendant la mobilisation contre les bombardements israeliens, si Dieudonné s’agite et cogite déjà avec le centre Zahra , les Indigènes de la République envoient un appel pressant à créer « le Parti antisioniste » .

Cet appel ne comporte aucune exclusive, aucune mention n’y est faite de ceux, qui éventuellement n’y seraient pas les bienvenus, pour cause d’antisémitisme…Mais il ne sera visiblement pas entendu, et c’est donc finalement Dieudonné et ses camarades qui seront en mesure de présenter une liste « antisioniste », pas les « antisionistes d’extrême gauche ».

La rivalité entre les « antisionistes » ne relève donc guère de questions de fond, mais bien plus d’une concurrence dans la course aux élections.

Les deux courants ont la même analyse : la France subirait l’influence extérieure des « sionistes » qui contrôleraient les médias, le monde politique, et la majorité des institutions pour leurs intérêts propres.

Le nationalisme juif serait le seul à être vraiment illégitime, le seul en tout cas aujourd’hui qui étende son influence de manière mondiale : ainsi les deux courants estiment que ce sont les « sionistes » qui tirent les ficelles du gouvernement américain. Les deux courants défendent par ailleurs, becs et ongles d’autres nationalismes, et pas seulement celui de minorités opprimées et sans Etats. Dieudonné comme les Indigènes se retrouvent ainsi dans la défense du régime iranien, auquel on ne concède quelques défauts mineurs que pour mieux exalter son rôle d’opposant au sionisme….

Il suffit aussi de faire l’inventaire des thèmes et des cibles des deux courants , ces dernières années pour voir que ce sont les mêmes : notamment l’importance démesurée accordée aux mêmes personnalités publiques, de Bernard Henry Levy à Finkielkraut, de Philippe Val à Bernard Kouchner, s’est construit le mythe d’une puissance intellectuelle « sioniste » , d’une influence redoutable et supérieure à celle de la myriade d’intellectuels médiatiques et de politiciens , dont il n’est jamais démontré en quoi ceux-ci spécifiquement seraient plus puissants ou plus écoutés que les autres.

Sans compter, naturellement, l’obsession incessante du comparatif des exactions de l’armée israelienne avec le génocide nazi, comparaison qui n’est jamais faite, par les deux courants à propos d’aucune autre guerre, d’aucun autre massacre contemporain, quand bien même il s’accompagne exactement des mêmes massacres de civils, du même acharnement contre une population définie par des critères ethniques, culturels ou religieux.

Il est donc bien difficile de distinguer deux « antisionismes » distincts chez ces courants nationalistes, qui ont été alliés, il y a à peine quelques années. Et force est de constater, que si guerre il y a aujourd’hui entre eux, ce n’est pas le camp des « antisionistes » de l’extrême gauche qui l’a déclaré. Si Alain Soral s’en prend aux Indigènes de la République dès leur création, ces mêmes Indigènes reconnaissent, eux, avoir volontairement gardé le silence sur les actes et les propos de Dieudonné , de manière volontaire pendant toutes ces années.

Les communiqués actuels résonnent donc comme ceux d’ex-actionnaires dépités, qui se sont fait voler les bénéfices éventuels d’un fonds de commerce nauséabond.

Comme la longue plainte de soutiens indéfectibles de Dieudonné, qui ne leur a pas renvoyé l’ascenseur et a finalement choisi de mettre sa notoriété au services d’autres « camarades ».

Le discours « antisioniste » de gauche ne change donc pas d’un iota. L’ennemi principal des antiracistes serait donc toujours le « sioniste » et pas l’antisémite, et à aucun moment, les organisations citées plus haut ne présentent comme une erreur le fait d’avoir refusé d’attaquer les antisémites de front, au prétexte que cette stratégie aurait fait le jeu du pouvoir en place.

Ce n’est malheureusement pas la première fois qu’une partie de l’extrême gauche française a ce discours et cette stratégie.,Et les représentants de l’UJFP, ou ceux des Indigènes de la République peuvent bien mettre en avant leurs origines pour se démarquer, ils n’en reste pas moins que leurs positions et leurs choix stratégiques sont exactement les mêmes que ceux qui ont conduit une partie des socialistes et des communistes français à creuser leur propre tombe et surtout à donner un formidable tremplin à la droite antisémite à la fin du 19ème siècle.

Bien avant que Drumont, l’auteur de « la France Juive » fasse l’objet d’élogieuses critiques dans certains journaux d’extrême gauche, au moment ou le mouvement du général Boulanger et sa composante antisémite prennent leur essor, la plupart des socialistes, des guesdistes et des blanquistes choisissent dans un premier temps l’alliance, dans la rue et dans les urnes. Et quand ils se rendent compte que celle-ci ne leur est pas avantageuse, la plupart se contentent du « silence » équivoque : aux élections de 1888, certains candidats comme Lafargue choisissent de se retirer plutôt que d’affronter ouvertement les candidats boulangistes, par peur de s’aliéner une partie des ouvriers. D’autres textes, de groupes guesdistes ou blanquistes, justifient à la même époque le refus d’attaquer les boulangistes antisémites par les propos suivants

« Considérant que , malgré les indignes moyens employés, les suffrages réunis sur le Général Boulanger sont une expression menaçante du mécontentement général contre une République qui n’a été que la République des capitalistes, nous refusons de cautionner l’agitation anti-boulangiste menée par les radicaux et les opportunistes »

« Le danger ferryste étant aussi redoutable que le péril boulangiste, les révolutionnaires ne devraient favoriser ni l’un ni l’autre, et n’avaient pas à faire le jeu de la bourgeoisie en l’aidant à combattre celui qui était à présent son plus redoutable adversaire ».

A leur propos, Engels, évoquera, non sans raison, le tort immense porté par les socialistes français à la cause du socialisme international et leur reprochera de « n’avoir jamais eu le courage de combattre cette absurdité » et d’avoir ainsi creusé leur propre tombe, et celle du mouvement ouvrier, pour de longues années. L’essor quasi constant de la droite nationaliste révolutionnaire dans les décennies qui suivront ne lui donnera pas tort. A chacune de ses poussées, ceux qui à l’extrême gauche choisiront de reprendre une partie de ses thèmes, ou de ne pas s’y opposer de front, feront à la fois le jeu du pouvoir en place et de la gauche parlementaire, qui aura beau jeu de diaboliser le mouvement ouvrier en se servant de leurs dérives, et celui de l’extrême droite en route vers le fascisme qui utilisera les ambiguïtés de certains discours pour semer la confusion et récupérer une partie des votes ouvriers

Les « antisionistes » de gauche ont adopté la même stratégie, pendant des années , avec Dieudonné ou Kemi Seba. Ainsi, en 2007, les Indigènes de la République éprouvent-ils le besoin de s’élever contre la condamnation de l’antisémite de la tribu K au prétexte que celui-ci aurait été condamné en tant que Noir et appellent à la solidarisation , car à travers lui « c’est nous tous, Noirs, Arabes et musulmans, qui avons été condamnés »(1).En 2006 ,bien après la prétendue rupture, dans un communiqué , Europalestine dénonce le sort de Dieudonné « privé d’accès aux médias , attaqué par « les officines sionistes » (2)

Il arrive aujourd’hui à ces grands stratèges la même chose qu’à leurs ancêtres politiques, et le fait qu’ils soient ou se revendiquent les descendants de minorités opprimées, qu’ils soient incapables de remettre en cause les collusions idéologiques qui les ont amené à nourrir l’extrême droite raciste ET antisémite, ne fait que rendre plus grave leurs errements.

Peu importe à vrai dire, de savoir si la démarche procède réellement d’un antisémitisme partagé ou de stratégies politiciennes, reste que leur « antisionisme » qui a essentiellement constitué à opposer la lutte contre l’antiracisme à celle contre l’antisémitisme, à défendre, ou au mieux à épargner des antisémites convaincus, a conduit à la création du Parti Antisioniste dont ils avaient rêvé et qui s’avère être un second Front National.

Leurs vagissements indignés contre l’OPA de l’extrême droite sur leur « antisionisme », ne fait que démontrer leur incapacité à être autre chose que le dindon de la farce des fachos de tous bords et n’enlève rien à leur responsabilité écrasante dans la propagation de la haine raciste ET antisémite.

Et, en Europe l’histoire des siècles précédents, démontre sans discussion possible, que cette haine a toujours été l’arme des capitalistes dans leur ensemble pour diviser le mouvement ouvrier, et détourner la colère et la lutte contre les classes dominantes dans des impasses meurtières.

{(1)Communiqué des Indigènes de la République , 3 décembre 2007}

{(2)Communiqué Europalestine, mars 2006}
[http://www.europalestine.com/spip.php?article2024->http://www.europalestine.com/spip.php?article2024]

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