Simondon, Individu et collectivité. Pour une philosophie du transindividuel, Muriel Combes

Ce livre est paru aux PUF en 1999. Cette maison d’édition a depuis décidé de pilonner les exemplaires dont elle était propriétaire, conformément aux moeurs de l’antiproduction capitaliste. Voici ce texte, revenu ici au public.

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L’œuvre publiée de Gilbert Simondon ne comporte à ce jour que trois ouvrages. La majeure partie de cette œuvre est constituée par une thèse de doctorat soutenue en 1958 et publiée en deux tomes séparés par un intervalle de vingt cinq ans : L’individu et sa genèse physico-biologique (1964) et L’individuation psychique et collective (1989). Mais le nom de Simondon est pourtant attaché dans de nombreux esprits à l’ouvrage intitulé Du mode d’existence des objets techniques, porté à la connaissance du public l’année même de la soutenance de la thèse sur l’individuation.

C’est à cette postérité de « penseur de la technique » que l’auteur d’un projet philosophique ambitieux visant à renouveler en profondeur l’ontologie a dû de se voir davantage cité dans des rapports pédagogiques sur l’enseignement de la technologie qu’invité dans des colloques de philosophie. Il est vrai qu’il voua la plus grande partie de son existence à l’enseignement, notamment dans le laboratoire de psychologie générale et de technologie qu’il fonda à l’université de Paris-V, et que son ouvrage sur la technique reflète souvent un point de vue explicite de pédagogue.

Pourtant, même ceux qui ont vu dans sa philosophie de l’individuation une voie de renouvellement de la métaphysique et lui rendent hommage à ce titre, la traitent davantage comme une source d’inspiration souterraine que comme une œuvre de référence. Gilles Deleuze, qui, dès 1969, cite explicitement L’individu et sa genèse physico-biologique dans Logique du sens et dans Différence et répétition, constitue à la fois une exception par rapport au silence qui accueillit l’œuvre de Simondon et le commencement d’une ligne de travaux – pas nécessairement philosophiques – qui trouveront chez Simondon une pensée à prolonger plutôt qu’à commenter. C’est ainsi qu’un ouvrage comme Mille Plateaux, de Deleuze et Guattari, s’inspire des travaux de Simondon plus largement qu’il ne les cite. Et qu’une philosophe des sciences comme Isabelle Stengers, mais aussi des sociologues ou psychologues du travail comme Marcelle Stroobants, Philippe Zarifian ou Yves Clot mettent en œuvre les hypothèses simondoniennes dans leurs champs de recherche respectifs.

Nous voudrions ici explorer un aspect de la pensée de Simondon que les rares commentaires qu’elle a suscités ont laissé de côté, à savoir : l’esquisse d’une éthique et d’une politique adéquates à l’hypothèse de l’être préindividuel. Cette éthique et cette politique se concentrent dans le concept de transindividuel, dont nous avons tenté de faire un point de vue sur la théorie de l’individuation dans son ensemble.

Détacher Simondon de son identité de « penseur-de-la-technique », c’est là une condition nécessaire pour suivre le courant d’une pensée du collectif qui va puiser à la source de l’affectivité sa réserve de transformation. C’est aussi ce qui permet de découvrir dans l’ouvrage sur la technique autre chose qu’une pédagogie culturelle. Du préindividuel au transindividuel par la voie d’un renouvellement de la pensée de la relation, tel est un possible chemin dans la philosophie de Simondon. C’est celui que nous avons emprunté.

Sommaire :

Introduction

Pensée de l’être et statut de l’un : de la relativité du réel à la réalité de la relation

L’opération
Plus qu’un
La transduction
L’analogie
Le paradigme physique
L’allagmatique
La réalité du relatif. De la connaissance de la relation à la connaissance comme relation ; Consistance et constitution ; Cette relation qu’est l’individu

La relation transindividuelle

L’individuation psychique et collective :une ou plusieurs individuations ?
Affectivité et émotivité, la vie plus qu’individuelle
Le paradoxe du transindividuel
Un domaine de traversée (le transindividuel subjectif)
Le collectif comme processus
L’être-physique du collectif (le transindividuel objectif)

Scolie. Intimité du commun

Entre culture technique et révolution de l’agir

Vers une « culture technique »
Le devenir au risque de la téléologie
Une éthique physique de l’amplification et du transfert
Hylémorphisme versus réseaux
Vers une révolution de l’agir : le transindividuel contre le travail
Pour conclure