Analyse de la situation mercredi 13 mai :

Visiblement, la préfecture cherche à nous pousser à bout sur la question du logement des demandeur-e-s d’asile. Sauf erreur, nous en sommes à plus de 10 occupations depuis début février, dont une trentaine de nuits, parfois dans deux lieux simultanément. Et, aujourd’hui encore, nous avons 10 demandeur-e-s d’asile de plus à la rue et, d’après nos informations, il en resterait plus d’une centaine dans le département…

Côté lieux occupés, lors des « occupations amies », le discours ne varie pas et s’organise en trois temps :

1) vous avez notre total soutien et sachez d’ailleurs que cette question du logement (ou de la précarité) est centrale dans notre raison d’être ;

2) ceci dit, vous n’êtes pas sans savoir que nos missions nous tiennent à cœur et que vos occupations désorganisent notre activité quotidienne ;

3) nous voulons bien vous tolérer (cochez) jusqu’à la fermeture – 1 nuit – 1 semaine mais, ensuite, allez voir ailleurs.

Parfois, des questions de sécurité insurmontables suite à l’informatisation salutaire des systèmes d’alarme obligent les lieux occupés à nous (menacer de nous) virer mais toujours avec le plus fervent soutien par rapport à notre action qui, rappelons-le, ne vise qu’à faire appliquer la loi pour les demandeur-e-s d’asile qui, rappelons-le aussi, sont des êtres humains avec ce vieux truc démocratique que l’on appelle droits.

Côté Etat (préfecture + DDASS), outre la diminution organisée d’hébergements et de crédits qui constitue le fond du problème, des pratiques et des discours de « répression passive » de nos actions sont organisées. Cela marche aussi en plusieurs temps :

1) l’Etat se tait, histoire de voir si ça passe mais ça passe pas alors

2) contacté par les médias suite à nos actions, l’Etat a la géniale idée de déclarer la main sur le cœur : « Mais jamais nous ne nous défilerons par rapport à nos missions légales : oui, en Ille-et-Vilaine aussi, l’Etat doit un hébergement aux demandeur-e-s d’asile » (la subtilité rhétorique étant dans le verbe « devoir ») ;

3) mais comme on a supprimé les crédits et qu’il faut bien justifier l’injustifiable (laisser des êtres humains à la rue sans dire que ce sont des êtres humains), on multiplie les fausses déclarations, un peu comme un menteur ridicule qui s’amuserait, parce qu’il refuse de dire qu’il est en difficultés, à inventer tout et n’importe quoi, et si possible le plus gros possible pour que ça passe. FLORILEGE :

A) « notre département est surdoté, nous devons donc réduire le nombre d’hébergements » (argument statistique majeur dont la débilité tient à la définition même du surdotage dont l’idée ne peut surgir qu’à partir du moment où une logique de restriction de crédits est en œuvre et dont l’efficacité est redoutable : vous diminuez le crédit en un point du territoire, vous créez alors un surdotage généralisé partout ailleurs et roule l’arnaque…), mais, bon, admettons que c’est de bonne guerre…

B) « notre département est la cible privilégiée de tous les passeurs of the world comme le montre Richard Virenque dans sa célèbre étude sociologique sur le monde des passeurs : en retardant l’hébergement des demandeur-e-s d’asile pendant, allez, disons 3 mois, nous voulons envoyer un message clair aux passeurs afin qu’ils les envoient ailleurs » ; cet argument (de faible solidarité avec les autres préfet-te-s) est utilisé chaque année et il est facile à prouver par une statistique complexe qui est la suivante : « l’année dernière, nous avions 10 demandeur-e-s d’asile dans le département, cette année 20, donc le nombre de demandeur-e-s a augmenté de 100% (avouez que c’est énorme 100%, non ?) donc a + b = les passeurs s’acharnent sur notre département » ;

C) « les demandeur-e-s d’asile pour lesquel-le-s vous vous mobilisez ne sont pas des demandeur-e-s d’asile » : on s’est pris cet argument à chaque début d’occupation et, si cela vous fait rire au début, sa récurrence vous donne envie de tout casser sans que je sache bien expliquer pourquoi ;

D) « les demandeur-e-s d’asile refusent les CADA qu’on leur propose parce que ce n’est pas un CADA de notre département » : après une bonne dizaine d’années auprès de ces mêmes demandeur-e-s, j’attends toujours que l’on me présente le cas qui permet d’afficher de telles conneries à portée universelle sur les demandeur-e-s d’asile à la rue.

Mais ce n’est pas tout : l’Etat n’a pas peur de mettre en pratique des techniques sympas qui permettent là aussi de faire quelques économies sur les crédits.

Cas 1 (on l’a vécu récemment) : « Ce demandeur-e d’asile n’a plus droit à un hébergement car il-elle a refusé la jolie place en hôtel à st Malo que nous lui proposions à 23 hs 30 et que s’il-elle ne pouvait pas y aller à cette heure-ci, on s’en branle, vous n’aviez qu’à l’amener espèce de saloperies d’associations droits-de-l’hommistes ».

Cas 2 (on l’a vécu récemment) : « Ce demandeur-e d’asile n’a plus droit à un hébergement car il-elle a refusé 2 nuits que nous lui proposions en hôtel et il-elle a préféré continuer à occuper avec collectifdemerde afin d’obtenir un hébergement durable et parce qu’il-elle ne parlait pas français pour qu’on lui explique les conséquences de son refus quand on a proposé mais il-elle a qu’à parler français ».

Cas 3 (on l’a vécu hier) : « Ce demandeur-e d’asile n’a plus droit à un hébergement car, sur son récépissé, il-elle a l’adresse d’un-e français-e qui a accepté de le domicilier pour son courrier, donc il-elle a qu’à dormir chez l’autre nardin qui héberge des étranger-e-s. En effet, un-e bon-ne demandeur-e d’asile doit être domicilié-e à la croix rouge, sinon ça veut dire qu’il-elle a un logement. »

ATTENTION : Profitons-en pour faire passer le message. Il faut absolument éviter des domiciliations persos pour les demandeur-e-s d’asile car, visiblement, le menteur ridicule n’hésite pas à utiliser ce simple geste de solidarité pour priver votre domicilié-e de l’accès à ses droits d’hébergement.

Cas 4 (on l’a vécu hier) : « Oui, collectifdemerde, suite à ton occupation de l’école du Gacet la semaine dernière, on t’a promis d’héberger les demandeur-e-s d’asile en hôtel jusqu’à l’accès en CADA en échange de ton autoévacuation de l’école. Et puis non finalement, collectifdemerde, on vient de décider en pleine après-midi trois jours plus tard de pas leur donner une nuit d’hôtel supplémentaire alors l’hôtel a foutu tout le monde dehors. Oh merde, collectifdemerde, t’étais encore en train d’occuper pour d’autres demandeur-e-s d’asile alors celleux que l’on venait de mettre dehors malgré nos promesses sont revenu-e-s vers vous et voilàtypas que c’est l’incident diplomatique avec la mairie de Rennes qui avait joué les intermédiaires, alors OK, on revient sur notre décision et, à 23 heures, on les reloge (sauf le cas 3, celui-là on l’a bien eu) ».

Evidemment, raconté ainsi, je pense que les gens qui lisent ces lignes ne voient pas en quoi chaque incident pris isolément est si grave. Mais c’est justement l’objectif de ce long mel : tout ceci n’est pas une succession de maladresses mal contrôlées par l’Etat mais un canevas de saloperies qui nous épuisent peu à peu.

C’est pour ça que l’on peut se demander si la préfecture ne cherche pas à nous faire craquer sachant que l’on peut craquer de deux manières dans un contexte pareil : en renonçant (et on sent bien dans le collectif que cette tendance commence à poindre le bout de son nez, peut-être même en chacun-e de nous) ou en radicalisant. Et c’est là que ça se complique : c’est que nous ne savons pas radicaliser notre lutte…pour l’instant. Et l’angoisse dans tout ça, c’est qu’il est évident que, dès qu’il pourra nous faire trébucher, l’Etat se servira d’une de nos radicalisations pour nous foutre en l’air, comme il l’avait fait l’année dernière avec le procès suite à nos révélations humoristiques sur les pratiques de la PAF.