Occupation Faculté Criminologie à Gand en belgique

Gand – mercredi 29 avril 2009.

La faculté de criminologie de l’université de Gand est occupée en solidarité avec les mutineries dans les prisons et les centres fermés, et plus spécifiquement avec la destruction de la section de haute sécurité de la prison de Bruges.

Nous avons choisi d’occuper la faculté de criminologie parce que cette science est étroitement liée à la prison, à la justice et à la police. En effet, ceux qui condamnent jour après jour des dizaines de personnes à plusieurs années de prison ou à se faire déporter ont souvent commencé leur ignoble carrière dans cette faculté.

Solidarité avec les rébellions dans les prisons et les centres fermés.
Contre toutes les prisons.

Sans cesse, des directeurs de prison progressistes, des sociologues, des chercheurs, des intellectuels illuminés et des journalistes critiques nous présentent leur opinion sur le monde carcéral. De temps en temps, ils énoncent même des opinions critiques à propos de ses aspects les plus brutaux comme la surpopulation qui fait que les prisonniers se retrouvent souvent à quatre dans des cellules prévues pour deux personnes ; comme l’absence d’activités et de visite qui fait que plein de détenus restent en cellule 22h par jour; comme la brutalité et les vexations de la part des gardiens qui utilisent actuellement même des tazer (des électrochocs) pour calmer les détenus révoltés. Mais ces critiques ne remettent aucunement la prison en question pour ce qu’elle est et ce qu’elle signifie. Elles renforcent même le mécanisme démocratique derrière l’enfermement des milliers de personnes.

Ce ne sont certainement pas les politiciens ou les faux critiques de ce monde qui vont avancer une vraie critique du carcéral, de sa justice et donc de sa société. Comment serait-ce possible, alors que la prison n’est rien d’autre qu’un instrument créé pour défendre l’ordre existant tant au niveau social, économique que morale ? Dans ce sens, une critique de la prison ne peut pas être séparée d’une critique de l’ordre existant qui divise le monde en oppresseurs et opprimés, en exploiteurs et exploités, en maîtres et esclaves et qui a, entre autre, besoin de prisons pour se maintenir tel quel.

Depuis plus de trois ans, une tempête de révolte secoue les prisons et les centres fermés belges. Beaucoup de prisonniers se sont mutinés, ont détruit l’infrastructure carcérale tellement haïe, se sont évadés, ont cramé des cellules, ont attaqué des gardiens – ces mercenaires de l’Etat – ou les ont pris en otage pour s’évader. La révolte se diffusait d’une prison à une autre ; l’utilisation fructueuse d’une méthode particulière entrainait sa multiplication, comme les actuelles prises d’otage de matons pour s’évader. A tout le moins, on peut dire que c’est dans la rupture avec le cours normal des choses, la révolte, que s’ouvre au moins l’espace pour poser de vraies questions qui ne soient pas récupérables par le spectacle démocratique de la politique et de ses spécialistes. Même si on ne connaît pas tous ces prisonniers révoltés, nous reconnaissons dans leurs actes une propension à la liberté et une rage qui sont aussi les nôtres. Une rage contre l’incommensurable infamie de ce monde avec ses barreaux, ses barbelés, ses cellules, ses gardiens, ses juges, ses déportations… une propension vers la liberté qui ne supporte plus d’être commandé, d’accepter, de se résigner, de se faire exploiter, de baisser les yeux quand un compagnon est mis au cachot pour la énième fois …

La prison n’est en effet rien d’autre que le reflet de la société dans laquelle on vit. La prison et la privation de liberté ne sont pas des exceptions à la démocratie, pas une suspension temporelle de la vie de quelqu’un, mais une des conséquences d’une logique qui régit toute cette société. Les enfants sont principalement enfermés dans des écoles pour apprendre à obéir ; les adultes sont enfermés la moitié de leur journée sur leurs lieux de travail pour gagner le fric nécessaire à leur survie tandis qu’ils augmentent la richesse des patrons ; d’autres avalent chaque jour des antidépresseurs parce que sans ça ils ne pourraient pas supporter l’absence de perspective et l’ennui que cette société nous offre ; d’autres encore sont chassés et traqués par les négriers modernes de l’ONEM, d’Actiris et du FOREM. Et que dire d’une société qui enferme et largue ses vieux dans des foyers verrouillés ; qui étiquette d’ « hyperkinétiques » ses enfants éveillés et leur fait avaler les pilules correspondantes ; qui accueille ses nouveaux arrivants à coup racisme, de rafles et de déportations ; qui intoxique chacun d’entre nous – sans discrimination, ce monde est tellement démocratique – avec les émissions de ses usines, avec ses déchets nucléaires, sa destruction de l’environnement ; qui réduit les animaux à de la matière première produite et abattue à une échelle industrielle ?

En fait, il n’y a pas de rupture fondamentale entre le dedans et le dehors, entre cette société et ses prisons : il y a surtout toute une continuité qui fait que la solidarité avec les mutineries dans les prisons signifie surtout de se battre ici et maintenant contre tout ce qui nous rend prisonniers de ce système. Pas seulement contre les juges qui distribuent au quotidien des dizaines d’années de prison, mais aussi contre les patrons qui nous pressent et se font du fric sur notre dos ; pas seulement contre les matons qui tournent jour après jour la clé des cellules, mais contre patriarche qui dirige femme et enfants d’une main de fer ; pas seulement contre les entreprises qui gagnent de l’argent en construisant ou en participant à la gestion des prisons, mais aussi contre tous ceux qui ont acquis des privilèges et qui font que ce monde est et reste divisé en pauvres et riches.

Nous avons choisi d’occuper aujourd’hui la faculté de Droit et plus spécifiquement l’unité d’enseignement et de recherche de Criminologie de l’Université de Gand en solidarité avec les révoltes dans les prisons belges et ailleurs dans le monde. Ce choix n’est pas arbitraire. Trop souvent, l’université et sa série de spécialistes essayent de se vendre comme l’arbitre neutre et sage qui se trouve au-dessus des remous de la société. Pourtant, l’université est une institution qui étudie le terrain, donne des avis, forme des spécialistes pour mieux servir le pouvoir sous toutes ses formes. Il en va de même pour les criminologues en formation qui après travailleront souvent pour la Justice, la police, la prison. La criminologie est la science qui passe « les criminels » au crible, qui analyse leurs comportements et leurs origines, qui fournit donc de l’information aux détenteurs de pouvoir pour comprendre et donc gérer « ces délinquants » en tant que catégorie analysée et donc contrôlable. Tout cela pendant que les maîtres du monde font bombarder, affament, exploitent, déportent, enferment des millions de personnes pour maintenir leur pouvoir et leurs profits. Les criminologues, comme leurs autres collègues spécialistes, ne peuvent pas se cacher derrière les excuses comme « nous sommes neutres », « nous ne faisons que des recherches objectives »… Car ce monde d’oppression n’a pas seulement besoin d’uniformes et de matraques pour se protéger, ni même uniquement de la résignation de ses sujets, mais aussi des lumières en pardessus blancs et de vestons progressistes poussiéreux une pipe aux lèvres pour seconder la planification rationnelle de tout ce qu’il y a d’infâme et d’écœurant dans ce monde.

Enfin, n’oublions pas que la seule réponse – et nous ne nous attendions pas à autre chose – de l’Etat aux cris de rage issus de derrière les murs est la construction de plus de prisons (dont une nouvelle prison psychiatrique à Gand), l’embauche de plus de matons et de gardiens de toutes sortes, l’extension du contrôle social à travers rafles, caméras, bases de données intégrés, bureaucrates. Faisons en sorte que leur machine ne tourne pas rond.

Avec cette occupation, nous voulons aussi envoyer un salut épris de liberté aux prisonniers qui, début avril, ont dévasté le quartier d’isolement de la prison de Bruges. Ce nouveau quartier d’isolement était une des réponses de l’Etat aux années de révoltes. Le voilà, lui aussi, réduit en ruines par le courage et l’audace de certains prisonniers. Ceci est de nouveau un pas en avant dans la lutte permanente contre la prison et son monde dont toutes les conséquences sont encore à venir…
Des salutations fraternelles aussi à tous les prisonniers qui se sont battus contre ce qui les détruit ces dernières années, vous savez déjà que ceci est aussi pour vous.

Force et courage à tous ceux et toutes celles qui se battent pour la liberté, dedans comme dehors !
En lutte contre la prison et le monde qui la produit et en a besoin !

Gand, 29 avril 2009.