La question peut paraître étrange, blasphématoire même, tant ceux qui ce qualifient eux-mêmes de ’républicains’ aiment à se présenter comme des défenseurs de l’égalité et du progrès social et les pourfendeurs de ce qui, justement, ressemble de prés ou de loin à la ’réaction’.

Le problème c’est que bien souvent la révolution d’avant-hier se transforme en conservatisme d’hier et en réaction d’aujourd’hui, et c’est ce qui semble être arrivée sinon à la République, du moins à ses défenseurs auto-proclamés.

Être républicain aujourd’hui en France, cela ne veut rien dire, ou plutôt, cela veut trop dire. S’il cela signifie s’opposer au retour de la monarchie, alors tout le monde l’est. S’il cela signifie être attaché à la démocratie parlementaire et au droits de l’homme, alors la grande majorité de la population de ce pays… mais pas toujours ceux qui se proclament républicains. Si cela signifie appartenir à un courant politique, alors les choses se compliquent.

Ceux qui se définissent politiquement comme ’les républicains’ forment un groupe assez hétérogène. On y trouve des partis d’extrême-gauche comme le POI lambertiste, des partis de gauche dite modérée comme le PRG ou le MRC (entre autres groupuscules), un parti de droite souverainiste, Debout la République, et même un groupuscule d’extrême-droite Égalité et Réconciliation, dont le président, Alain Soral, a sans doute inspiré Jean-Marie Le Pen lorsqu’il a fait son fameux discours de Valmy. S’y ajoutent diverses associations et publications, comme la Libre-Pensée, l’Union Rationaliste, l’UFAL ou le site Riposte Laïque, dont on ne sait pas très bien s’il faut le situer à l’extrême-gauche ou à l’extrême-droite.

Ces partis ont des discours et des idéologies très variées, souvent contradictoires. Là où ils se rejoignent, ce n’est pas la célébration de l’égalité républicaine, à laquelle tout le monde adhère du moins en théorie. Non, ce qu’ils célèbrent tous en coeur, et c’est là que la réaction montre son vilain nez, c’est la nation et l’autorité – pour ne pas dire l’autoritarisme – de l’État.

La nation était au départ une idée progressiste. Il s’agissait d’opposer à la ’légitimité’ dynastique des princes, rois et autres empereurs, celle du peuple assemblé. Comme toutes les idées généreuses, elle a été dévoyées, par les chauvinismes que l’on sait, mais aussi par cette aristocratie qu’elle était censée renverser et qui ne pouvant l’abattre a fini par la récupérer. Cela nous a donné un Le Pen ou un De Villiers saluant le drapeau tricolore que leurs ancêtres idéologiques conspuaient – et parfois fusillaient.

La nation des ’républicains’ n’est, évidement pas, celle catholique et royale de De Villiers et consorts, mais ils la placent sur le même piedestal. Cela donne ’le Parti des Français pour les Français’ et la ’rupture avec l’Union Européenne’ de Schivardi. Cela donne surtout un souverainisme et un nationalisme ombrageux, qui est presque devenu, au fil du temps, la pierre de touche du ’républicanisme’. On dénonce ainsi, comme tout le monde, le déficit démocratique de l’Union Européenne, mais ce n’est pas pour demander une démocratisation des institutions du même nom – cela ferait de l’ombre à la sacro-sainte nation. Non, ce qu’ils proposent, en utilisant divers euphémismes c’est de les dissoudre ou leur substitué tel ou tel comité théodule.

Naturellement, comme toujours dès qu’on parle de nationalisme, la haine des minorités finit toujours par apparaître. Bien sûr ce ne sont pas les mêmes minorités que celles auxquelles s’intéresse de manière si déplaisante l’extrême droite, même si on entend parfois, ici ou là, des discours « anti-sionistes » qui nous rappellent de très mauvais souvenir. Ce que rejette les ’républicains’, c’est tout ce qui fait preuve d’une originalité culturelle, et nuit donc à la sacro-sainte unité de la sacro-sainte nation. Cela recouvre les Bretons et les Corses mais aussi assez souvent les musulmans – la spécialité de Riposte Laïque – et les homosexuels qui le montrent Les discriminations et inégalités raciales, culturelles et territoriales, sont évacuées par le biais d’un discours pseudo-égalitariste sans la moindre portée pratique, et bien sûr lorsque les dominés et les minoritaires s’organisent en tant que tels pour faire valoir leurs droits, on agite le spectre du communautarisme.

Car pour le ’républicain’ l’universel est toujours blanc, catholique et francophone.

Particulièrement révélateur de cet état d’esprit a été la réaction respective, face au rapport Balladur, des deux frères ennemis du trotskisme : le POI, ouvertement ’républicain’ et le NPA, plutôt démocrate. Tous deux étaient contre mais pas pour les mêmes raisons. Le NPA regrettait le manque de démocratie, et notamment le refus de généraliser le scrutin proportionnel. Le POI dénonçait une atteinte à l’unité nationale et un complot régionaliste.

La différence parle d’elle-même. On la retrouve à tous les étages du ’républicanisme’

A ce nationalisme s’ajoute, tout naturellement, un goût prononcé pour l’autorité. C’est particulièrement visible sur les affiches d’Alain Soral, où l’on proclame la gloire de la nation – et surtout de l’homme fort appelé à la diriger. Cela transpire du discours de tous les partis républicains. Chez ces gens là on aime l’ordre, à l’intérieur comme à l’extérieur et l’on a guère de problème avec les régime à poigne pour peu qu’ils soient de la bonne couleur. Jean-Luc Mélènchon nous l’a fort opportunément rappelé avec sa dernière saillie sur le Tibet, car pour un ’républicain’ qui se respecte le Dalaï Lama est bien plus dangereux pour les libertés que la police politique de Hu Jintao.

D’une façon générale c’est tout ce qui va dans le sens d’une plus grande liberté des individus en tant qu’individus que le ’républicanisme’ rejette, car, comme l’Église autrefois, il y voit une menace pour la cohésion de la société et un ferment de dissolution du corps social.

Au début du siècle dernier, les républicains (sans guillemets) luttaient contre la réaction monarchique et cléricale pour ouvrir la société et la faire évoluer vers plus de tolérance et de multiculturalisme. C’est pour l’enfermer dans le nationalisme que les ’républicains’ d’aujourd’hui combattent. On peut sincèrement se demander duquel des deux camps de la querelle de la Séparation ils sont les héritiers.