L’Université est, entre autres, accusée par de nombreux médias ou par le gouvernement de ne pas suffisamment collaborer avec le monde de l’entreprise pour former les étudiants à des métiers utiles à la société ou pour alimenter l’économie française en nouvelles découvertes. D’où une avalanche de réformes marquées par une obsession du court terme et par la défense des intérêts des grandes entreprises et de leurs actionnaires, sur fond de croyance illimitée dans les bienfaits de la concurrence. Même si aujourd’hui, en février 2009, la crise financière et ses suites remettent en causes les dogmes néolibéraux, rien n’y fait, et un entêtement aveugle préside aux réformes. Dans les universités et les organismes de recherche, l’inquiétude monte et se transforme en résistance.

Certes, la transformation néolibérale des établissements d’enseignement supérieur et des laboratoires de recherche a débuté avant l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. Mais cette élection en a ouvert une phase d’une ampleur et d’une gravité sans précédent, dans laquelle des principes fondamentaux comme l’égalité entre étudiants et entre territoires, la liberté académique ou la démocratie interne sont bafoués par la mise en concurrence, par la répartition des moyens publics en fonction de critères de rentabilité à court terme, par un accroissement de la précarité du personnel, et par les renforcements du pouvoir de financeurs privés et du pouvoir du ministère : « Pacte pour la recherche » du 18 avril 2006 ; loi relative aux Libertés et responsabilités des universités (LRU) du 10 août 2007 ; réforme des Grands organismes de recherche (2008), opération campus (2008), projet de réforme de la formation et du recrutement des professeurs de l’enseignement primaire et secondaire (2008) ; projet de modification des statuts des enseignants-chercheurs (2008). À cette liste s’ajoute une attaque frontale contre la laïcité, l’accord du 18 décembre 2008 signé avec le Vatican donnant aux facultés catholiques le droit de collation des grades universitaires, c’est-à-dire le droit de décerner les diplômes de licence, master et doctorat. À terme, le baccalauréat, premier grade universitaire, pourrait être concerné.

L’enseignement supérieur et la recherche nécessitaient une nouvelle politique, ambitieuse, garante d’indépendance, de renforcement de la démocratie et de développement sociétal. Les États généraux de la recherche de 2004, portés par les personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur, avaient fait de nombreuses propositions en ce sens. Elles n’ont pas été reprises.

La loi LRU se décline en trois aspects :
– Tout d’abord, la « gouvernance » de l’université, avec un président aux pouvoirs fortement accrus. Notamment en ce qui concerne les personnels, avec un droit de veto au recrutement des fonctionnaires, l’entière liberté d’embaucher des personnels sous CDI et sous CDD, les pleins pouvoirs quant à l’octroi de primes, et enfin la possibilité d’augmenter (bâton) ou de baisser (carotte) les heures d’enseignement d’un enseignant-chercheur.
– Ensuite, l’autonomie de gestion – sans financement public suffisant et en présence d’une baisse du nombre de personnels fonctionnaires – qui va jusqu’à permettre aux universités qui le souhaitent de prendre en charge la gestion de leur patrimoine (immobilier, historique ou culturel) : achat, vente, location…
– Enfin, le développement des financements privés, via des fondations.

Se développeront ainsi le recours à une main-d’œuvre précaire, éventuellement financée sur fonds privés, des coupes budgétaires dans certaines filières, voire la revente du patrimoine immobilier ou culturel de l’Université, ainsi qu’une certaine soumission aux intérêts des mécènes. Les lettres et les sciences humaines et sociales sont tout particulièrement menacées, dans leur existence, sinon dans leur indépendance.

Et se présente le risque que l’université se tourne vers les étudiants afin de compléter ses ressources par l’augmentation des droits de scolarité. Cela s’est produit dans différents pays européens ayant fait le choix de « l’autonomie » (Pays-Bas, Italie, Espagne, Royaume-Uni…) ou sur d’autres continents. Ainsi, Harvard a augmenté ces droits de 5 % en moyenne par an durant les vingt dernières années, pour arriver en 2007 à près de 40 000 $ par an, soit 21 % de ses ressources propres.

Harvard, où près de 90 % des étudiants viennent de familles gagnant plus que le revenu médian, est en tête du classement de Shanghai [1], référence à laquelle nombre de nos parlementaires ont fait appel dans les débats qui ont précédé le vote de la loi LRU. Ce classement privilégie la taille de l’établissement, le nombre de publications scientifiques plutôt que la qualité, et condamne tout système universitaire où l’excellence se déploie en réseau plutôt que de se concentrer sur un nombre limité de pôles.

Impact de la loi LRU

Pour les établissements
Une émulation, voire une concurrence au sein d’une même région, existait déjà entre les universités françaises. Ainsi, les établissements disposent depuis 1994 de la capacité de développer, à côté des diplômes nationaux, des « produits » propres : les diplômes d’université (DU), élaborés au niveau de l’université pour répondre à des besoins de formation locaux ou régionaux (entreprises, professions libérales, secteur associatif…). Puis, la réforme LMD [2] de 2002 (issue du processus européen dit de Bologne) a fait disparaître le cadre national des diplômes et a ainsi accru le poids de la concurrence entre les établissements. La LRU franchit une nouvelle étape en instaurant l’autonomie de gestion des universités et en bouleversant le fonctionnement interne, aux fins de développement d’une concurrence entre établissement. Les mains libres, les présidents d’université pourront se jeter dans la bataille des classements et des financements, qu’ils soient publics (issus du plan campus, de l’ANR et de la répartition de la dotation de l’État) ou privés.

La mise en concurrence aura probablement des conséquences dramatiques pour certaines universités de province, appelées à se spécialiser dans des formations courtes et professionnalisantes devant répondre aux besoins immédiats des entreprises locales, tandis que les grandes universités et écoles auront seules le prestige de fournir des formations « culturelles », longues et théoriques, offrant des bases utiles tout au long de la vie professionnelle.

Pour le personnel
Les personnels seront confrontés aux joies du management moderne, basé sur le « mérite » et sur une gestion des carrières largement soumise à des décisions arbitraires des directions locales, avec d’importantes différences de salaires, grâce au système des primes. Le recours à des CDD de l’enseignement sera appelé à se généraliser pour réduire les coûts, améliorer la « flexibilité » et assurer le respect de la ligne politique attendue par les financeurs privés, au détriment de la liberté académique. C’est déjà ce qui se passe aux États-Unis :

« Le passage d’une université employant des enseignants titulaires à une université de travailleurs précaires résulte des pressions financières, de la volonté de flexibilité émanant des administrateurs quant à l’embauche, le licenciement et le changement dans l’offre des cours, ceci résulte enfin du nombre croissant d’universités publiques régionales et locales intéressées uniquement par l’enseignement basique et la préparation des étudiants à l’embauche immédiate dans les entreprises. [3] »

Enfin, en application de la LRU, le décret fixant les obligations de service d’enseignement des enseignants-chercheurs fonctionnaires est l’objet d’un projet de modification visant à donner aux présidents des universités la responsabilité de fixer, pour chaque enseignant-chercheur, au cas par cas, le nombre d’heures d’enseignement annuel. Il y a là un pouvoir de sanction ou de récompense qui entre en totale contradiction avec l’indépendance académique de tout enseignant et de tout chercheur. Indépendance indispensable à la démocratie de notre pays, à un développement pérenne de la recherche, et à la non-régression du savoir. Le fait d’augmenter les heures d’enseignement pour les enseignants-chercheurs estimés comme « mauvais chercheurs » témoigne d’un mépris accordé à l’enseignement, à ceux qui l’assurent, ainsi qu’à ceux qui en bénéficient, les étudiants.

Pour les étudiants
La mise en concurrence des établissements s’accompagnera d’un accroissement, probablement considérable, des inégalités entre les universités. Cela aggravera les inégalités sociales et géographiques qui pèsent déjà aujourd’hui sur la réussite de nombreux étudiants. Seuls les étudiants issus de familles aisées pourront se déplacer vers les filières prestigieuses, le plus souvent situées dans des grandes villes où la croissance de la demande de logement étudiant va encore pousser les loyers à la hausse. Et dans les filières courtes, « professionnalisantes », se concentreront les étudiants dont les familles n’ont pas les moyens culturels et financiers de leur « offrir » un enseignement reconnu socialement.

Certes, la mise en place d’une loi de type LRU sans explosion des droits de scolarité est une exception française, en partie due à la mobilisation des étudiants, mais pour combien de temps encore ?

De surcroît, la perte de liberté intellectuelle des enseignants, en faveur d’une hégémonie de l’idéologie néolibérale dans les programmes, et l’accentuation du recentrage déjà en cours des enseignements sur la formation professionnelle et sur l’adaptation au monde de l’entreprise s’opéreront au détriment de la formation de la personne et du citoyen. Le passage par l’université sera moins que jamais celui d’un épanouissement humain, et, d’année en année, toujours plus celui d’un formatage. Seules demeureront peut-être quelques poches de résistance.

La démocratie universitaire affaiblie
Le recrutement des enseignants-chercheurs fonctionnaires est emblématique de la régression de la démocratie universitaire consécutive à la LRU. Il était autrefois effectué par des commissions de spécialistes, composées d’enseignants-chercheurs locaux élus par leurs pairs et d’extérieurs nommés (chercheurs ou enseignants-chercheurs), qui n’étaient pas exemptes de critiques. La loi LRU, qui les remplace par des comités de sélection, aggrave les choses.

Sur proposition du président de l’université, leurs membres sont nommés par le Conseil d’administration (restreint aux représentants élus des enseignants-chercheurs et assimilés). Cela conduira à des recrutements de candidats « amis » de la direction, au risque d’une absence de représentativité des divers aspects de recherche ou d’enseignement, et à la fin des politiques de recrutement des laboratoires et des Unités de formation et de recherche (UFR).

La dérive marchande européenne

La loi LRU s’inscrit dans un processus européen et mondial de mise en concurrence et de marchandisation de l’enseignement supérieur.

Ainsi, l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) prévoit l’inclusion de l’enseignement et la recherche dans le processus de marchandisation et de libéralisation du commerce des services. Cet accord, engagé dès 1995 par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), concerne aujourd’hui 153 pays. Dans un premier temps, l’Union européenne (UE) avait affirmé que l’enseignement public sortait du champ de l’AGCS, parce qu’il était organisé par les États. Mais, sous la pression des néolibéraux de pays anglo-saxons, de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et d’entreprises multinationales, les États européens préparent l’intégration pleine et entière de l’enseignement supérieur dans le grand marché mondial.

Ainsi, la Stratégie de Lisbonne (2000) fixe pour l’UE l’objectif d’une « économie de la connaissance la plus compétitive » du monde. À cette fin « l’esprit d’entreprise et les aptitudes sociales » sont mis explicitement sur la liste des « nouvelles compétences de base dont l’éducation et la formation tout au long de la vie doivent permettre l’acquisition » [4].

Un an auparavant, en 1999, le Processus de Bologne avait programmé l’harmonisation du système européen de l’enseignement supérieur, notamment en vue « d’améliorer la compétitivité du système d’enseignement supérieur européen à l’échelon mondial » et d’établir « un espace européen de l’enseignement supérieur » [5]. Concrètement, il s’agissait d’homogénéiser les diplômes, les acteurs et les pratiques. Mais, par là-même, seraient finalement réalisées les conditions nécessaires à la création d’un marché prêt à s’ouvrir au plan mondial, comme l’indiquait en 2002 le Dr Andris Barblan, de l’Association européenne des universités (qui regroupe les présidents des universités européennes et participe activement au processus) : « La reconnaissance et la comparabilité de différents systèmes d’enseignement supérieur, nationaux ou autres, représentent une étape nécessaire de collaboration avant que les pays puissent s’accorder sur la comparabilité des actions qui est nécessaire pour l’application de l’AGCS. Lorsque les deux premières étapes de coopération seront accomplies, les procédures de l’AGCS pourront être appliquées, grâce à cette nouvelle confiance entre les acteurs, devenus partenaires dans le champ de l’enseignement supérieur. »

Le système universitaire américain n’est pas un exemple à suivre
Tous les établissements d’enseignement supérieur états-uniens, publics et privés, sont payants. Dans le privé, les frais d’inscription vont de 15 000 à plus de 40 000 dollars par an. Dans le public, de 3 000 à 10 000. Les bourses sur critères sociaux ne sont pas à la mesure du coût des études. Ces frais sont souvent couverts par des prêts bancaires, avec un taux d’intérêt moyen autour de 8 % par an, et il n’est pas hors du commun de finir ses études avec une dette de 50 000 à 100 000 dollars.

Par ailleurs, les universités (publiques et privées) sont en partie, mais parfois à un niveau très conséquent, financées par des fondations, et par des dotations en capital qui appartiennent à l’institution même, et qui sont en partie investies en bourse ou en fonds d’investissement. Chaque année, l’université fait un appel à donations, surtout auprès de ses anciens élèves, mais aussi auprès des entreprises privées, pour renforcer ces fondations et contribuer aux budgets annuels. Les donations individuelles sont déductibles des impôts sur le revenu. L’université de Harvard, la plus riche du monde, avait ainsi accumulé un capital financier de plus de 30 milliards de dollars (chiffres de 2007), pour environ 20 000 étudiants.

Ce mode de financement de l’enseignement supérieur met en place un système à deux vitesses, qui reproduit et creuse l’écart social. Les diplômés des « meilleures » universités, lesquelles peuvent recruter les plus grands noms de leurs domaines avec des salaires très élevés, trouvent de bons postes, quel que soit le métier choisi. Par contre, des établissements publics peu renommés sont dans une spirale de manque de financement, qui se traduit en mauvais rang dans les classements et en mauvais taux de réussite professionnelle pour leurs diplômés. Enfin, les élèves les plus démunis n’accèdent pas à l’université, soit à cause des sélections à l’entrée, soit parce qu’ils ne peuvent se permettre de faire les emprunts nécessaires.

Les entreprises privées ont une grande place dans les universités américaines, avec des financements de chaires, de laboratoires, d’annexes entières, et surtout de projets de recherche. Souvent, dans les disciplines scientifiques, un professeur est obligé par son université de trouver des modes de financement privé, afin par exemple de payer le « loyer » de son laboratoire.

Un grand nombre de cours sont donnés par des enseignants contractuels, et, de plus en plus, les professeurs qui ont un poste à vie sont remplacés, à leur retraite, par des contractuels. Ces enseignants, qui sont des docteurs ou des doctorants, sont obligés de prendre un grand nombre de contrats pour un semestre ou un an afin de subvenir à leurs besoins.

On le voit, les universités américaines sont gérées comme des entreprises privées à but lucratif. Les riches peuvent s’acheter un bon diplôme ouvrant sur une carrière, et l’écart social se creuse.

Réforme des grands organismes de recherche

Les grands organismes français de recherche ne sont pas oubliés. En particulier le plus important d’entre eux, le CNRS. À la suite du lancement de la politique des Pôles de compétitivité, en décembre 2004, est créée l’Agence nationale de la recherche (ANR), en février 2005. C’est alors un Groupement d’intérêt public (GIP), à durée limitée. Puis cette agence est pérennisée en avril 2006, dans le cadre du Pacte pour la recherche, et acquiert le statut d’Établissement public à caractère administratif (EPCA). En même temps est créée l’Agence de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES). Se dessine dès lors un paysage de la recherche complètement transformé.

Par son objet, sa composition et son fonctionnement, l’AERES réduit le rôle des instances d’évaluation propres aux grands organismes et conduira à une perte de la vision globale du paysage scientifique français que ces instances pouvaient avoir.

De son côté, l’ANR vient financer des projets pour l’essentiel « finalisés » (en relation directe avec une application) et sélectionnés en théorie sur « des critères de qualité scientifique » et de « pertinence économique pour les entreprises » [6]. Ses moyens connaissent une montée en puissance qui marginalise totalement les grands organismes.

Les membres des conseils d’administration de l’ANR et de l’AERES sont tous nommés par le gouvernement, voire par le président de la République. Nous avons ainsi une reprise en main par l’État, mais largement au service des entreprises, du pilotage de la recherche. C’est la fin de toute démocratie sociale et l’éviction des personnels élus (issus ou non des syndicats) des instances de la Recherche. Mais c’est aussi la fin de la transparence dans les prises de décision, les avis, les rapports d’évaluation et les débats. Gagnera-t-on en efficacité avec l’éviction de chercheurs élus et donc reconnus par leurs pairs des instances de pilotage ? On peut en douter, car les décisions sont appelées à être prises par des gestionnaires bien éloignés des laboratoires. Ces managers auront des critères de décision bien différents de ceux de la communauté scientifique. Des critères notamment financiers, souvent camouflés par des indicateurs pseudo-scientifiques : bibliométrie (nombres d’articles produits), mais aussi chiffre d’affaires des contrats industriels. Certes, il restera des scientifiques dans les instances dirigeantes, mais seuls ceux qui sont « dans la ligne » seront susceptibles d’y être nommés.

Un objectif du gouvernement est de ne financer la recherche quasiment que sur projets (souvent d’une durée de trois ans). Si cette forme peut être intéressante dans le domaine de la recherche finalisée, elle représente un danger pour la recherche fondamentale, pour les thèmes jugés non rentables et pour la recherche appliquée du futur. Les chercheurs ont besoin d’espaces de liberté non contraints par une utilité de court terme. C’est une des conditions de ce qu’on appelle la recherche libre. Ainsi, Albert Fert explique qu’il n’aurait pas reçu le prix Nobel de physique pour une recherche financée sur projet. Et que penser de l’avenir des recherches en lettres ou en sciences humaines et sociales, qui auront bien du mal à justifier une quelconque « utilité » ou « rentabilité », et qui restent pour autant indispensables au bon fonctionnement et à la richesse d’une société libre et démocratique ?

Malgré les annonces médiatiques, le financement « récurrent » des laboratoires sera quasiment constant en 2008 et il n’y aura pas de création de postes statutaires de chercheurs, tout juste un renouvellement des départs à la retraite. En fait, l’essentiel de la hausse des crédits annoncée (+ 7,8 %) ira d’abord aux dégrèvements d’impôts pour le secteur privé, puis au rattrapage de l’inflation et au financement sur projets. Sous cette dernière forme, un tiers des sommes ira au privé, le reste servira en grande partie à embaucher des CDD dans le public, et donc à précariser l’emploi. Puis 2009 verra la suppression de 1 000 emplois stables dans l’enseignement supérieur et la recherche. Enfin, se dessine le projet de donner aux universités la gestion des Unités mixtes de recherche CNRS/Université.

Si on considère qu’un président d’université de type LRU (donc aux pleins pouvoirs) décide des crédits attribués à une Unité mixte de recherche (UMR) en fonction de sa rentabilité (toujours dans l’état d’esprit LRU), beaucoup d’UMR qui étaient protégées par le CNRS de par leur caractère « unique » au niveau national pourraient se voir jugées « inutiles » par un président d’université souhaitant ne soutenir que ce qui est rentable pour son rayonnement local.

Il ne resterait plus qu’à mettre les personnels du CNRS au service direct des universités, et le CNRS serait alors réduit à une simple agence de moyens, marginalisée par l’ANR : c’est exactement ce qui a été annoncé par Nicolas Sarkozy le 22 janvier 2009.

Les missions de l’Université

La LRU inscrit dans la loi une nouvelle mission de l’Université, « l’orientation et l’insertion professionnelle », avalisant ainsi une évolution en cours. Cette fonction permet de former les cadres et techniciens supérieurs dont a besoin la société, mais elle ne doit pas se réaliser aux dépens des autres rôles que doit jouer l’enseignement supérieur. Depuis la loi Savary de 1984, l’Université se doit de fournir la possibilité d’une « formation initiale et continue » à tous les citoyens possédant un baccalauréat et de permettre la « diffusion de la culture et l’information scientifique et technique ». Cette mission est essentielle à la démocratie, laquelle n’est véritable que si tout citoyen peut accéder au savoir. La loi reconnaît bien entendu la mission de « recherche scientifique et technique », ainsi que « la valorisation de ses résultats » et la participation à la « coopération internationale ». Mais elle n’en donne ni le cadre ni les objectifs.

Par contre, la loi ne dit mot sur les universités comme lieux de vie et de formation citoyenne, de débats contradictoires et de pluralité culturelle et intellectuelle. Rien non plus sur la conservation et la maîtrise des savoirs anciens et nouveaux : le savoir ne se conserve pas que dans les livres, mais bien aussi par transmission orale, par l’exemple et la passion.

Propositions

Nous pensons que l’enseignement et la recherche (y compris une part de la recherche finalisée) sont des activités productrices de biens communs de l’humanité. Leur gestion doit être publique, ainsi que leur financement, en tant qu’investissement social et démocratique à long terme. Ils ne doivent en aucun cas être soumis aux règles du marché, et il faut mettre un terme à la politique du brevet à tout va, privatisant des savoirs qui doivent être du domaine public, accessibles à toutes et tous.

Le savoir doit être mieux partagé, le droit aux études élargi, il faut en défendre la gratuité, le pluralisme, et lutter contre toute forme de ségrégation. S’il doit exister des connexions entre les universités aux plans mondial, européen et national, ce n’est pas par une logique de concurrence, mais de coopération.

Pour défendre cette autre conception de l’université, radicalement opposée aux réformes actuelles, il nous faut agir et lutter à l’échelle européenne, et permettre une convergence des luttes qui existent dans tous les pays d’Europe contre la marchandisation de l’enseignement et de la recherche, pour une université du savoir partagé. À cette fin, Attac est aujourd’hui engagée avec des syndicats et des associations dans la constitution d’un réseau européen d’informations, de débats, de propositions et de mobilisations. [7]

Il nous faut aussi agir pour un financement public nécessaire à la réalisation de cette autre université en Europe. Un financement qui ne vienne pas concurrencer d’autres besoins sociaux, mais qui au contraire repose sur une réforme fiscale européenne (harmonisation fiscale vers le haut, création de taxes européennes sur le capital et ses revenus…) permettant de répondre progressivement à l’ensemble de ces besoins.

Notes

[1] Classement annuel des principales universités mondiales, réalisé depuis l’année 2003 par l’université Jiao Tong de Shanghai.

[2] Sigle pour les trois principaux grades mis en place par la réforme : Licence, Master, Doctorat.

[3] New York Times, 20 novembre 2007.

[4] Conclusions du Conseil européen de Lisbonne, 23 et 24 mars 2000.

[5] Déclaration de Bologne, 19 juin 1999.

[6] Cf. le site internet de l’ANR : http://www.agence-nationale-recherche.fr/ .

[7] Voir dans ce cadre l’appel à une mobilisation européenne du 18 au 20 mars 2009 : http://www.france.attac.org/spip.php?article9513