08 décembre 2008
Rodrigue KPOGLI
http://lajuda.blogspot.com

Les premières années de la lutte du Togo pour la démocratie étaient conduites par quelques figures qui sont apparues comme des leaders pouvant rassembler.

Progressivement, elles se sont décrédibilisées soit par leur incapacité à organiser efficacement la riposte face aux multiples assauts meurtriers du système RPT, soit par leur empressement à jouir des privilèges d’un pouvoir qu’elles n’ont pas encore acquis. Ainsi, de l’inorganisation couplée à l’absence de stratégies, aux retournements de casaque en passant par des indécisions, des hésitations, des incohérences et des querelles interpersonnelles de bas étage, l’embryonnaire leadership togolais s’est considérablement ruiné.

Me Yaovi Agboyibo sachant que le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) n’a pas d’avenir sous sa présidence après qu’il ait servi de premier ministre à Faure Gnassingbe, a réalisé un formidable coup de communication en se faisant remplacer par Me Apevon Dodji. Dans un pays où les partis d’opposition sont souvent accusés à tort de ne pas appliquer l’alternance en leur sein, Me Agboyibo a réussi à convertir ce qui est un échec en une victoire éclatante.

M. Gnininvi, après la signature de l’Accord politique de Ouaga dit Global, fonce la tête baissée. Rien ne semble arrêter la CDPA dans sa logique de gain à tout vent, ignorant que sur « le chemin de la trahison, il n’y a que le fleuve de la honte à traverser ».

M. Olympio, courbant l’échine devant la pression d’une improbable Communauté Internationale, mordant à l’appât de la primature promise et obtenant un assouplissement sur le verrou de résidence taillée à sa mesure dans les dispositions électorales, a fait apposer la signature de l’UFC au bas de l’Accord de Ouaga.

Quant à Edem Kodjo et Ayeva Zarifou, ils ont convaincu les Togolais sur leur vocation d’éternels prostitués politiques bien avant l’avènement de Faure Gnassingbe au pouvoir.

Inutile de souligner le caractère éminemment violent consubstantiel au pouvoir RPT qui, à travers sa formidable industrie de l’impunité crée la peur et l’intimidation. Le débat démocratique faisant l’objet d’une prohibition non-écrite sous ce régime, la constipation gagne les esprits qui auraient pu briller sous d’autres cieux.

A ces éléments, il faut ajouter que le peuple togolais est caractérisé par une triple contradiction :

1- Lorsqu’un leader est devant lui, le peuple togolais dit qu’il le dépasse.
2- Lorsqu’un leader est à ses côtés, le peuple togolais estime qu’il le pousse.
3- Lorsqu’un leader est derrière lui, le peuple togolais pense que celui-ci le talonne.

Ainsi, au Togo, veut-on un leadership idéal constitué d’immaculés et de Saints. Cette exigence, cette volonté de ne pas laisser des vendeurs d’illusions berner les masses voire les utiliser pour des intérêts personnels, n’est pas une mauvaise chose en soi. Seulement, à partir de cette conception acquise sans doute par expérience, les Togolais sont parvenus à supporter difficilement tout individu désirant prendre le devant des choses.

Chacun pense donc être le plus apte et s’estimant être le Saint que tout le monde souhaite voir surgir. C’est certainement pour cette raison là que dès que Madame X sort la tête, on la lui tape dessus. Dès que Monsieur Y pointe son nez, on le lui casse. Dès que le Citoyen Z ose, on le renvoie dans son nid en lui opposant toute sorte de principes qui parfois, ont du mal à tenir la route. Progressivement, des initiatives ont été incidemment découragées. Et la vacuité finissant par gagner nos rangs, y a établi aujourd’hui le printemps de la non-pensée. Après des années d’incubation sournoise, des acteurs de la casse sortent l’artillerie lourde pour mitrailler toute tentative de réflexion et de rappel aux fondamentaux qui nous ont échappés depuis un bon moment déjà.

Peut-être que l’inconscient collectif marqué par les 40 ans de traversée du désert sous la férule d’Eyadema Gnassingbe, se dit, plus jamais, il n’a besoin de guide ni de leader pour avancer. Personne ne veut suivre l’Autre, ne serait-ce que le temps de surmonter collectivement les obstacles qui jonchent le chemin.

Dans cette panne générale qui assèche la pensée et l’esprit d’initiative, la recherche de la solution individuelle devient la norme. Ce qui écrase l’idée que lorsqu’un problème se pose pour l’ensemble de la collectivité, il ne peut y avoir de solution que celle collective. Les issues individuelles ne peuvent qu’être un pis-aller dans cette situation. Dans le cas togolais, chacun crée son parti politique, chacun crée son association, chacun crée son organisation… Bref, chacun monte sa chapelle en attendant que l’orage vienne emporter toutes ces initiatives qui témoignent de notre incapacité à bâtir un outil collectif de lutte démocratique à la taille de l’enjeu qui est le nôtre.

Sur cette pente savonneuse, nous avons réussi l’exploit d’avoir 83 partis politiques au Togo. Dans ce Capharnaüm politico-affairiste sans cesse croissant, se fréquentent une certaine opposition constituée de 4 à 6 partis de tendance socialistes, 8 à 10 partis d’obédience libérale, 12 à 15 partis dits socio-démocrates et tous les autres sans idéologie ni gouvernail qui gravitent autour du pouvoir en attendant que le vent tourne dans l’autre sens pour opérer leur virage. Il en est de même pour des structures associatives. Ces doublons au lieu d’enrichir l’arène politique, la grèvent énormément.

Bientôt vingt ans après le début des hostilités entre une tyrannie soutenue de l’extérieur et portée par une milice militaro-policière et le peuple togolais affamé et écrasé mais connaissant parfaitement l’enjeu, les questions que se posent le mouvement démocratique restent les mêmes : Boycotter ou non des élections perdues d’avance ? Bulletin unique ou multiple ? Candidature unique ou multiple ? Liste électorale refaite ou révisée ?

La persistance de ces questions, en réalité, rudimentaires, est la preuve que le mouvement démocratique a du chemin devant lui. C’est aussi la preuve qu’il n’a pas tiré les leçons des fautes et erreurs du passé. Car, si le diagnostic est fait sans complaisance et les enseignements retenus, ces questions ne se poseraient plus. La seule chose qui vaille la peine dans ce cas, serait de travailler vigoureusement pour la mise sur pied d’une véritable stratégie de conquête du pouvoir avec la complicité du peuple togolais si éreinté par le système RPT.

Une autre raison pour laquelle, il est si difficile d’avoir un leadership responsable au Togo, se trouve dans le manque d’écoute entre les différents îlots d’intégrité qui résistent encore. Ce déficit se manifeste en ce que les idées des uns et des autres ne retiennent pratiquement aucune attention. Normalement, c’est à partir d’elles que des alliances de travail doivent se nouer. En somme, c’est le m’as-tu-vu permanent constituant à quelques exceptions, des reprises des idées précédemment mises en évidence qui fleurit. Ces reprises d’idées sans pour autant se rapprocher de leurs auteurs signifient clairement qu’une compétition malsaine de personnes se joue dans nos rangs.

A l’orée de la présidentielle de 2010, le mouvement démocratique a donc du pain sur la planche. Il doit surmonter en l’espace d’un an toutes les contradictions qui la minent depuis une vingtaine d’années. Ou, il réussit ce pari et alors 2010 sera une année de succès démocratique ou, il échoue dans la reconstruction et alors, le peuple togolais assistera pour une nième fois à une tragi-comédie électorale. Cela n’est pas une mince affaire quand on sait qu’actuellement les cartes sont complètement brouillées et qu’on ne sait avec exactitude l’identité des uns et des autres après l’APG et son corollaire de gouvernement dit d’union nationale.

Mais à cœur vaillant, point d’œuvre impossible. Il faut partir de ce qui est en alliant les valeurs d’intégrité, de cohérence et de résistance à toute épreuve, aux idées alternatives qui, par un travail de synthèse, pourraient être fédérées pour toute fin utile. A défaut, seule une planification sur un moyen ou long terme avec un agenda bien précis tenu par des citoyens intègres, foncièrement patriotiques et soutenus moralement, matériellement et intellectuellement, peut constituer la solution.