CRISE DE LA FINANCE ?
CRISE DU CAPITALISME !

Selon les «explications» les plus courantes, la crise actuelle serait due à l’excès de crédits répandus par la «cupidité» de banquiers sans scrupules et à l’insuffisance des réglementations et régulations des activités financières. Vieille rengaine, que l’on ressort à chaque crise! Marx se moquait déjà d’une commission parlementaire anglaise qui attribuait la cause de la crise économique de 1857-58 à «l’excès de spéculation et à l’abus de crédit»; et il répliquait: «De quelle nature sont donc les rapports sociaux qui suscitent presque régulièrement ces périodes d’automystification, de surspéculation et de crédit fictif? Dès lors qu’on l’a découverte, on arriverait à une alternative toute simple: ou bien la société peut contrôler les conditions sociales de la société, ou bien celles-ci sont immanentes à l’actuel système de société. Dans le premier cas, la société peut éviter les crises, dans le second elle doit les subir comme le changement naturel des saisons, tant que subsiste le système» (2).

Il s’est écoulé cent cinquante ans depuis que ces lignes ont été écrites et démonstration a été faite et refaite que la société capitaliste est incapable de se contrôler et incapable d’empêcher le retour périodique des crises, qui la surprennent à chaque fois

Les bourgeois, leurs experts et leurs politiciens de droite ou de gauche, démontrent qu’ils ne comprennent rien à la marche de leur économie lorsqu’ils ne proposent comme solution à la crise que des réformes pour réglementer et encadrer l’activité bancaire et financière: ils ne veulent ni ne peuvent voir que c’est le mécanisme fondamental de la production capitaliste qui provoque inévitablement des crises de plus en plus violentes jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’autre perspective qu’une nouvelle guerre mondiale pour détruire les forces productrices en surnombre et recommencer un nouveau cycle d’accumulation – à moins que la révolution prolétarienne renverse le capitalisme. Il est bien possible qu’ils arrivent à conjurer le krach financier, à sauver les établissements bancaires, à rétablir le crédit grâce à la mise en oeuvre de tous les moyens étatiques, jusqu’à la nationalisation du secteur bancaire qui signifie que l’Etat devient la banque (ou vice-versa!); si tout va bien, la crise financière pourra alors être «résolue» (au prix d’un endettement pharamineux des Etats), mais la crise économique qui en a été la véritable cause, sera toujours là!

LE SPECTRE DE 1929

L’ampleur de la crise financière actuelle, sa profondeur et son extension mondiale sont telles que tous les commentateurs, tous les médias parlent d’une crise financière comparable à celle de 1929, même s’ils ajoutent aussitôt qu’elle n’aura pas les mêmes conséquences, parce que les responsables ne feront pas les mêmes erreurs, les leçons de la crise des années trente ayant été tirées. On pourrait leur faire remarquer que depuis une quinzaine d’années les gouvernements américains successifs, sous le pression des financiers, se sont employés à faire disparaître les garde-fous qui avaient alors été mis en place, et que tout le monde jure maintenant de réinstaller…
Mais le plus important est de savoir ce qu’il faut-il penser de cette comparaison. Il n’y a guère de doute que l’ampleur de la crise financière suffirait à elle seule pour conclure que la récession économique mondiale sera bien plus grave que les récessions des 25 dernières années; mais la référence à 1929 renvoie à une crise d’ampleur historique qui, à la différence des récessions plus ou moins accentuées qui rythment le mouvement économique du capitalisme, a des conséquences brutales et durables non seulement sur la croissance économique, mais aussi sur l’équilibre politique et social des pays touchés comme sur l’équilibre politique international.

Notre courant a toujours soutenu que l’expansion économique sans précédent connue par le capitalisme depuis la fin de la deuxième guerre mondiale déboucherait inévitablement sur une grande crise générale de surproduction – du type de 1929 pour fixer les idées- qui reproposerait l’alternative guerre ou révolution.
Tant que le capitalisme a des perspectives de croissance, il est en effet capable d’amortir les tensions sociales et il est par conséquent vain d’espérer l’ouverture d’une période révolutionnaire (c’est ce que ne pouvaient assimiler les immédiatistes soixante-huitards qui avaient comme devise «prendre ses désirs pour la réalité»). Mais quand il est menacé d’asphyxie par la surproduction, il lui faut s’attaquer sans retenue aux prolétaires pour dégager à tout prix des profits, tout en préparant la guerre qui par des destructions massives de biens, de marchandises, de forces productives – y compris de forces productives humaines, les prolétaires – lui permettra de résoudre la crise et de redémarrer un nouveau cycle d’accumulation.
En sommes-nous là? Pour essayer de répondre, voyons quelles sont les caractéristiques de «1929», prise comme exemple classique de grande crise de surproduction (3). Elles vont bien au delà de la classique chute boursière du lundi noir (28 octobre) où la bourse de Wall Street perdit 13% (baisse record qui ne sera dépassée que lors du krach d’octobre 1987); car si l’effondrement brutal de la bourse signait de façon spectaculaire l’éclatement de la crise, la récession économique avait commencé dans les mois précédents; c’est cette récession qui provoqua en dernière analyse l’éclatement de la «bulle» boursière spéculative qui, à son tour, eut des conséquences dévastatrices sur l’économie.

Commencée en 1929, la crise se termina en 1932; 1933 est en effet une année de reprise, quoiqu’encore hésitante. Malgré les très importantes mesures d’interventions étatiques dites du «New Deal», une violente rechute eut lieu en 1937-38, elle connut une solution rapide dans… le déclenchement de la guerre mondiale qui relança à une échelle gigantesque la production.
Lors des 3 années de cette crise, la production industrielle, qui est l’indice le plus significatif, accusa une baisse de 44%, ce qui correspond à une baisse moyenne de 17,5% par an. En 1929 le chômage n’était que de 3,2%: il atteignit le chiffre énorme de 23,5% en 1932, soit une augmentation moyenne annuelle de 8%. Le chiffre des indices boursiers montre une baisse moyenne de 37,5%.
Outre ces éléments, une caractéristique très importante de la crise de 1929 a été la déflation, ce cauchemar que redoutent encore aujourd’hui les capitalistes: les prix de gros (prix à la production) baissèrent de 12% en moyenne par an (le prix au détail, au consommateur, baissèrent aussi, mais, comme toujours, dans une moindre mesure). Enfin la baisse des salaires est le dernier critère important de la crise, tout en notant qu’il est en partie compensé par la baisse des prix à la consommation: les capitalistes souffrirent peut-être plus de la crise que les prolétaires (du moins tant que ceux-ci avaient un emploi): de 1929 à son minimum de mars 1933, le salaire hebdomadaire moyen dans l’industrie baissa de 56%, tandis que les prix à la consommation baissaient de 28% (4).
En résumé, une grande crise catastrophique de surproduction au sens marxiste du terme, est marquée par une chute générale des prix à la production, une sévère diminution de la production, une forte augmentation du chômage, une baisse des salaires, un effondrement des profits – et tout cela pendant plusieurs années -, et pas seulement par un krach boursier.

L’évolution du capitalisme depuis quatre-vingt ans ne peut pas ne pas avoir des conséquences sur l’éclatement et le déroulement d’une grande crise de surproduction: d’un côté, l’importance beaucoup plus grande du poids de l’Etat dans l’économie, même après la cure de «libéralisme» suivie dans les dernières décennies, permet au capitalisme d’amortir les secousses et lui donne des armes de politique «anticyclique» sans commune mesure avec ce qui existait en 1929, comme on peut le constater sous nos yeux; de l’autre l’hypertrophie du secteur financier et la généralisation de l’économie de dette à une échelle autrefois inconnue tout en accroissant l’instabilité potentielle du système, rendent énormément plus problématiques les interventions étatiques (au point de menacer de faillite des Etats eux-mêmes!) (5); tandis que la «mondialisation», c’est-à-dire l’internationalisation accrue de l’économie et l’accélération de la circulation des flux financiers à l’échelle de la planète, diminuent parallèlement les possibilités d’action des Etats nationaux. Les forces productives sont devenues plus puissantes et plus importantes que les structures bourgeoises étatiques qui cherchent à les contrôler!

La crise actuelle se présente à première vue avant tout comme une crise financière, et sur ce plan elle semble pour l’instant plus grave que celle de 1929; non seulement la chute des indices boursiers annuels est assez nettement plus importante qu’à l’époque, mais on a assiste depuis un an à l’effondrement d’institutions financières et à une crise du crédit qui n’avait eu lieu à l’époque que plus tardivement, et ceci en dépit des interventions massives et répétées des Banques centrales et des Etats.
Mais pour ce qui est des autres critères, la différence avec la crise des années trente est frappante: la production industrielle n’accuse encore dans les grands pays qu’une diminution beaucoup plus faible: les derniers chiffres disponibles (juillet ou août, suivant les pays) indiquent une variation par rapport à l’année précédente, de -1,5 % pour les Etats-Unis, -1,7% pour l’aire euro (-2% pour la France, -3% pour l’Espagne, -3,2% pour l’Italie, mais +1,7% pour l’Allemagne), -2% pour le Canada, -2,3% pour la Grande Bretagne, la palme revenant au Japon: -6,9% (tandis que la Chine annonçait +12,8%!); le chômage ne recommence à augmenter que depuis peu pour atteindre 6,1% aux Etats-Unis, 7,5% dans la zone euro et 4,2% au Japon (les statistiques sur le chômage sont peu compatibles d’un pays à l’autre, et en général sont parmi les moins fiables) (6); les profits des entreprises américaines n’ont baissé que de 3,8% (en rythme annuel) au deuxième trimestre, essentiellement dans le secteur financier, après une forte croissance pendant 4 ans jusqu’au milieu de 2007; les autorités financières luttaient non contre la déflation mais contre un retour de l’inflation; quant aux salaires, si une prévision américaine indique que le salaire moyen connaîtra dans ce pays une baisse sans précédent depuis les années trente, cette baisse annoncée ne dépasserait guère les 10% (7) etc.
En un mot le capitalisme ultramoderne du vingt-et-unième siècle, grâce aux méthodes d’intervention étatique dans l’économie inaugurées il y a quatre vingt ans par le fascisme et l’impérialisme rooseveltien, a jusqu’ici réussi à freiner la crise, à l’amortir, à en différer les conséquences.

Réussira-t-il finalement à empêcher qu’elle éclate dans toute sa violence?
Il est impossible d’écarter cette alternative; mais une telle victoire capitaliste ne serait qu’une victoire à la Pyrrhus: au lieu de connaître une crise violente mais relativement brève, il se retrouverait avec une crise plus larvée mais prolongée dont il lui serait beaucoup plus difficile de se relever, et au prix d’une crise future rendue encore plus grave et insurmontable par les moyens utilisés pour combattre l’actuelle…

LE CAPITALISME NE S’AUTODETRUIRA PAS !

Fin septembre le ministre social-démocrate allemand de l’économie, Peer Steinbrück, affirmait dans une interview au «Spiegel» que «certaines parties de la théorie de Marx ne sont pas si fausses» et en particulier celle selon laquelle «le capitalisme finira pas s’autodétruire à force de cupidité»; le 15 octobre Ségolène Royal lui faisait écho en proclamant dans un meeting: «Marx a dit le capitalisme va s’autodétruire et bien nous y voila!». En réalité Marx a dit que le capitalisme créait avant tout ses propres fossoyeurs – ce qui est complètement différent.
Quelle que soit l’évolution de la crise actuelle, même si elle se révélait être le début de la grande crise catastrophique attendue par les marxistes, une chose est sûre: le capitalisme ne s’autodétruira pas, pas plus que ne se sont «autodétruits» les modes de production qui l’ont précédé dans l’histoire de l’humanité.
Seule une révolution au cours de laquelle les classes opprimées renversent par la guerre civile la domination de l’ancienne classe dominante, peut renverser l’ancien mode de production dont cette-dernière est l’agent, et en instaurer un nouveau qui correspond au niveau atteint par les forces productives. «A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale» (8).
En discourant sur son «autodestruction» du capitalisme, les laquais du capitalisme veulent éviter que les prolétaires comprennent qu’ils sont seuls capables d’être les fossoyeurs de celui-ci; autrement dit que la destruction du capitalisme ne peut être le résultat que de leur lutte révolutionnaire.
Tant que le prolétariat ne trouvera pas, sous les coups des attaques capitalistes qui vont redoubler, la force de se lancer dans cette lutte décisive, tant qu’il ne trouvera pas la force des s’organiser pour elle, aussi bien sur le plan politique (parti révolutionnaire communiste) qu’économique (syndicat de classe), le capitalisme réussira à se sortir de toutes ses crises et à se préparer à imposer sa solution: une nouvelle boucherie mondiale, encore plus destructrice que les deux précédentes à cause de ses décennies d’expansion au cours desquelles se sont créées des quantités gigantesques de forces productrices en surnombre.
Telle est l’alternative que pose historiquement le cours du capitalisme; telle est l’alternative que doit rappeler la crise actuelle aux prolétaires.

(1) Il est vrai que le lundi suivant, les bourses du monde, alléchées par les millions de dollars et d’euros promis par les gouvernements bourgeois, ont connu des hausses historiques; mais l’enthousiasme s’est dissipé rapidement et dès le mercredi elles connaissaient de nouveaux plongeons, tout aussi historiques! Cette volatilité des cours boursiers est typique des périodes de krach: au lendemain des journées noires d’octobre 29, les cours de Wall Street flambèrent de 18%. La seule différence est qu’aujourd’hui cette volatilité est encore plus grande et surtout plus durable.
(2) K. Marx, «New York Tribune», 4/10/1858. cf Marx Engels, «La crise», Ed 10/18 1978, p. 201-202.
.(3) cf «La récession américaine de 1957 annonce-t-elle un nouveau 1929?», Programme Communiste n°4.
(4) Chiffres de statistiques américaines cités par E. Varga, «La crise économique, sociale, politique», reprint Ed Sociales 1976.
(5) Outre la petite Islande, les financiers estiment supérieur à 80% le risque d’un défaut de paiement – c’est-à-dire d’une faillite – du Pakistan, de l’Argentine, de l’Ukraine, la Hongrie et la Turquie étant, elles aussi, menacées, de même que le Kazakhstan et la Lettonie. cf Financial Times, 14/10/08.
(6) cf The Economist, 11-17/10/2008
(7) cf International Herald Tribune, 16/10/2008
(8) K. Marx, Introduction à la «Contribution à la critique de l’économie politique». Ed. Sociales 1977, p.3.