Je tiens à m’excuser d’avance pour l’implication personnelle de cet article, mais il était nécessaire que je m’implique pour rendre compte de ce que je ressens.

Il aura fallu ce proviseur dans mon lycée de campagne, érigeant autour de l’établissement des grilles et des caméras face aux champs de blé. Il aura fallu ces tarés des corpo étudiantes, armés de leur agrafeuses et qui voulaient m’épingler au mur parce que j’osait soutenir un syndicat de gauche. Il aura fallu le G8 deux fois consécutives, avec ses contingents armés, ses hélicos et sa répression aveugle. Il aura fallu une série de séjours dans la Russie ultra-libérale. Il aura fallu le CPE et les agressions de la BAC. Il aura fallu les sans papiers, puis un séjour avec les migrants de Calais. Il aura fallu tout ça pour que ma colère se construise. Mais toujours contenue, toujours étouffée, la colère finit par ne plus trouver sa place dans l’esprit d’un homme. Et je lis justement « L’Homme révolté » de Camus qui explique comment la révolte légitime la violence. Alors il ne faudra pas s’étonner que toutes les personnes qui comme moi sont confrontés à la violence du système, se retrouvent dans la radicalité, autour d’une même colère, aussi dure que légitime. Si jusqu’à ce jour je me suis contenté d’écrire, de parler, de controverser, de m’instruire, il me semble qu’aujourd’hui j’ai atteins un point où j’ai accepté ma radicalité et ma colère. La seule interrogation qui me reste est la suivante : combien ont comme moi atteint leur point de rupture ? Combien sont suffisamment en colère et se sentent capable d’accepter leur radicalité pour enfin riposter ?

A la lecture du Talon de fer de Jack London, que je conseille vivement à chacun de lire, je me suis sans doute rendu compte que nous vivons actuellement des temps extrêmement importants, de par la violence des rapports humains et de par la désagrégation rapide des tissus sociaux, des structures de solidarité, qui faisaient office de soupapes face à l’imminence des guerres civiles que le capitalisme engendre de façon inévitable. Si le Talon de fer reste un ouvrage de fiction, écrit au début du XXème siècle, sa vraisemblance en fait un avertissement face à ce qui pourrait très bien se produire. Cessons de nous leurrer, de modérer nos anxiétés, et faisons le constat de ce que cette société est en train de vivre…

Depuis la seconde guerre mondiale, nous avons accepté l’hégémonie sur le monde d’un Etat mégalomane, nous avons accepté que ces Etats-Unis nous dictent la voie à suivre. Incapable de choisir notre propre système de valeurs, nous avons cru bon d’adopter les salades libérales de ses économistes fourvoyés, de ces chercheurs d’or d’un genre nouveau. Et, de la même façon que les anciens colons du temps de la conquête de l’Ouest ont écrasés à coups de bottes les indiens présents sur leur passage, les libéraux ont écrasés de leur talon de fer des millions de gens à travers le monde, pour la seule satisfaction de leur fièvre capitaliste. Et quelles que soient les évolutions ignobles du dogme libéral, nous continuons de le prendre pour référence dans la construction de notre monde. Ses théoriciens ont beau avoir dit des inepties telles que « les pauvres sont pauvres parce qu’ils n’ont pas la volonté de s’en sortir », nous continuons à les bénir pour leur arithmétique du profit. Et nous les suivons dans leur mégalomanie impérialiste, nous nous réjouissons que les trusts colonisent le monde et imposent leurs normes à l’ensemble du globe. Nous nous réjouissons encore qu’ils s’offrent des instances de direction (GATT, OMC, FMI et autres G8) qui se foutent des lois humaines et décident de manière autocratique de la destinée planétaire. Et les voilà qui s’installent grassement à la présidence et sur les bancs de nos gouvernements, reprenant leurs doctrines pour les inoculer dans nos lois, faisant de la concurrence, du profit et de l’individualisme les valeurs fondamentales de nos constitutions. Et que certains de ces rénovateurs aient milité dans leur jeunesse pour des groupuscules d’extrême droite (GUD, Unité Radicale…) ou des mouvements anti-ouvriers (anti-grèves), cela ne nous choque pas pour le moins du monde ! Que sommes nous devenus pour accepter des galvaudeux à notre tête ?

Il ne faut pas s’étonner que des anciens adeptes de groupes puristes et élitistes, pour ne pas dire xénophobes, se prennent d’amour pour l’ordre et la sécurité et redoublent d’inventivité pour transformer l’espace public en camps retranché. Vigie Pirates, caméras de surveillance, fichage, puces, drones, brigades anti-criminelles, brigades anti-terroristes… Les anciens capitalistes en rêvaient, les libéraux l’ont fait : désormais le peuple est sous contrôle et les dominants peuvent dormir tranquilles. Combien de caméras faudra-t-il encore pour qu’on se rende compte que la révolte perd doucement toute ses chances d’éclore ? Faudra-t-il que, à l’image de l’Angleterre, nous vivions le cauchemar d’Orwell (1984) pour qu’enfin nous fassions éclater notre colère ? Et ce sera trop tard pour se regrouper, former des mouvements et lancer des actions. Et une grande partie d’entre nous continue de croire dans la logique des partis, se réjouit de militer pour les JC, le « nouveau parti anti-capitaliste » ou encore les jeunes verts. Et pire, la plupart continue à placer sa vie dans les mains des syndicats de toutes tendances confondues, à marcher tel un troupeau sur les trajectoires contrôlées du préfet de police. Mais je cesse de suite mon discours moraliste, pour continuer sur ce qui me rebute…

Les libéraux sont donc bels et bien là. Ils sont la nouvelle noblesse, les nouveaux oligarques. Et n’ayons pas peur d’utiliser ces termes qui les décrivent avec justesse. Un homme qui cumule sa charge politique avec la perception de dividendes de la part de plus grosses entreprises du pays dont il a la gestion, c’est un oligarque. Le spectre de la démocratie subsiste pour cacher avec peine le visage blême de l’oligarchie. Et personne dans cet état des choses n’osera s’offusquer des amitiés tissées entre politiques et patrons, entre politiques et journalistes, sans paraître aussitôt bien naïf. Alors pourquoi se voiler davantage ? Pourquoi garder les masques alors que la séparation des pouvoirs est remise en cause, alors que le droit de grève est détruit par le service minimum, que l’université passe au privé, que l’école est démantelée après avoir été rendue moribonde, que l’Etat se dote d’un ministère de l’Identité nationale pour faire la chasse aux étrangers, que l’ensemble des services publics sont bradés pour combler les déficits engrangés par un Etat incompétent, que l’Hôpital public souffre d’un manque chronique de personnel et de moyens, qu’on envoie des gardes mobiles cogner sur des lycéens de 15-17 ans, qu’on rend légale la culture d’OGM, que l’on supprime des tribunaux, des écoles, des postes, que les prix alimentaires et des énergies atteignent des sommets, que les entreprises licencient par grappes leurs salariés, se délocalisent, tout en faisant des bénéfices inconsidérés et en offrant des indemnités de licenciement faramineuses à leurs patrons… Au regard de toutes ces destructions organisées, de ces dérégulations, du nombre de chômeurs et de travailleurs pauvres, de la situation de millions de familles en banlieues des villes, comment notre colère peut-elle rester encore à l’état de cocon ?

Et là, je regarde sur mon écran la situation de ces sans papiers des Hauts-de-Seine, qui trient les déchets à la main pendant 12 heures par jours, sans protections et sans sécurité sociale, pour moins de 50 euros par jour, sans douche et dormant dans des conteneurs… Je reprendrais seulement mon commentaire sur Rue 89 pour finir cet article : La lutte des sans-papiers n’est qu’une nouvelle forme de la lutte des « sans rien » face à une machine bien rodée qui a su en un siècle réduire au silence les ouvriers de nos pays et croit désormais pouvoir réduire en esclavage les travailleurs étrangers. Réminiscence écoeurante du capitalisme d’autrefois ou nouvelle progression du Talon de fer, nous vivons et voyons devant nous la décrépitude du social et l’évolution fascisante du système libéral. Interrogez-vous sur ces nouveaux commissariats haut de gamme qui fleurissent ça et là sur notre territoire. Interrogez-vous sur les migrants de Calais qui sont guère mieux traités que des animaux. Interrogez-vous sur le gant de fer qui se resserre autour des dissidents et contradicteurs. Interrogez-vous tout simplement sur le sort misérable des millions de chômeurs et travailleurs pauvres. Nous aurons beau nous voiler la face et nous offusquer gentiment devant toutes les vomissures dont le système actuel est capable, rien ne s’arrangera tant que nous ne réagirons pas SYSTEMATIQUEMENT à chaque offense, chaque abus, chaque insulte à nos droits élémentaires, en faisant barrage de notre corps et de nos vies. Disons les choses crûment et n’ayons plus honte de paraître en colère : Sus à notre sale confort qui nous enchaîne et entrons dans la lutte !

Si cet article sucite des volonté de s’organiser, contactez-moi sur mon adresse : eunous GRV live.fr.

Après premier contact, aucun autre mail ne sera transmis et tout se discutera de vive voix ou par fixe.

Eunous