Avec la réforme des universités (LRU), on voit déjà une augmentation des frais d’inscription dans les universités qui ont mis en place cette réforme (cf Paris-Dauphine dont l’inscription en DU pourrait passer de 400 à 1600E). Bien sûr, aucune ligne dans la loi sur une obligation de ces frais (et une précarisation des personnels qui l’accompagne, ainsi que le manque de matériel), ce derrière quoi les dirigeants se cachent : il s’agit « seulement » d’une conséquence évidente.

Les filières dites « non-rentables » commencent déjà à être laminées. Le renforcement de la présence (notamment au conseil d’administration) du secteur privé se met en place, avec des conséquences déjà sensibles : culture et savoir laissés à l’abandon au profit de la seule formation, création d’une main d’œuvre bon marché, dépendance (financière et intellectuelle) vis-à-vis du privé pour l’obtention de financements (on entend déjà des « conseils » sur l’orientation des recherches des doctorants ou master recherche, ou sur une mise en forme plus « modérée » des comptes-rendus).

Par ailleurs, des procédures administratives sont déjà mises en place pour établir une sélection qui ne dit pas son nom.
Cela a aussi été une attaque frontale sur l’un des bastions de résistance (avec les cheminots), dénigré ouvertement par les médias, qui a affaibli tout le corps social. La stratégie est évidente : s’attaquer aux contestataires traditionnels en les faisant passer pour des privilégiés et des imbéciles pour rôder la mise en place des réformes.
En même temps surgissait la mise en place du Bac pro en trois ans (suppression du BEP), quelque peu passé inaperçu. Cette réforme va permettre aux entreprises de recruter à moindre frais. En plus de la suppression de postes et de filières qui vont l’accompagner.

D’ailleurs, c’est le point central visant l’Education Nationale : réduire de moitié le nombre de ses fonctionnaires. Il paraît qu’il y a trop de monde, soit, mais alors où sont-ils : les classes sont surchargées, le personnel encadrant insuffisant etc.). Par exemple, dans un lycée caennais, 11 postes de profs sont menacés, ainsi que des postes de secrétaire, alors que c’est l’équivalent d’un poste et demi de surveillant qui a disparu en une année.

Il s’agit aussi de précariser largement une profession : continuer l’utilisation généralisée d’enseignants précaires (vacataires, contractuels), payés au rabais, appelés selon les besoins. Mais encore de pousser les enseignants, dépités, à créer des établissements privés. C’est d’ailleurs le but affiché de l’OCDE : au sujet d’une éducation « considérée comme un service rendu au monde économique », pour reprendre les termes du rapport de la table ronde européenne des industries de février 1995, l’OCDE l’explicite assez bien. Voilà ce qu’y est dit dans « Adult Learning and Technology in OECD Countries » (OCDE, 1995) : l’éducation doit être assurée « par des prestataires de services éducatifs », tandis que les pouvoirs publics doivent se contenter d’ « assurer l’accès à l’apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable et dont l’exclusion de la société s’accentuera à mesure que d’autres vont continuer de progresser ». Le projet est d’abandonner l’éducation au privé qui formera des travailleurs selon les exigences du marché (conformisme, conditionnement), sauf pour les exclus (qui ?) qui seront gérés et contrôlés par un service public d’éducation. Afin d’assurer une certaine paix sociale.
La suppression du CAPES serait en projet, ce qui n’est pas un problème en soi, mais pour être remplacé par un master pro de l’enseignement avec une formation explicitement tournée vers le secteur privé (promotion des conjonctions avec les entreprises). A quand le prof manager ?

C’est l’abandon pur et simple de la « mission » culturelle et citoyenne (pas au sens républicain, mais au sens de membre actif et reconnu de la polis), jamais véritablement appliquée, toujours confrontée à des logiques utilitaires-marchandes, mais aujourd’hui niée et détruite. On ne parle que de formation, et non d’éducation, depuis longtemps sur le site du Ministère de l’Education.

Nous nous refusons de défendre les services publics sous la formes étatiste, tout comme l’éducation telle qu’elle a été et est faite. Même les expériences alternatives (mouvement Freinet par exemple) sont vouées à rester insuffisantes, parce qu’insérées au système scolaire global (et il ne peut pas en être autrement). Mais nous dénonçons avec véhémence la désintégration du système scolaire déjà pourri. Il y a fort à parier que l’exclusion, les inégalités, l’angoisse (déjà perceptible, chez les personnels comme chez les élèves à l’avenir « radieux ») et les violences vont exploser. Alors on construit des prisons. Ils n’auront pas la paix sociale. A nous de construire intelligemment la lutte, par le rassemblement des enseignants, des autres personnels, des élèves et des parents d’élèves. Et plus largement de toute la société ; en dépassant une critique défensive et corporatiste ; par l’action directe et en inventant d’autres formes de partage/ transmission de savoirs ; en se mettant de nouveau à parler entre générations et entre catégories. On se prépare à vivre des temps difficiles. A nous de faire en sorte que ceux qui se croient à l’abri à nos dépends ne le soient nulle part.