universités – Libéralisation des esprits

Publié jeudi 24 janvier 2008

Thésard chapeauté par un industriel à l’université de Lyon1, témoin direct des conséquences dramatiques que les concepts idéologiques du libéralisme ont sur l’organisation de la recherche et de l’enseignement, j’écris ces quelques lignes sur ce qui me semble être une libéralisation des esprits universitaires.

La LRU enfonce le clou sur l’idée que le gouvernement se fait de l’organisation de l’université, de sa gestion, et de son rôle. Présentée comme un salut économique, l’université y est livrée en pâture aux grands groupes industriels.
Ce phénomène, loin d’être nouveau, s’accompagne d’un façonnement des consciences au sein même des facultés.
Dans le domaine des sciences industrialisables (physique, chimie, bio, etc..) la gangrène progresse à tous les niveaux !

Ce qui suit est spécialement dédicacé à l’université Lyon 1, qui fait preuve de bon élève aux yeux du MEDEF dans sa politique « d’ouverture » sur les entreprises.
Libéralisation de l’enseignement

Les formations de type professionnelles (IUP, DUT ou DESS) se multiplient de plus en plus, et quasiment toutes les filières fondamentales possèdent un, voire plusieurs équivalents orientés insertion en entreprise.
La création de ses formations répond le plus souvent à une attente du marché de l’emploi. Beaucoup d’étudiants se laissent séduire en espérant se préserver d’un avenir marqué par le chômage et la précarité.
Ce phénomène n’est évidemment pas un hasard et découle des choix politiques des gouvernements successifs [1].

Ainsi il est devenu très courant d’avoir certains enseignements dispensés par des ingénieurs ou des patrons qui, bien évidemment, proposent des stages, et promettent des CDD ou CDI. Ces pratiques sont présentées comme des « ouvertures » sur l’entreprise afin que les étudiants comprennent mieux les attentes des industriels.
C’est ainsi que les émissaires du patronat sont autorisés à venir déverser leur propagande de bonne conduite libérale pour s’assurer de la docilité de leur future main d’oeuvre.
On dresse les étudiants à accepter l’organisation de l’entreprise telle qu’elle existe. Rien d’étonnant là-dedans, quand on sait que le système scolaire véhicule des valeurs de dominations qui structurent la société tout entière.

À titre d’exemple, on peut lire sur le site de Lyon 1, pour la présentation du master professionnel Physique et Technologie (M2) – Caractérisation et Gestion de l’Atmosphère , dans la rubrique « partenariat et moyen pédagogiques » : “Cette formation […] a été élaborée en partenariat étroit avec : (en première position) les industries de production (chimie fine R.P, pétrochimie Total, énergétique nucléaire EDF, COGEMA, AREVA), le pôle de compétitivité AXELERA, etc…”
La plaquette annonce même que certains cours seront donnés par des industriels. On voit ici que cette collaboration “étroite” est présentée comme un atout, et cet argument est très bien reçu par les étudiants.

Dans ce type de formation (très à la mode) les objectifs et les partenaires sont clairement affichés, pas besoin de détours. Les programmes sont définis selon les besoins du marché, et certains se font grassement payer pour venir prêcher la bonne parole.
Comment et qui choisit ces « intervenants » ? On imagine aisément qu’il n’y a aucun contrôle officiel et qu’il suffit d’appartenir à une entreprise « innovante » pour avoir ses entrées dans les salles de cours.

Le phénomène n’épargne pas les formations doctorales : on impose aux thésards de suivre des « modules d’insertion ». Ces modules sont obligatoires et rentrent en compte dans l’obtention du titre de docteur. Les thèmes abordés vont de « savoir rédiger un cv », à « comprendre la logique de l’espionnage industriel », en passant par « comment valoriser sa thèse pour mieux se vendre aux entreprises ».
Il se met en place tout un arsenal de propagande visant non seulement à attirer les doctorants dans les milieux industriels, mais également à convaincre l’entreprise de venir investir dans l’université.

Ainsi l’Association Bernard Grégory [2], dans le hors série de décembre 2007 de son magazine « Docteur & Co » , donne libre parole à Laurence Parisot pour promouvoir les relations entreprises – docteurs. On peut y lire notamment ceci : “35%. C’est la proportion de docteurs qui se dirigent vers l’entreprise après leur thèse. Ce pourcentage révèle à la fois l’attrait de l’entreprise pour les docteurs et la marge de progression encore envisageable.”
Ça a le mérite d’être clair, pour le MEDEF 35% ce n’est pas suffisant. Peut-être leur faudrait-il 100% ? À ce rythme là, les connaissances ne seront plus publiques, mais dans les mains des grands groupes financiers.

Autre exemple de propagande : la JED (Journée Entreprises Doctorants) qui aura lieu le 7 février 2008. Chapeautée par la Fédération Syntec, organisme patronal et relais de propagande du MEDEF, cette journée « a pour objectif de rapprocher le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche avec celui de l’entreprise ». Tout un programme.

Etre compétitif, savoir se vendre, répondre aux attentes techniques des industries, avoir la « culture d’entreprise », etc… Voila ce que l’université nous apprend de plus en plus.
Cette logique progresse très rapidement et contribue non seulement à l’affaiblissement des filières fondamentales, malheureusement de plus en plus soumises elles aussi aux règles du marché, mais également à faire accepter et intégrer complètement cette logique libérale du travail.
Libéralisation de la recherche

Les premiers touchés par cette vague libérale sont les thésards, acteurs essentiels (et exploités) dans le monde de la recherche.
Avec la prolifération des bourses CIFRE (Conventions Industrielles de Formation par la REcherche), l’État favorise de plus en plus les subventions aux entreprises au détriment des bourses ministérielles. La logique est assez simple : en échange de la subvention de l’État (équivalente à une bourse normale), l’entreprise fait signer un contrat de travail au thésard et signe un contrat de collaboration avec le laboratoire d’accueil.
Les bourses CIFRE apportent aux laboratoires non seulement un étudiant, comme dans le cas de bourses ministérielles, mais aussi des sommes d’argent importantes, qui constituent bien souvent des apports financiers très loin d’être négligeables ! Pour les industries, l’opération est extrêmement intéressante car, pour un investissement très minime, ces contrats leur donne accès non seulement aux compétences, savoirs et équipements des équipes de recherche, mais également à la propriété intellectuelle des travaux effectués.

Cette prostitution du savoir coûte très cher à la liberté des recherches. Poussée par le besoin de financement, l’université se transforme en véritable entreprise de prestations et cela a des répercussions dans l’organisation du travail.
Certaines personnes se spécialisent dans la chasse au contrat. Les recherches, études ou analyses doivent être effectuées dans un délai imposé par l’industriel.
Pour des petits laboratoires universitaires non CNRS, l’activité de recherche tourne quasi-exclusivement autour des contrats industriels. Les structures plus importantes arrivent tant bien que mal à dégager du temps et de l’argent pour des programmes de recherche moins liés aux demandes du marché.

L’ « industrialisation » de l’université semble aussi avoir déteint sur la recherche fondamentale. Sous prétexte de mieux cibler les financements, il est très courant de devoir justifier la mise en place d’un projet avec une application concrète à court, moyen ou long terme. Autrement dit, on raisonne en termes de productivité – le concret du projet – et d’efficacité – l’échéancier de sa réalisation.
On peut fortement douter de la pertinence de telles valeurs pour évaluer la qualité d’un travail, surtout dans le domaine de la recherche. Valeurs directement héritées du productivisme. Et on imagine assez bien que ces critères sont un moyen de contrôle efficace sur les activités scientifiques.

Dans le même registre, il existe le système de publication scientifique sur lequel des indicateurs sont calculés selon des critères établis par le « marché du savoir dominant ».

La gangrène libérale progresse, et malheureusement beaucoup d’enseignants-chercheurs restent complétement démobilisés. Le personnel de l’université est fortement divisé, que se soit entre laboratoires ou entre catégories professionnelles.
La LRU va amplifier encore plus la situation en précarisant les salariés. La technique est bien rodée, la libéralisation avance…

Universitaires, ne courbez plus l’échine devant le patronat, car vous finirez par ramper à leurs pieds !

[1] Bernard Convert l’explique très bien dans son livre « Impasses de la démocratisation scolaire » édition Raison d’Agir.

[2] Il s’agit d’une association pour les thésards et jeunes docteurs dont le mots d’ordre est « de la thèse à l’emploi ». On peut y trouver des thèses, post-doc, boulots, etc.. étalage de précarité et vitrine pour les entreprises, on comprend mieux pourquoi ils donnent parole libre au medef.