Cher[e]s collègues de Rennes 2 et des autres universités,

A notre grand soulagement, notre université retrouve progressivement son calme. Ouf ! Notre tranquillité est sauve et la manière dont le mouvement a été sabré par la présidence, l’administration et nos collègues de droite nous a évité de devoir assumer des positions qui auraient, nous le savons, impliqué des actes forts et des conséquences importantes !

Chers camarades, être de gauche devient bien trop engageant et il était vraiment moins une que nous soyons poussés à faire ce choix désagréable de prendre position pour les grévistes et de devoir agir auprès d’eux, ou bien d’être reconnus et désignés pour ce que nous sommes : d’infames imposteurs profs de gauche vivant, agissant voire pensant à droite ! Cela m’aurait vraiment chagriné d’être reconnu pour ce que je voudrais ne pas être mais que je suis en effet devenu… Mais tant que les étudiants ne s’en rendent pas trop compte, tout va bien… Jusqu’ici, tout va bien… Maintenons-les donc dans la confusion…

En effet, maintenant que le retour à la normale semble acquis, qu’un mouvement risque d’être difficile à relancer et que cela n’engage donc plus à rien, je pense que nous pouvons nous engager sereinement et fictivement dans le combat contre la LRU et sauver notre honneur et notre réputation de « profs de gauche » mobilisés en toute circonstance.

En effet, il y a des AG de filières organisées dans les différents UFR chaque jeudi. Je crois que nous devrions y participer… Qu’en pensez-vous ? Prenons le temps d’en discuter ce sera autant de temps de gagner. Je le répète, cela n’engage plus à rien sinon quelques discours un peu virulents expliquant les aspects dramatiques de la loi LRU. Les étudiants modérés qui attendaient un signe de notre part seront satisfaits, et notre crédibilité aux yeux de l’ensemble du monde universitaire, lorsqu’il faudra tenir un discours de prof « engagé » dans un colloque ou une conférence, sera assurée.

Bien sûr il y aura à ces AG quelques autonomes pour nous rappeler que cette loi s’inscrit dans toute une logique libérale contre laquelle nous devrions aussi nous mobiliser. Bien sûr ils insisteront sur le fait que leur idée de la transmission des savoirs va bien au-delà des murs de l’université, que tout est lié, que les étudiants ne se satisfont déjà pas des conditions actuelles d’enseignement et des rapports profs/étudiants qui sont entretenus ici, qui sont à l’image de ce monde et qui garantissent pourtant notre statut. Il faudra alors s’appuyer sur le travail de stigmatisation de ces individus comme « dangereux terroristes » pour réaffirmer que tout cela est nécessairement ridicule et que nous ne sommes pas venus pour discuter de cela. Il faudra rester droits dans nos bottes de profs et recentrer les débats autour de la LRU, informant et informant toujours de ses risques sans jamais aller au-delà. Nous devons ne pas nous éloigner du contenu de cette loi et esquiver les remarques de ces individus car requestionner le fonctionnement institutionnel de l’université pourrait réveiller les esprits des étudiants, les révolter, et devenir pour nous bien trop engageant.

Bien sûr alors, il y aura encore quelques autonomes pour nous inviter à poser des actions pour réagir à la menace des réformes et de celle-ci en particulier. Ils nous diront que c’est bien beau de faire des constats dramatiques sur l’application de cette loi mais qu’il faudrait peut-être poser des actes pour avoir une chance d’établir un rapport de force avec le gouvernement et de faire sauter la réforme et tout le reste. Il faudra alors dire que tout le monde n’est pas encore informé du contenu de cette loi et que nous, en tant que profs, avons surtout cette fonction et cette responsabilité. Il faudra le répéter et répéter sans fin afin de reculer au maximum le moment où nous ne pourrons plus reculer, ou nous devrons agir ou alors avouer que nous sommes en fait de l’autre côté. En tout cas, il faudra absolument éviter de revenir sur le mouvement qui a heureusement avorté. Ne pas affirmer comme ça a été fait à l’une de ces AG de filières que si les étudiants, au lieu de bloquer, étaient allés séquestrer Gontard, ils auraient eu le soutien de toute la communauté universitaire. D’abord, nous risquerions d’avoir des ennuies avec notre hiérarchie et en plus, à cette déclaration l’autre jour, les autonomes ont proposé d’y aller immédiatement puisque la fac était débloquée et que nous, profs, étions là, prêts à les soutenir dans cette action si aimablement proposée par l’un d’entre nous… Nous avons été obligé de reconnaître que nous ne le sentions pas, que nous avions peur… et les autonomes ont alors pointé du doigt notre malhonnêteté intellectuelle. Cette déclaration d’un collègue nous a donc mis dans l’embarras et fait perdre la face et notre supériorité face à ces petits cons d’étudiants. Attention donc à ce que vous dites, ils sont malins et dangereux pour nous, nos statuts, notre position et notre tranquilité au sein de cette fac…

Il y a aussi la pétition du collectif « Sauvons l’université » que vous pouvez signer. Là encore, nous savons que les pétitions ne mènent à rien. Attention tout de même, certains profs un peu trop virulent et proches des étudiants radicaux qui osent agir, signent cette pétition et organisent des coordinations nationales de personnels auxquelles il ne faudrait pas que nous nous trouvions obligés de nous rendre. Et puis laisser votre nom est déjà bien plus engageant que de faire un peu de théâtre dans un amphi…

Car je le répète, seules les paroles, proclamées comme ça, de manière plus ou moins anonyme quinze jours après la fin d’un mouvement, n’engagent à rien. Mais le moment de les assumer en actes si !

Cher[e]s collègues de Rennes 2 attention donc à ce que les masques ne vous soit arrachés.

ENGAGEZ-VOUS CAMARADES, çA N’ENGAGE A RIEN !