SUR LA MALHONNETETE INTELLECTUELLE EN MILIEU UNIVERSITAIRE

Se répand sur les campus actuellement, un questionnement, une incompréhension des étudiants face à ceux qui, hier encore, se prétendaient être les alliés, voire les garants du savoir, de la critique et de la liberté de la jeune génération.

Pourquoi les professeurs, ceux qui se revendiquent contre les mesures du gouvernement, contre ses lois et ses réformes, favorables à un mouvement social, ne parviennent-ils jamais à prendre effectivement (dans ses effets) part à la grève ?
Pourquoi le fait de ne pouvoir assumer cette position de gréviste les poussent-ils même à adopter une posture inverse ou fuyante, allant jusqu’à participer aux milices crées par leur hiérarchie ; acceptant sans broncher (ou, pour d’autres, en ne faisant justement QUE broncher) l’intervention des forces de l’ordre dans leur établissement ; se persuadant de la véracité du grotesque tissu de mensonges relayé par les médias ; tentant de faire croire que les risques, les formes et les méthodes de la grève sont les causes de la rupture et que nous, les grévistes, détenons donc l’entière responsabilité de leur absence.

Ils oublieront. On oublie très vite ce genre de comportements et leurs conséquences, dont on n’est pas forcément très fier mais dont on s’est persuadé, tous ensemble, dans l’élan d’une AG statutaire présidée par sa hiérarchie, qu’on a bien fait, qu’on n’avait pas le choix et que ça allait dans l’intérêt de tous… (et surtout de certains).

Mais les étudiants, eux, oublieront-ils si le retour devant leurs professeurs devait se faire « comme avant », « normalement »?

En adoptant cette posture, le corps professoral nie la responsabilité commune des étudiants et des profs face à l’attaque qui est faite à nos lieux d’étude et de recherche. Ils nient surtout notre responsabilité commune du présent et l’attaque qui NOUS est faite.

Nous les grévistes, sommes encore une minorité… la faute à qui, sinon aux éternels absents ? Nous sommes une minorité mais avons pris position. Nous sommes là où nous devons être par rapport aux idées que nous portons et face à ce qui nous est imposé chaque jour en sein de nos établissements intellectuellement puants ; de nos boulots de survie, de nos logements plus ou moins étriqués et minables, de nos perspectives bouchées, de nos villes inhumaines, et de nos vies que nous sentons de plus en plus dirigées. Nous agissons en conséquence d’un contexte, sans attendre de la part des autres que les formes du mouvement nous conviennent, mais plutôt en agissant nous-mêmes sur ces formes, malgré nos oppositions, pour que celles-ci tendent à nous convenir et qu’elles aient quelques conséquences sur le monde contre lequel nous luttons.
Les milices et autres spectateurs de la grève prétendument contre la LRU, eux, ne se positionnent toujours qu’en fonction du plus grand nombre. Il faut être du côté du nombre, toujours attendre le confort des masses et l’anonymat ou l’absence qu’elles peuvent garantir ; ou pire, ne pas être du tout, absent du débat, quitte à agir ou laisser agir en désaccord avec ses propres convictions.
Et ça prétend soutenir, savoir et donner des leçons depuis les méthodes et l’histoire des luttes et des acquis sociaux jusqu’à la façon de tenir propres des locaux! Pire encore, ça vient nous dire, la bouche en cœur, que nous nous y prenons mal, que nous détruisons notre outil de travail plus encore c’est sûre que la LRU, que la prétention intellectuelle de certains chercheurs, que l’autorité de l’administration, que les flics qui occupent nos campus ! Oui ça donne des leçons, ça ne sait d’ailleurs plus faire que ça ! Laissez nous vous dire qu’affirmer son soutien entre deux portes ne soutient rien ! Que nous saturons des donneurs de leçons ! Quelle prétention pour cacher une si grande naïveté sur la réalité sociale et politique de ce monde ! Quelle misère intellectuelle pour une élite !

Quelle malhonnêteté surtout ! Car soyons clairs, ce qui entrave l’action du personnel enseignant des universités, ce n’est pas tant que ça la forme et les méthodes mises en place par le mouvement et que personne par ailleurs ne leur demande d’adopter. Ces personnels ne sont simplement pas capables d’en inventer d’autres, efficaces, et de les mettre en place.
Non, ce qui empêche les profs de se mobiliser est bien plus complexe et bien moins honorable que la lucidité qu’ils prétendent avoir, toujours depuis l’extérieur, sur notre mouvement. Ce qui les neutralise c’est la peur de leur hiérarchie, le confort de leur condition et l’arrogance de leur statut.

Inutile de revenir longuement ici sur les pressions de la hiérarchie. Tout le monde a pu constater à quel point les présidents d’université ont été capables de manipulations et de pressions sur leurs personnels, les persuadant du danger d’un mouvement pour la survie de leur fac là où ils défendent surtout leur propre place dorénavant soumise à la concurrence, à l’examen des chefs d’entreprises, à l’autorité d’un gouvernement fascisant. Ces managers du savoir ont mis un point d’honneur à persuader leurs petites mains de l’aspect « contre-productif » du blocage. Productif/contre-productif, des termes d’hors et déjà aussi récurrents dans la bouche des personnels que majorité/minorité, légitimité/illégitimité dans celle des contre-bloqueurs… Des termes à enregistrer pour un avenir ou le minoritaire et le non rentable n’auront plus droit de cité!
L’attitude et les propos mensongers des présidents d’université, téléphone rouge du ministère greffé à l’oreille, tend à pousser ainsi les profs à tout accepter pour le maintient de nos universités dans n’importes quelles conditions y compris celles à venir de facs soumises aux intérêts privés. Ils sont à présent tout disposés à créer des milices pour en découdre avec les « spécimens révolutionnaires » décrits dans les médias gouvernementaux ou à faire pression sur les grévistes (menace de suspension de contrats de vacataires, de représailles sur la notation des contrôles continus, suspension de stages…)

Nul besoin non plus de s’attarder sur le confort de la condition du personnel enseignant. 26 000 euros brut annuel en début de carrière pour les maîtres de conf., 33 000 euros pour les professeurs-chercheurs… et jusqu’à près de 70 000 euros annuel en fin de carrière. Du peu qu’il y ait deux salaires du même acabit… De quoi continuer de penser à gauche tout en vivant tout à fait à droite ! Assez en tout cas pour visiblement ne plus voir la nécessité de se mobiliser. De quoi poursuivre paisiblement l’examen de son nombril et se questionner sur la bonne place de son dernier article signé dans sa revue spécialisée préférée, bien au chaud dans ses pantoufles pendant que les étudiants se battent au rythme du bruit des bottes.

Mais ce qui est bien plus intéressant encore c’est l’arrogance que sous-tend le statut de professeur-chercheur ; la manière dont ce titre conditionne la non-mobilisation sinon l’inertie du corps enseignant.
Ce qu’un mouvement étudiant et les situations qu’il crée peut dévoiler de la prétention universitaire est révélateur des rapports nauséabonds qui existent en permanence entre les profs et leurs étudiants. Des rapports qu’entretient le contexte « normal » et « tranquille » que ces mêmes profs souhaitent au plus vite retrouver mais que les étudiants ne pourront bientôt plus (ré)accepter. C’est aussi extrêmement révélateur d’un rapport au savoir qui doit être remis en question.

Un prof ne pourra-t-il jamais prendre effectivement part au mouvement ?

… Au plus mènera-t-il sa petite grève corpo parallèle entre orga syndicales, deux ou trois jours par mois, aux heures de mobilisations nationales.
Car prendre réellement part au mouvement signifierait rétablir un rapport d’égalité avec les étudiants, or on ne mélange pas les savants et les ignorants. S’abaisser à partager la grève, des moments de grève, un repas, une discussion basée sur l’échange plutôt que sur le gavage, une action, un dortoir… est de toute évidence quelque chose d’inimaginable pour un prof. Agir et décider en commun semble une idée insupportable. Il y perdrait inévitablement sa posture de dominant, son statut particulier, sa dimension d’élite.
Son inscription dans un mouvement commun l’amputerait du contrôle individuel qu’il a en toute circonstance sur les choses. Et le sage n’accepte pas que quoique ce soit le déborde.
Il préfère donc sa position d’intellectuel pensant, et bien-pensant tant qu’à faire, face aux écervelés de l’occupation des facs… Il préfère son statut de théoricien qui le dégage de l’action et des tâches ingrates de l’organisation de la grève, qu’il réserve du coup à d’autres. Il se place donc au mieux en posture de spectateur face aux acteurs du mouvement… La très confortable position de spectateur qu’il brandit comme garante de son objectivité intellectuelle, qui le dispense d’assumer en acte sa position politique et qui est surtout la preuve flagrante d’une grande malhonnêteté intellectuelle qui cache mal une réelle prétention et un manque de courage évident!

Le fait est que la plupart des enseignants-chercheurs tiennent bien trop à leur fameux statut d’élite. Ils pensent leur savoir tout puissant, et le placent au dessus et même au-delà de tout, y compris des orientations politiques de ce pays !

Un prof peut être tellement aliéné à sa condition de prof que si vous lui dites que vous comblez largement le manque de cours par l’enrichissement personnel que vous apporte l’expérience de la grève, vous l’anéantissez littéralement! Il y a une telle sacralisation du contenu de leur cours chez les enseignants qu’il est impensable pour eux de suspendre le déroulement normal des choses pour s’inscrire dans une lutte commune et de se dire que vraiment, dans un contexte si particulier, cela peut-être bien plus enrichissant et important qu’un TD ou qu’un magistral cours.
Si vous insistez, ils n’hésiteront pas à vous tenir le grand discours humaniste sur leur rôle de passeur de savoir là où nous les accusons de faire de la rétention.

Car ce que le prof dispense depuis son amphi à ses étudiants ne constituent nullement l’objet et l’intérêt de sa recherche. Nous n’avons le droit qu’aux banalités de programmes décervelants. Le prof qui nous affirme que son savoir est infini mais que nous ne sommes capables d’en recevoir qu’une partie, garde en fait le reste pour plus savant, les lecteurs de revues spé, les amateurs de colloques internationaux voire les chefs d’entreprises susceptibles, plus que vous, d’assurer sa renommée. Le vrai savoir intéressant, il tient (ô comble de l’idée d’enseignement et de transmission) à le garder pour lui, pour ses confrères érudits, et pour tout ce qui, de manière générale, peut être signé et reconnu. Et ce que cela laisse présager du mépris des professeurs envers leurs étudiants est bien inquiétant.

Voilà pourquoi un prof ne semble pouvoir prendre effectivement part au mouvement. Parce qu’exactement comme les occupants des facs cessent d’être étudiants au moment même où ils s’engagent dans la grève, luttant ainsi tous ensemble avec les chômeurs, les salariés, les précaires, les lycéens, les jeunes des banlieues… s’inscrire dans la lutte c’est simplement ETRE LÀ, CESSER D’ETRE PROF et renoncer, au moins pour un temps, à son statut. S’inscrire dans une lutte c’est de manière inconditionnelle rétablir ce rapport d’égalité qui conditionne les prises de paroles, la répartition des tâches et des richesses, l’échange des savoirs, la participation et l’expression de tous… et c’est même probablement se battre pour.