Adresse aux personnels de l’université de Rennes 2
Après l’intervention de la police sur le campus de Villejean, dans la nuit du jeudi 15 au vendredi 16 Novembre 2007.

« Je crains que le mouvement ne reprenne, mais nous allons essayer de tenir bon. » Marc Gontard

Chacun va très vite savoir, s’il ne le sait pas encore ce dont il est question avec l’avènement de Nicolas Sarkozy et de son gouvernement. Deux formules résument l’essentiel de leur projet politique : « dépecer le programme du Conseil National de la Résistance » et « liquider l’esprit de mai 68 » . Ces deux évènements advenus dans des contextes très différents, portent pourtant des idées communes si incompatibles avec la guerre économique à laquelle nos élites voudraient nous voir nous soumettre sans discuter. Parmi ces idées, citons pêle-mêle, la vraie démocratie au sens de l’égalité, de la capacité de n’importe qui (même si on n’a pas le titre de professeur ou d’expert pour le faire) à participer activement et inconditionnellement à la décision politique, corollairement l’esprit d’insoumission, le refus de la distinction au mérite et la solidarité matérielle au travers des luttes et des formes de protection sociale.
La LRU et la réforme des « régimes spéciaux » ont pour objectif d’éliminer deux des principaux foyers de résistance à la contre-réforme libérale. Ces obstacles éliminés, le dépeçage des conquêtes sociales ne devrait plus alors rencontrer de difficultés. Pour y parvenir, le gouvernement ne semble devoir reculer devant aucun moyen. Ainsi tente-il de réduire durablement le mouvement social en criminalisant les grévistes pour des motifs souvent fallacieux et des arrêtés de justice dans tous les cas illégitimes, en recourant à la violence pour intimider les plus déterminés comme les plus hésitants et à la désinformation la plus grossière. Les exemples ne manquent pas, ce n’est pas l’objet de ce texte. Enfin, il s’agit d’empêcher par tous les moyens de police disponibles la jonction des étudiants et des salariés en lutte, condition sine qua non pour faire basculer le rapport de force du côté des pauvres et des exploités.
Dans ce contexte, il apparaît nécessaire de constituer un front unitaire qui, sans taire les différences des uns et des autres, s’accorde pour les faire jouer dans le sens d’une unité exigeante à la mesure de l’enjeu. A ce titre, le développement des derniers évènements sur le campus qui a vu la présidence recourir à la police pour expulser des grévistes appelle une prise de position sans ambiguïté de chacun. Nous voulons ici clarifier ce point.

La direction de Rennes 2 qui aime signifier sa qualité de « gauche » nous permettra de juger sur pièce. Elle a incontestablement repris le discours dominant sur « les nécessités », « le principe de réalité » qui doivent conduire chacun à accepter la déferlante libérale et capitaliste. Certaines déclarations cherchent à prévenir tout mouvement de solidarité des personnels et à entamer la détermination des étudiants grévistes par la peur et le retournement en son contraire des vérités portées par la lutte dans les universités et chez les cheminots.
Prenons par exemple, l’accusation de « ternir l’image de Rennes 2 » martelée avec la force de la hiérarchie et de l’intimidation envoyée par la présidence au mouvement étudiant. Précisons que si image salie il y avait, ce serait celle de dizaines de facultés en grève hier lors « du CPE », aujourd’hui contre la LRU et l’ensemble des réformes initiées par le gouvernement. On peut également s’interroger sur le retour de l’opposition fascitoïde entre le propre et le sale pour désigner ce qui est juste ou injuste. Terminologie que nous avons entendue à nouveau pour décrire les conditions d’occupation du hall B. Au passage, on se demandera quelle image de Rennes 2 est cherchée par la présidence si tout mouvement de grève est capable de la ternir ? Dans ces conditions, on peut avancer qu’une bonne image de Rennes 2 serait celle d’une faculté « sage » pour parler à mots couverts, plus exactement soumises aux impératifs de gestion et de rentabilité des investissements privés à venir. Une mauvaise image serait celle d’une faculté composée de personnels et d’étudiants insoumis et rebelles à la mise en concurrence de tous et à l’affaiblissement du droit de tous à l’étude.
Cet aspect nous permet d’évoquer une seconde déclaration qui n’est en fait qu’un développement logique de la première : « Encore deux mouvements comme celui-là et je peux fermer l’université. » La présidence nous permet d’illustrer ici les effets immédiats de la LRU : l’impératif d’être une fac « comme il faut » doit passer au-dessus de tout, au prix de sacrifier la démocratie réelle, c’est-à-dire la capacité de tous, étudiants et personnels, à élaborer un désaccord et à se donner les moyens de le faire entendre dans la grève et l’action commune. Le prétexte que le pire est à venir ne peut constituer un argument solide pour combattre la révolte. Enfin, à prendre à la lettre cette dernière déclaration, on verra que c’est au contraire dans la solidarité de la lutte que les étudiants et les personnels pourront empêcher le démantèlement ou la normalisation de certaines filières d’enseignements ou encore les attaques présentes et à venir sur les conditions de travail de tous les personnels.
Aux discours appelant à être « responsable », c’est-à-dire ici à se déclarer impuissant face à l’offensive en cours et même à s’en faire les fonctionnaires zélés, la présidence a cru utile d’y ajouter la désignation des grévistes comme des « terroristes armés de barres de fer » et même, n’ayant pas peur du ridicule de « khmers rouges »( !). Chacun sourira de ses expressions avec quelque retenue toutefois dans la mesure où ces déclarations ont préparé l’intervention musclée de la police. Elle nous rappelle le sordide procédé coutumier des classes dirigeantes de désigner en les grévistes une classe dangereuse, avec des traits raciales (cf le registre de la propreté et de la saleté évoqué plus haut) à laquelle on ne doit aucun égard y compris juridique. En bref, il s’agit de désigner une catégorie de la population en la personne des grévistes, d’en faire de nouveaux « juifs », de nouveaux « communistes » contre lesquels aucun moyen n’est illégitime pour les mettre hors d’état de nuire. Citons des exemples concrets de moyens utilisés dès aujourd’hui par la présidence : la violence de la police, la menace de non renouvellement du contrat pour les grévistes sous CDD, ou encore la provocation par la violence physique en vue de contraindre les étudiants à de pénibles et coûteux procès.
On a dit aussi qu’il était nécessaire de mettre fin à la grève et à l’occupation en raison du coût financier qu’elles pouvaient présenter. En dépit du fait qu’il ne peut s’agir d’un argument ultime pour arrêter la lutte, on notera que quelques malheureux tags dans les amphis et quelques cours payants ( !) annulés ne sont rien à côté du coût que représente la mise en place d’un impressionnant dispositif policier permanent pour briser toute opposition.

En plus de ces déclarations particulièrement mesquines et scélérates, la présidence de Rennes 2 et ses soutiens se sont illustrés par des actes sans équivoque.
Tout d’abord, elle a soutenu les organisations anti-grève dans l’organisation d’un référendum à bulletin secret. Ce dispositif que Sarkozy cherche à institutionnaliser n’est pas nouveau, il a clairement pour objectif de rendre inopérant tout mouvement de grève. Il se fonde sur l’idée fausse qu’une lutte pour être légitime doit être majoritaire. Or la légitimité d’une lutte ne réside pas dans le consentement de la majorité, dans ce cas il faudrait réaliser des sondages avant toute velléité de lutte pour savoir si on peut la débuter ! Convenons de plus qu’une lutte n’est pas légitime à proprement parler à partir du nombre de ses soutiens ou de ses détracteurs mais de la justesse de sa contestation et des formes adéquates qu’elle a choisi pour la mener. A dire vrai, la légitimité démocratique n’est réelle qu’à condition d’imposer un espace tel que celui de l’assemblée générale ouvrant à chacun la possibilité de la discussion, de la délibération et de la prise de décision commune concernant des questions dont le règlement a été confisqué par une petite minorité de gouvernants à la très grande majorité du peuple. On demandera enfin qui acceptera le résultat d’un référendum dont les bureaux comme le dépouillement étaient inaccessibles à l’un des partis en liste, c’est dire celui des grévistes.
N’oublions pas au passage la constitution d’une milice prête à accomplir les plus basses besognes de police autour du Sgen Cfdt et des éléments les plus droitiers. Syndicat qui n’en finit pas de montrer son allégeance au pouvoir en organisant la répression à Rennes 2 et en appelant les cheminots à la reprise du travail.
Cette logique a trouvé sa forme d’accomplissement dans le recours par la présidence aux forces de l’ordre pour étouffer le mouvement social à Rennes 2.
A partir de là, il est évident, malgré les dénégations et l’innocence que l’on a coutume d’accorder généreusement aux dirigeants, que la présidence a choisit de prendre position contre le mouvement dans les universités et, si comme nous l’avons dit les luttes des salariés et des étudiants sont plus que jamais solidaires, dépendantes l’une de l’autre, contre le mouvement social dans son ensemble.
Dans ces conditions, nous appelons les personnels à manifester leur soutien au mouvement par l’arrêt du travail dès que possible et la participation active aux diverses instances du mouvement. Egalement à manifester collectivement leur réprobation vis à vis des déclarations, des actes passés et à venir de la présidence.
VIVE LA GREVE !
Rennes, le 19 novembre 2007.