Déjà, lors du dernier mouvement contre CPE, les assemblées générales qui se sont réunies dans les différentes universités s’étaient mises à voter sur tout et n’importe quoi : pour ou contre le CPE, pour ou contre le blocage des universités, etc. Ce faisant, des étudiants opposés au mouvement trouvaient place dans l’assemblée et pouvaient non seulement s’y exprimer mais encore voter contre les propositions qui y étaient faites : tandis que quelqu’un qui n’était pas étudiant mais qui pouvait être aussi concerné par le CPE ou le CNE que n’importe quel jeune inscrit à l’université se retrouvait exclu du même débat. Parfois même, sous la pression de la direction de l’université, des « consultations » à bulletin secret étaient organisées pour savoir si la fac serait bloquée ou rouverte : et ainsi, un acte illégal se trouvait-il paradoxalement rattrapé par la logique procédurière de la démocratie. À quand des débats et des votes avant de balancer des pierres sur les flics ?

Depuis mars 2006, la logique « démocratique » de déligitimation des mouvements sociaux s’est encore approfondie, victoire de Sarkozy aidant. Le summum de la caricature a été atteint par la direction de l’université de Paris I, qui, après avoir posé par Internet une question particulièrement alambiquée, clame partout que 75 % des étudiants s’opposent au blocage. Même procédé à Rennes, après un vote à bulletins secrets.

Doit-on renoncer à agir au vu de ces « résultats » ?

Il faut le dire clairement : ce qui donne sa raison d’être à un mouvement, ce n’est pas la légitimité tirée d’une pseudo-élection qui singe les procédures républicaines. Le blocage n’est pas valide parce que « cela a été voté ». Ce qui donne sa puissance à un mouvement c’est justement sa capacité à remettre en cause les cadres étroits de la domination ordinaire. Il n’y a aucune permission à demander à qui que ce soit avant de s’opposer en actes aux décrets du pouvoir qui nous oppresse. La sédition n’a pas besoin de se justifier. Elle est à elle-même sa propre justification.

À la différence du vote, qui est un acte passif par lequel on approuve ou on réprouve ce qui est et demeure de l’ordre du discours, la révolte se nourrit d’engagements réels. Si des centaines ou des milliers de personnes veulent bloquer une fac, il leur suffit de s’organiser pour le faire. Si elles ne sont que dix, leur petit nombre les empêchera tout simplement d’agir, sans qu’il y ait besoin d’organiser quelque consultation que ce soit pour le constater.

Ceux qui veulent défendre leur « droit à étudier » ou leur « droit à travailler » n’ont à opposer au désir de révolte que leur seule soumission au système : ce n’est pas là un « argument » dont on pourrait discuter démocratiquement dans un salon, c’est une des formes de défense de ce monde et de son système de domination au même titre que les magouilles des syndicats ou les matraques des flics. Seuls l’approfondissement et l’extension de la crise peuvent avoir pour effet, bien plus sûrement que le respect des procédures démocratiques, de rallier au mouvement une grande part de ceux qui ne s’y retrouvent pas au début.