Valérie Pécresse continue à faire publiquement l’éloge de la politique suivie depuis mai dernier dans l’enseignement supérieur et la recherche. Mais les actuelles mobilisations contre la loi dite « d’autonomie des universités » fournissent une excellente occasion pour rappeler que, dans ce domaine du secteur public, les hiérarchies et les groupes influents ont déjà beaucoup trop d’autonomie à l’égard de pouvoirs et contrôles publics. La question de la Charte des Thèses nous en fournit un nouvel exemple.

Les « larges consensus » de fait qui ont suivi l’élection de Nicolas Sarkozy le 6 mai et la formation de gouvernements « transversalisés » avec la participation de « personnalités de gauche » ont étouffé jusqu’à récemment le mécontentement que devait inévitablement susciter la loi Pécresse. Car quiconque connaît le fonctionnement réel des institutions de la recherche et de l’enseignement supérieur aura plutôt tendance à s’étonner de l’immunité des coupoles et des administrations influentes. Ce que la loi Pécresse ne fera qu’aggraver.

Et la polémique déclenchée par la référence récente à de possibles liens entre Paris Biotech Santé et l’Arche de Zoé, voir :

http://www.voltairenet.org/article152777.html

http://www.parisbiotech.org/pbs6

http://www.voltairenet.org/article152874.html

ne témoigne-t-elle pas, par elle-même, d’un certain défaut de contrôle administratif et citoyen des structures mises en place à partir des organismes scientifiques publics ?

C’est en tout cas, entre autres, d’un manque d’efficacité des contrôles administratifs que l’on peut, pour le moins, se plaindre dans l’affaire de l’amiante de Jussieu :

http://amiante.eu.org

http://www.lepetitjournal.com/content/view/20257/204/

Comment a-t-on pu laisser la situation dériver, au point que de nombreux décès liés à l’amiante ont déjà eu lieu, et qu’en janvier 2005 trois établissements du site de Jussieu (les Universités Paris 6 – Pierre et Marie Curie et Paris 7 – Denis Diderot, ainsi que l’Institut de Physique du Globe) ont été mis en examen pour mise en danger d’autrui ? On peut craindre que l’une des sources du problème ne réside, précisément, dans un excès d’influence, d’autonomie et d’immunité de la part des « sommités ».

L’influence des hiérarchies universitaires et scientifiques tient, notamment, à leur osmose avec les plus hautes instances de l’Etat et avec les organes dirigeants du secteur privé et du monde politique. Mais dans ce cas, que peut faire un « petit doctorant » confronté à un litige avec son laboratoire d’accueil ? Wikipédia dresse un tableau trop optimiste en écrivant :

http://fr.wikipedia.org/wiki/École_doctorale

« Les écoles doctorales: (…) s’assurent de la qualité de l’encadrement des doctorants par les unités et équipes de recherche, veillent au respect de la charte des thèses prévue par l’arrêté du 3 septembre 1998 et la mettent en oeuvre. »

La Charte des Thèses est le résultat d’un arrêté :

http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/recherche/…e.htm

pris devant la prolifération de situations de véritable détresse des étudiants de doctorat. Chaque université est censée avoir adopté une Charte des Thèses, laquelle est souvent mise en ligne sur son site. C’est le cas, par exemple, de l’Université Paris 7 – Denis Diderot :

http://www.univ-paris-diderot.fr/chartethese.htm

Mais quelle est la portée légale de cette Charte ? L’arrêté de 1998 parle bien d’ « application de la charte » et de « dispositions », et propose une « charte type » où il est écrit notamment : « Directeur de thèse et doctorant ont donc des droits et des devoirs respectifs d’un haut niveau d’exigence ». Il est prescrit ensuite, par exemple :« Le doctorant a droit à un encadrement personnel de la part de son directeur de thèse, qui s’engage à lui consacrer une part significative de son temps. Il est nécessaire que le principe de rencontres régulières et fréquentes soit arrêté lors de l’accord initial ». Une disposition qui ne peut que déranger un certain nombre de « personnalités » qui, tout en apparaissant officiellement comme les directeurs de thèse, « délèguent » dans la pratique leurs tâches d’encadrement à d’autres chercheurs. Malgré son caractère très « minimal », qui n’est qu’un rappel des obligations normales de toute université et de tout directeur de thèse, la Charte des Thèses s’est toujours heurtée à de fortes réticences de la part d’établissements et responsables qui ont été jusqu’à mettre en cause son caractère contraignant.

Or, le 8 janvier 2004, une vice-présidente de section du Tribunal Administratif de Paris déboutait par ordonnance (dossier 0311110) une doctorante qui réclamait l’application de la Charte des Thèses de son université. Pour justifier cette décision, prise au titre d’une prétendue « irrecevabilité manifeste non susceptible d’être couverte en cours d’instance », la magistrate a écrit : « s’il est prévu qu’au moment de son inscription le doctorant signe avec le directeur de thèse la charte des thèses, une telle indication implique simplement que les intéressés ont pris connaissance de ce document et n’a pas pour objet d’établir une relation contractuelle entre les signataires ». Raison pour laquelle, d’après le Tribunal, un éventuel refus d’appliquer la Charte des Thèses « ne saurait présenter le caractère d’une décision administrative faisant grief et n’est pas de nature à être déférée au juge de l’excès de pouvoir ». Mais la doctorante avait plaidé le caractère réglementaire de la Charte, et pas un quelconque caractère contractuel. Un moyen auquel l’ordonnance ne répondait pas. L’intéressée a donc fait appel de la décision du Tribunal Administratif.

Le 11 juillet 2004 (date du Journal Officiel), le Ministre délégué à la Recherche François d’Aubert, en réponse à une question écrite (38911, J.O. du 11 mai 2004) de l’alors député André Santini, reconnaissait la valeur réglementaire de la Charte des Thèses avec ces mots : « Si elles n’ont pas valeur contractuelle, les dispositions de la charte des thèses, approuvées par le conseil d’administration de l’université, constituent néanmoins des règles d’organisation du service que doivent respecter les enseignants et les doctorants de l’établissement ». Pourtant, le 30 novembre 2006, la Cour Administrative d’Appel de Paris déboutait à nouveau la doctorante par ordonnance (dossier 04PA02718) du président de sa 4ème Chambre, confirmant l’irrecevabilité manifeste prononcée en première instance. Motif invoqué : la Charte des Thèses « ne contient aucune obligation contraignante tant pour le directeur de thèse que pour le doctorant ». La requérante a de surcroît été condamnée, par cette ordonnance et malgré une situation financière très difficile, à payer un total de 1500 euros de frais d’avocat de deux universités et d’un organisme de recherche.

Lorsque l’intéressée, qui ne dispose pas de ressources pour payer un avocat au Conseil d’Etat, a tenté de se pourvoir en cassation estimant que le caractère réglementaire de la Charte est bien réel et comporte des obligations pour l’Université, le laboratoire, l’école doctorale et le directeur de thèse, sa demande d’aide juridictionnelle a été rejetée par ordonnance du président du Bureau d’Aide Juridictionnelle du Conseil d’Etat, au motif d’une « absence de moyens sérieux susceptibles de convaincre le juge de cassation ». Pourtant, on aurait pu penser que la question de la valeur réglementaire de la Charte des Thèses et des obligations qu’elle comporte à ce titre est suffisamment importante pour être jugée en cassation par la Section du Contentieux, et pour qu’une « petite justiciable » sans ressources suffisantes ne se heurte pas à une barrière financière.

Sauf « miracle économique », la requérante ne pourra pas régulariser en temps utile son pourvoi en cassation, faute de moyens financiers, et la question de fond que cette situation soulève ne fera pas l’objet d’un arrêt motivé de la Haute Juridiction.

Universitaire 1995

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